En 1453, Constantinople tombe aux mains des ottomans du sultan Mehmet II. C’est la fuite en avant pour les anciennes familles qui ont occupé un trône millénaire, continuation médiévale de la Rome antique. Parmi toutes celles qui vont essaimer en Europe, la maison impériale des Anges, renversée en 1204 par les croisés latins. La Revue Dynastie revient sur le destin des descendants de l’empereur Isaac II à l’origine de l’Ordre sacré et militaire constantinien de Saint-Georges.

Les origines de la famille des Anges n’ont jamais été réellement déterminées par les historiens. On considère Constantin Ange, un général byzantin, comme le fondateur de cette dynastie qui va lier son destin à celui de l’Empire. En séduisant la princesse Théodora Comnène, fille du Basileus Alexis Ier, il va singulièrement se rapprocher d’un trône qui plonge ses racines au cœur de la Rome antique. En dépit des oppositions de l’ambitieuse impératrice Irène Doukas, ils se marient et auront sept enfants. La date de la mort de Constantin Ange est inconnue mais on la situe vers 1166. C’est son petit-fils, Isaac, qui va réaliser les ambitions d’une famille qui s’oppose au despotisme de leur cousin Andronic Ier Comnène. Arrivé tardivement sur le trône, en septembre 1183 à l’âge de 60 ans, ce dernier emprisonne, fait assassiner ses rivaux potentiels, s’aliénant l’aristocratie byzantine. De nombreuses révoltes éclatent très rapidement auxquelles sont mêlées les Anges. Sous les conseils d’une voyante, qui a prédit à Andronic que cette branche de la famille monterait sur le trône après lui, Andronic Ier envoie un de ses fidèles en mission : celle d’assassiner Isaac Ange (1156-1204) dont le père a déjà été compromis dans une des nombreuses conspirations qui constellent le règne d’Andronic Comnène.

Isaac II Ange @Wikicommons/Dynastie

Un Empire qui périclite

Averti, Isaac Ange fait tuer l’envoyé impérial, se précipite dans la basilique Sainte-Sophie et harangue la foule venue l’écouter. Une insurrection éclate et le porte au pouvoir. La fin d’Andronic Ier est particulièrement sauvage. Rattrapé alors qu’il s’enfuit du palais, il aura les dents arrachées, une main coupée, sera battu, ses cheveux coupés, éborgné et traîné à travers la cité, attaché à un chameau. Suspendu par les pieds à l’hippodrome, il supplie Dieu de l’achever. Deux soldats viendront lui planter un glaive dans le ventre, son fils aîné aveuglé et le second aura la gorge tranchée. Devenu Isaac II, il hérite d’un Empire rongé de l’intérieur et qui subit les assauts des normands de Sicile, des Bulgares et des Serbes. Son règne est un désastre, provoque même des sécessions. Une en particulier, celle d’Alexis Branas (arrière-petit-neveu d’Alexis Ier) en 1187, manque de le renverser. Isaac II ne doit son salut qu’à l’arrivée impromptue de son beau-frère, Conrad de Montferrat, qui permet la victoire aux loyalistes. Des croisés qui méprisent ce souverain qui a trahi l’empereur Frédéric Barberousse en informant Saladin du passage de son armée en 1190 alors qu’il lui avait assuré de son amitié et de son soutien.

Alexis IV (gauche) et Alexis V (droite) @Wikicommons/Dynastie

La guerre des Alexis

Plus l’Empire périclite, plus les tensions éclatent au sein de sa famille. Le 8 avril 1195, son frère Alexis III (1153-1212) décide de le déposer et le fait aveugler, laissant son neveu et héritier se réfugier à Venise. La guerre des « deux Alexis » ne pas tarder à ébranler Byzance. Son règne va être marquée par la quatrième croisade qui va mettre fin à son règne tout aussi catastrophique que son prédécesseur. Grâce à Venise, le prince Alexis Ange (1182-1204) réussit à détourner les croisés de leur objectif initial, avec la promesse de caisses remplies si ceux-ci acceptent de l’aider à ceindre sa couronne. Indécis, Alexis III prend la tête de l’armée qui part au-devant des croisés mais se révèle incapable de faire des choix, préférant s’enfuir dans la nuit de juillet 1203 avec les joyaux de la couronne et ce qui reste du trésor impérial, laissant femmes et enfants derrière lui. Tiré de sa prison, Isaac II est remis sur son trône avec son fils Alexis IV à ses côtés sous les acclamations des latins. Mais lorsque fut venu le temps du paiement et de respecter sa promesse d’union des deux églises (catholique et orthodoxe), Alexis IV dut avouer qu’il en était incapable. La présence des latins provoqua des tensions perpétuelles avec les Grecs qui ne supportaient plus leur présence. Des croisés irrités qui finirent par piller la ville au début de 1204, provoquant la déstabilisation de l’Empire. Un cousin d’Alexis IV (étranglé), Alexis V Murzuphle (dont les sourcils se rejoignent) profite de la situation et usurpe un trône qu’il ne tiendra que 4 mois avant d’être destitué à son tour, tué par les latins qui établissent leur propre monarchie sur les cendres de la dynastie des Anges.

