Ce n’était ni un roi, ni un prince, ni un membre d’une famille aristocratique. Décédé du covid-19 en novembre 2020, Harlyn Geronimo était l’arrière-petit-fils d’une légende de l’histoire des États-Unis, d’un mythique chef Apache redouté des Américains et des Mexicains. Aujourd’hui encore, ses descendants se battent toujours pour réhabiliter le nom du chef Geronimo.

Les Apaches regroupent plusieurs tribus d’amérindiens. Venus du Canada, ils se sont installés dans les plaines de l’Amérique du Nord en pleine construction. Très mobiles, capables de se déplacer sur des milliers de kilomètres en très peu de temps avec leur campement, bétail compris, ils vont devenir d’excellents cavaliers au fur et à mesure de leurs contacts avec les Européens. Contrairement à une idée reçue, au départ, ils étaient avant tout des combattants à pied. Au XXe siècle, ils ont fait la joie des studios Hollywood durant des décennies, à travers des westerns dont les scénarios étaient souvent basés sur des clichés manichéens. Une vision de l’Histoire qui commence à changer grâce au combat des descendants de ces chefs apaches qui ont tenu tête aux Tuniques bleues, les soldats bien connus de l’armée américaine magnifiés dans la série à succès « Rintintin ». Parmi eux, les arrière-petits-fils de Geronimo, un célèbre chaman apache qui s’est longtemps battu pour les droits des « natives » (indigènes).

Geronimo, chef de guerre @wikicommons

Geronimo et la loi du talion 

Né au Nouveau-Mexique en juin 1829 au sein d’une fratrie de trois frères et quatre sœurs, Geronimo est le petit-fils de Mahko, un chef Chiricahua. Élevé dans les traditions apaches, il n’a jamais été un chef en dépit de ce titre qui lui a été affublé par l’histoire officielle. C’est avant tout un guerrier, un chaman, un homme-médecine qui franchit tous les rites de l’adolescence avec succès. À 17 ans, Go Khla Yeh (« celui qui baille »), son nom de naissance, épouse Alope, la première des neuf femmes qu’il aura au cours de sa vie. Admis au sein du conseil des Apaches Chiricahua en 1846, un raid mexicain particulièrement violent va basculer sa vie douze ans plus tard. Toute sa famille est assassinée. Il perd son épouse adorée, ses trois enfants et sa mère, retrouvés nageant dans leur sang, égorgés. Patient, il va préparer sa vengeance et le 30 septembre 1859, il massacre à son tour des familles mexicaines. Un raid le jour de la Saint-Jérôme, origine de son nouveau prénom. Geronimo vient d’entrer dans la légende avec ses guerriers. Sa haine des Mexicains n’aura aucune limite et chaque sang versera en appellera à un autre. La loi du talion se répète à l’infini pour Geronimo qui perd sa seconde épouse et ses autres enfants dans un second massacre.

Geronimo est le troisième à partir de la droite au premier avec ses guerriers @wikicommons

Un messie pour les Apaches

Les Américains pénétrant de plus en plus sur les terres apaches, Geronimo décide se joindre à une coalition dirigée par Cochise, un autre chef célèbre. Entre 1862 et 1863, alors que les États-Unis sont en pleine guerre de Sécession, les troupes du président Abraham Lincoln doivent lutter sur deux fronts. Épuisé, par ces incessants combats, il est un des premiers chefs indiens à signer un traité de paix avec « les visages pâles ». Vient le temps des réserves, des nouvelles confrontations, des déportations comme en 1876 lorsque le gouvernement américain décide de fermer la réserve Chiricahua pour les parquer dans une autre où les terres sont plus hostiles, arides. Geronimo s’enfuit avec ses partisans et reprend la lutte. Un jeu de chat et de la souris va se mettre en place entre lui et les Américains, les Mexicains excédés par ses pillages récurrents. Parmi les Indiens, on le dit doté de pouvoirs mystiques, capable de lire l’avenir. N’avait-il pas prédit ce qui allait arriver à son peuple avec l’arrivée des Américains ?

Geronimo à la fin de sa vie @wikicommons

Un nom, une légende immortalisé par Hollywood

Enfin la reddition signée le 4 septembre 1886 avec 16 guerriers, 12 femmes et 6 enfants. Au sein de l’armée, son cas divise. Faut-il le juger comme pilleur hors-la-loi ou comme chef indien qui vient se constituer prisonnier de guerre ? C’est finalement le président Grover Cleveland qui ordonne qu’il soit placé sous surveillance à Fort Pickens, en Floride, durant un an. Geronimo décide de se convertir au christianisme, amer. Agriculteur, exhibé dans les foires, les expositions, les parades (comme celle du président Roosevelt qui le traitera avec condescendance), Geronimo meurt le 17 février 1909 d’une pneumonie, dans un état de quasi-pauvreté, laissant derrière lui un héritage qui continue d’alimenter tous les fantasmes de générations passées ou présentes en dépit des efforts du gouvernement américain de faire disparaître son aura. Des centaines de livres lui ont été consacrés et pas moins de 20 films sur sa vie, plus ou moins romancés.

