Son décès a ému le monde entier en 2016. Secrétaire-général de l’Organisation des Nations unies (ONU) de 1997 à 2002, Boutros Boutros-Ghali était issu d’une longue lignée de politiciens qui ont participé à la construction de l’Égypte moderne. La Revue Dynastie revient sur le destin de cette famille dont le nom est indissociable des grandes heures de l’histoire égyptienne.
Dans une Égypte majoritairement musulmane, le parcours politique des Boutros est loin d’être anodin. Issus d’une religion orthodoxe qui se réclame de l’évangéliste Marc et souvent considérée comme « l’église des martyrs », c’est tout le poids de ce christianisme orthodoxe (dit copte), souvent persécuté, qui s’exprimé à travers leur histoire familiale. Il faut attendre le règne du Khédive Muhammad Tawfik Pacha (1879-1892) pour que le destin de cette dynastie copte se mêle étroitement avec celle de l’Égypte. Placé sur son trône par les Britanniques, le nouveau souverain est confronté à la montée du nationalisme, notamment parmi les membres du gouvernement dont les actions contre l’occupant vont menacer son pouvoir. En 1882, son Premier ministre Ahmed ʻUrabi tente vainement de fomenter une mutinerie afin de se débarrasser des Anglais dont l’omniprésence dans les affaires de l’État est devenue insupportable. Le Khédive, devenu souverain constitutionnel, entend toutefois rassembler toutes les composantes ethniques et religieuses de son pays.
Au service de la monarchie
Proche des Francs-maçons, il a promulgué en 1879 un édit qui reconnaît le droit à l’égalité aux coptes et celui de siéger à l’Assemblée nationale. Une véritable révolution sociale dont les bases avaient déjà été jetées par le Wali Méhémet Ali, fondateur de la dynastie. Une réforme poursuivie par le Khédive Ismaël Pacha, souverain ambitieux. Cette ouverture va permettre à la famille Boutros de s’imposer doucement sur la scène politique du pays. Fils d’une ordonnance affectée au prince Mustapha, frère du Khédive, Boutros Ghali va bénéficier d’une haute éducation qui le mène vers un poste d’interprète au ministère de la Justice en 1874. Il a tout juste 28 ans, parle 5 langues et va gravir progressivement tous les échelons. Ses talents de diplomate durant la crise avec les Britanniques se font remarquer. Il est rapidement nommé au poste de secrétaire d’état à la justice. C’est la première fois qu’un copte obtient un tel honneur en Égypte. Il va l’occuper durant douze ans avant de devenir ministre de la Justice en 1893 et deux ans plus tard, ministre des Affaires étrangères.
Victime du nationalisme
Boutros Ghali est un nationaliste conscient des avantages et des inconvénients de la présence britannique. Il soutient l’expédition anglo-égyptienne contre les forces du Mahdi Mohammed Ahmed au Soudan (1881-1899), loin d’être glorieuse pour la monarchie comme le démontreront les studios d’Hollywood avec la sortie du film épique « Khartoum » en 1966. Il est un ami du prince Abbas qui monte sur le trône en 1892. Habile, Boutros Ghalia va naviguer dans toutes les sphères politiques, sorte de « Talleyrand à l’égyptienne sans les bas de soie ». Il se rend populaire après avoir tenté de faire réduire les peines d’égyptiens, assassins d’officiers anglais eux-mêmes responsables de la mort accidentelle de l’épouse d’un Haut fonctionnaire du gouvernement. Malgré les relations qui se détériorent entre le Khédive et les Anglais, Abbas II n’hésite pas à nommer Boutros Ghali comme Premier ministre en 1908. Dès son arrivée au pouvoir, ce copte va bousculer les habitudes, entreprend de réformer le droit de la propriété en Egypte (non sans mal car il redistribuera des terrains appartenant à l’épiscopat copte provoquant l’agacement du patriarche Cyrille V) et met en place un vrai parlement autonome. Parallèlement, Boutros Ghali musèle la presse nationaliste pour mieux la contrôler et provoque la colère de ses compatriotes quand il accepte de signer un accord reconduisant la gestion du Canal de Suez pour 40 ans de plus aux Britanniques. Le 20 février 1910, alors qu’il quitte le ministère des Affaires étrangères, il est abattu froidement par un étudiant en pharmacie qui revenait juste de Londres. Ce meurtre provoquera des émeutes interconfessionnelles et le début d’une série de meurtres de politiciens par les nationalistes.