Les Angelo Flavio Comneno @Wikicommons/Dynastie

Une lignée reconnue par le Pape Paul III

La lignée masculine des Anges ne s’éteint pas. Les petits-fils de Constantin Ange vont se réfugier dans le despotat d’Epire (et occuper brièvement le royaume de Thessalonique), se posant en véritables empereurs légitimes de Constantinople. Une branche qui finira dans le sang. Son dernier représentant. Thomas Ier Comnène Doukas, sera assassiné en 1378 par son propre neveu, le comte Nicolas Orsini de Céphalonie. Une autre descendance va également revendiquer le trône byzantin, les Angelo Flavio Comneno qui affirment descendre d’Isaac II au neuvième degré. Une généalogie complexe qui ne fait pas l’unanimité chez les historiens bien qu’ils en acceptent l‘existence. Les premières traces de cette nouvelle dynastie byzantine remontent au XVème siècle avec un certain Andres Engjëlli qui a hellénisé son nom en Andreas Angelo, titré prince de Macédoine et duc de Drivasto. Il est d’ailleurs possible qu’ils descendent de cousins de l’empereur Isaac, notamment par les femmes. D’ailleurs, le pape Paul III va reconnaître le lignage impérial de cette famille en 1545. La bulle précise même « qu’ils ont le droit d’hériter du territoire de l’ancien Empire byzantin, si ce territoire était récupéré des Ottomans ». Une volonté politique du pontife qui espère pouvoir imposer une dynastie catholique à la tête de Constantinople une fois celle-ci reconquise. Un rêve qu’il ne pourra pas mettre à exécution.

Charles I de Gonzague, duc de Mantoue @Wikicommons/Dynastie

Une croisade pour le trône de Byzance

Andrea (1545-1580) Angelo Flavio Comneno décide alors de fonder l’Ordre Sacré Militaire Constantinien de Saint-Georges, en se basant sur l’existence d’une confrérie qui aurait été fondée par l’empereur Constantin le Grand au IVème siècle. Pourtant, aucun écrit historique ne mentionne une telle organisation. Ils en deviennent les Grands-maîtres et rendent la charge héréditaire. Mais au fur et à mesure qu’ils distribuèrent des titres, leurs successeurs après eux, un conflit éclate avec la papauté en 1606. Le prince Giovanni Andrea (1569-1634) dut prendre des mesures drastiques pour récupérer la confiance du pape, ce qu’Urbain VIII confirma en 1638, leur restituant tous les droits. Désormais reconnu par toutes les cours européennes, l’ordre devint la principale préoccupation de la maison des Anges sans pour autant renoncer au trône byzantin. Avec un descendant des Paléologues, le duc Charles I de Mantoue, un projet d’invasion de Chypre est monté.  Le duc, qui était en contact avec plusieurs chefs religieux chrétiens orthodoxes de premier plan dans l’est de la Méditerranée, forma une milice chrétienne (Militia Christiana) en 1618 à laquelle adhéra le prince Giovanni Andrea. Encouragé par les efforts de Charles I qui ravivait le sentiment de croisade en Europe, Giovanni Andrea saisit l’occasion pour réaffirmer ses droits au trône en tant que membre de la « seule dynastie impériale survivante » (le duc de Mantoue s’était fait reconnaître empereur Constantin XII par les grecs de la péninsule de Mani). Galvanisé par l’entreprise, le duc Léopold V d’Autriche donna son accord pour cette croisade qui allait ruiner le prétendant.

Giovanni Angelo I (gauche) et Giovanni Angelo II (droite) @Wikicommons/Dynastie

Une dynastie éteinte

La croisade ne se fera pas, principalement en raison du début de la Guerre de Trente ans et malgré la mobilisation de 6 navires et 5000 hommes. Endetté, le prince Giovanni Andrea vend titres sur titres, cède même sa place de Grand-maître de l’Ordre Sacré Militaire Constantinien de Saint-Georges contre monnaie sonnante et trébuchante au grand dam de sa famille qui lui intente un procès. Il finit par récupérer sa charge en 1627. Son décès 5 ans plus tard intervient alors que le Saint-Siège s’est réuni pour déterminer si les prétentions au trône de Byzance sont toujours justifiées. La lignée va détenir la position de Grand-maître jusqu’en 1687 avec l’aide de Vienne. Le prince Giovanni Andrea II (1634-1703) fut le dernier des Anges, un candidat malheureux au poste de Doge de Venise et à une couronne hypothétique de Grèce. Retiré dans son château, dépité (il avait même envoyé un régiment combattre les Turcs), il décède sans enfants. Pourtant c’est à Francesco Farnèse, duc de Parme, qui ambitionnait une couronne byzantine, que l’on doit l’extinction de la maison des Anges. Il avait contraint Laura Angelo, la sœur de Giovanni Andrea II, à prendre le voile afin qu’elle ne produise pas d’enfants qui auraient été susceptibles de venir réclamer son titre de Grand-maitre l’Ordre Sacré Militaire Constantinien de Saint-Georges. Elle meurt en 1756, pratiquement en prison.

L’Ordre Sacré Militaire Constantinien de Saint-Georges continue d’exister encore de nous jours, versant dans les querelles byzantines. Plusieurs personnes tentèrent de revendiquer la succession impériale des Anges jusqu’au XVIIIème siècle sans jamais pouvoir prouver leur affiliation à cette famille. Le trône byzantin est-il éteint pour autant ? Il existe encore des descendants des Paléologues, des Cantacuzène, des Lascaris, des Comnènes mais ceci est encore une autre histoire.

Frederic de Natal