Prescot Bush et l’emblème de la Skulls and Bones@wikicommons

Les Geronimo exigent des excuses de la famille Bush

Pour Harlyn Geronimo (1947-2020), « le fond du problème est que l’armée américaine n’a jamais vaincu Geronimo et ça, elle ne l’accepte toujours pas » comme il l’expliquait dans une interview au site suisse, Le Valais surprenant. Toute sa vie, Harlyn Geronimo a tenté de faire réhabiliter son arrière-grand-père dont la tombe a été profanée en 1918 par des jeunes membres de la confrérie secrète des Skulls and Bones. Parmi lesquels un certain Prescot Bush, petit-fils du président Georges Bush. Il est même probable qu’une petite partie de ses restes ait été volés comme semble le montrer une lettre d’un des profanateurs, retrouvée en 2006, qui s’accuse de ce vol. Les descendants décident alors de porter l’affaire devant la justice afin de récupérer la dépouille de Geronimo et de « libérer ainsi son esprit, sa dépouille, ses objets funéraires et son esprit emprisonnés depuis un siècle à Fort Sill [dans l’Oklahoma-ndlr], ainsi qu’à l’université de Yale [Connecticut-ndlr] et où qu’ils se trouvent » comme on peut le lire dans la plainte et évoqués par le quotidien Le Monde. Plainte est même déposée contre le président Barack Obama. La Skulls and Bones et le secrétaire à l’armée de terre. Pour autant, les historiens contestent cette thèse de la profanation. « Le grand-père de George Bush, en 1918, avec d’autres personnes, a profané la tombe de mon ancêtre… Les forces que je dois combattre sont d’une grande ampleur et il ne sera sans doute pas facile d’arriver à mes fins. Mais je ne renoncerai jamais, car je suis un Geronimo de tout mon être. Nous ne demandons pas un traitement de faveur, d’autres tribus ont obtenu que la dépouille de leurs ancêtres regagne leur terre natale. C’est la seule façon pour que l’esprit de mon arrière-grand-père atteigne la sérénité et soit en paix, c’est la seule façon de tourner la page. Je ne peux admettre une justice à deux vitesses ! » affirme le descendant de Geronimo qui a longtemps attendu, en vain, une réponse de la famille Bush.

Harlyn Geronimo, un leader pour les Apaches

HarlynGeronimo, sculpteur, comédien, s’initia au chamanisme, prétendit même avoir rêvé des attaques du 11 septembre 2001. Son père s’est engagé dans l’artillerie durant la Seconde Guerre mondiale. Il a débarqué sur les côtes normandes le 6 juin 1944 et découvert le vin français. « Mon beau-père a pourchassé Rommel en Afrique. Avec mon père, ils avaient tous deux un profond respect de l’esprit guerrier apache. Il a vu des choses terribles. Ses camarades explosaient sous ses yeux. Un nombre anormalement élevé d’Indiens ont débarqué en première ligne en Normandie » regrette-t-il. Lui-même s’est engagé dans l’armée et a combattu au Vietnam nous rappelle La Manche Libre qui était parti à sa rencontre. De son vivant Harlyn Geronimo a été un leader et le visage de son peuple. « À l’heure actuelle, 4 000 Apaches vivent dans la réserve de Mescalero. La réserve est une “petite nation” qui s’auto-administre. Elle a sa propre constitution, sa police… Elle fonctionne sur le principe de la démocratie. Le gouvernement américain reconnaît ce fonctionnement. Mais les membres de la réserve considèrent qu’ils ont une double nationalité apache et américaine » expliquait-il au quotidien normand, pointant du doigt le vol manifeste de leurs terres par le gouvernement américain au XIXe siècle.

La descendance de Geronimo trace ses pas dans ceux de leur ancêtre

Les descendants de Géronimo sont principalement issus de sa fille Lana. Ils assument leur héritage avec fierté. La première fois que Robert Geronimo a pris conscience qu’il était le descendant de son célèbre ancêtre, c’était à la maternelle – des coups-de-poing ont été donnés et il s’est retrouvé dans le bureau du directeur. Titulaire d’un diplôme en mathématiques et en informatique de l’Université Western New Mexico à Silver City et travaille au département des ressources humaines de l’Inn of the Mountain Gods, le complexe hôtelier et casino de la tribu à Mescalero, au Nouveau-Mexique. « Geronimo avait six femmes et de nombreux enfants, mais notre lignée était la seule à ne pas avoir été tuée » précise-t-il. Son fils, Robert Samson, exploite la Tyrolienne de la station de montagne et il n’est pas rare qu’ils crient « Ge-ro-ni-mo » en se lançant dans le vide. Un cri qui doit son origine à une légende, affirmant que le chef indien se serait suicidé avec son cheval et qui a été repris par les soldats américains durant le second conflit mondial.

La relève est assurée et la généalogie de se poursuivre. Sa nièce a suivi les traditions. A 23 ans, Hope Geronimo est shaman. Nièce de Robert Geronimo, elle aussi à des visions. « C’est un guérisseur très puissant. Je lui demande de m’aider à me guider » déclare-t-elle à The Indian Country Today. Elle a appelé son fils comme le chef indien dont le sang coule dans ses veines. « Je ne peux pas être une déception pour mes ancêtres » affirme-t-elle avec fierté. Tout dit. L’esprit de Geronimo peut désormais reposer en paix et chevaucher dans le vent aux côtés de Ysun, le créateur des Apaches. Ses héritiers continuent son combat, un credo, celui de réhabiliter le nom de Geronimo. Ironie de l’histoire, ce fut aussi le nom de code donné par les américains lors de l’opération qui aboutit à l’exécution d’Oussama Ben Laden en 2011.

Frederic de Natal