Le Lycée scientifique Amédée de Savoie-Aoste de Pistoia (Toscane) a mis en colère le prince Aimone de Savoie-Aoste, un deux prétendants à la couronne d’Italie. L’établissement scolaire, qui porte le nom de son grand-oncle, a décidé de changer sa dénomination en raison de sa connotation jugée « trop fasciste et monarchique » selon sa direction.
C’est le Report, un quotidien en ligne de Pistoia, qui a révélé l’affaire. Il y a trois semaines, leur journaliste, Ronaldo Bonagudi, a annoncé que le Lycée scientifique Amédée de Savoie-Aoste avait décidé de changer de nom à la suite de la demande d’un professeur ayant initié une campagne en sens. Dans une lettre adressée à ses collèges, il explique que le duc Amédée de Savoie-Aoste « a grandi sous l’ère fasciste et que bien qu’il n’ait jamais adhéré à cette idéologie, il en a été un éminent représentant ». « Je voudrais attirer votre attention – sur le fait que notre école est communément appelée Savoie, rappelant ainsi nos liens avec la dynastie royale associée aux heures sombres de l’histoire italienne » poursuit ce professeur. « La nôtre tire ses origines de notre République parlementaire née de la lutte antifasciste et notre coexistence est basée sur une Constitution antifasciste. (…) Je pense qu’il est temps de reléguer notre cher Amedée dans les vieilleries de notre grenier » affirme-t-il en guise de conclusion. Une lettre qui semble faire mouche puisque la direction du lycée a confirmé qu’elle souhaitait y donner une suite favorable et éventuellement attribuer le prochain nom de l’institution à une personnalité féminine.
Un prince, héros de l’histoire italienne
Troisième duc d’Aoste, Amédée II de Savoie est né en 1898. Très tôt, il se destine à une carrière dans les armes. Inscrit à l’âge de 15 ans à l’école militaire Nunziatella de Naples, il interdit à ses camarades de l’appeler par ses titres mais sans abroger le vouvoiement de rigueur. Meneur d’hommes, il est pourtant très humble. Et c’est sous le grade de caporal qu’il est affecté à l’artillerie durant la Première Guerre mondiale, il quitte l’armée en 1921 et part explorer l’Afrique avec son oncle Louis de Savoie-Aoste. Un continent qui le fascine et où il va travailler comme ouvrier dans l’anonymat le plus complet. De retour en Italie, il décide 5 ans plus tard de reprendre l’uniforme et s’engage dans l’aviation. Prince de la maison royale d’Italie, sa branche a déjà donné un roi à l’Espagne entre 1870 et 1873. On pensera d’ailleurs à lui pour cette couronne vacante en 1939 après la victoire du général Franco sur les Républicains mais le Caudillo va fermer la porte à cette candidature. Y compris en Hongrie ou les italiens prennent contact avec le régent Horthy. Un projet qui n’aura finalement pas de suite.
Vice-roi d’Éthiopie
Il épouse en novembre 1927, la princesse Anne d’Orléans (1906-1986), la fille du prétendant à la couronne de France, le duc de Guise, Jean III d’Orléans. De ce mariage naîtront deux filles (Marguerite et Marie Christine). Partisan de l’ordre, il s’enthousiasme pour le fascisme et part s’illustrer en Libye, colonie en devenir de l’Italie mussolinienne qui souhaite recréer les frontières de l’empire romain. Il participe même à la guerre italo-éthiopienne de 1936 où l’Italie s’impose. Nommé vice-roi d’Éthiopie par Mussolini en 1937, il se révèle un très bon administrateur militaire et sur les ordres du Duc tente de trouver un territoire qui pourrait accueillir une colonie juive. Une tentative avortée. Gouverneur général de l’Afrique orientale italienne, c’est encore lui qui coordonne la résistance contre les Alliés. Capturé en mai 1941 lors de la bataille d’Amba Alagi, il est envoyé dans un camp de prisonniers de Nairobi, sous le numéro 11590, où il y meurt en mars 1942, atteint de paludisme et de tuberculose. Des années plus tard, le négus Hailé Sélassié, rendra publiquement hommage à ce « gentleman au nom de Éthiopie reconnaissante » .
Un héros qui avait le sens de l’amour de la patrie
Prétendant à la couronne d’Italie, le prince Aimone de Savoie-Aoste a tenu à réagir dans un communiqué répercuté dans la presse italienne. « L’histoire d’Amédée de Savoie, le frère de mon grand-père, comme celle de la monarchie et de toute l’Italie, traverse sans doute la période fasciste, mais cela n’affecte en rien l’histoire parfaite et glorieuse de sa personne. Il est mort pour sa patrie en Afrique, dans un camp de prisonniers anglais. Il a en effet été contraint de se rendre après des jours de défense acharnée, faute de munitions et surtout pour pouvoir sauver la vie des nombreux blessés qui ne pouvaient plus être soignés. Au moment de la reddition, le commandement anglais décide de lui rendre les honneurs d’armes, pour son comportement héroïque et les soldats qu’il commande » rappelle le prince à la direction scolaire. « Les Britanniques, ennemis acharnés de l’Italie fasciste, ont reconnu cette valeur que ceux qui soutiennent cette proposition veulent annuler. Vous êtes évidemment libre dans vos choix, mais je vous demande de ne pas dénigrer un héros qui a été très clair sur la valeur de l’amour de la patrie, et du sens du devoir auquel il a sacrifié sa vie avec orgueil et fierté » poursuit-il, un brin agacé. « Un homme vaillant, un exemple pour tous ceux qui connaissent et respectent l’histoire » conclut Aimone de Savoie-Aoste qui élève l’oriflamme de la résistance contre cette cancel culture qui touche sa famille.
De nombreux historiens sont venus au secours du professeur attaqué sur les réseaux sociaux par les partisans de la monarchie, l’accusant de faire de la cancel culture. Pour Stefano Bartolini, directeur de Farestoria , un magazine de l’Institut historique de la Résistance de Pistoia « il n’y a absolument rien d’extraordinaire à changer les noms de lieux, de rues ou d’écoles, si une société ne les considère plus comme convenables ». L’historien et éditorialiste Tomaso Montanari va même plus loin, réclamant que soient supprimés tous les noms des lieux portant le nom d’un membre de la dynastie de Savoie. Dans un article consacré à cette polémique, Il Giornale, a déploré cette nouvelle « damnatio memoriae », qui frappe désormais les monuments de l’histoire italienne et dont le but avéré est « d‘ouvrir une brèche afin de faire en sorte que, petit à petit, se normalisent les pratiques de censure et finissent par la réécriture générale de l’histoire à travers une lecture idéologique ».
Frederic de Natal