Un égyptien amoureux de la France
Son fils Waeyf (1878-1958) va reprendre le flambeau politique. Après une carrière remarquable dans le Haut-fonctionnariat, il devient ministre des Finances du roi Farouk Ier entre 1923 et 1924. Ardent défenseur de la monarchie égyptienne (comme son frère Naguib Botros Ghali qui occupera plusieurs ministères et le fils de celui-ci, Merit Boutros Ghaly, dernier ministre des Affaires municipales et rurales du roi Farouk) , on lui doit un remarquable ouvrage intitulé « La tradition chevaleresque des arabes » publié en 1919 où il s’est efforcé de souligner les similitudes entre les idéaux de la chevalerie européenne, qu’il qualifie de « spécifiquement française », et la furusiyya arabe (art équestre). Membre du parti nationaliste Wafd, il entre à la chancellerie royale en charge des Affaires européennes en 1905. Poste qu’il quitte en 1911 afin d’étudier le droit en France où il rencontre sa future épouse. Il occupera encore les fonctions de directeur de la Compagnie du Canal de Suez entre 1950 et 1958, témoin de la fin d’un système qu’il avait passé à protéger toute sa vie et qui tombe en 1952, victime d’un coup d’état militaire.
Montée et chute brutale d’une dynastie
C’est un autre Boutros qui va porter le nom de sa famille au sommet de la politique. Ralliant la République, Boutros Boutros Ghali, neveu de Waeyf, va faire des études de juriste avant de devenir professeur de droit international et de relations internationales à l’université du Caire (1949-1977). Ce défenseur du Tiers-monde, nassérien convaincu, brille par ses connaissances géostratégiques. C’est tout naturellement qu’il accepte de prendre le poste de ministre d’État égyptien des Affaires étrangères (après le ministre des Affaires étrangères dans l’ordre protocolaire) à partir de 1977 et en 1991, celui de vice-Premier ministre renouant avec la tradition familiale. Principal négociateur dans les accords de Camp David en 1978 et du traité de paix avec Israël un an plus tard, Boutros Boutros Ghali est élu Secrétaire général des Nations unies. Un symbole pour l’Égypte qui en fait un héros national et l’image internationale du régime du général Hosni Moubarak. Lorsqu’il impose la création d’un Haut-Commissariat aux droits de l’homme en 1996, il s’attire les foudres de Washington qui le supporte de moins en moins, lui reprochant sa trop grande indépendance vis à vis des États-Unis (il s’opposera au bombardement des serbes durant la guerre serbo-bosniaque de 1995). Ses rapports avec Madeleine Albright, alors ambassadrice à l’ONU, seront d’ailleurs exécrables. Face au lobby américain qui organise son renvoi après son mandat qui s’achève en 1997, il prend alors le poste de Secrétaire général de la Francophonie qu’il va diriger jusqu’en 2002. Plusieurs fois honoré pour son combat en faveur de la paix, ses funérailles en 2016, décédé à l’âge de 93 ans, seront quasi nationales.
La famille Boutros a vécu douloureusement les soubresauts de la révolution de 2011 qui a mis fin à la présidence d’Hosni Moubarak. Un des neveux de Boutros Boutros Ghali, Youssef, ancien ministre de l’Économie de 1997 à 2001 puis des finances de 2004 à 2011 (il est reconnu comme celui qui a modernisé le système de retraite égyptien), a été obligé quitter le pays manu militari. Désormais déchus, les Boutros résident entre le Liban et le Royaume-Uni et n’occupent plus aucun poste dans le gouvernement actuel, tournant ainsi une page importante de l’histoire égyptienne.
Frederic de Natal