Il est de toutes les fêtes, l’excellence derrière l’art de vivre à la française. Marque protégée, le Champagne est un vin effervescent qui accompagne tous les grands événements de la vie. Quel qu’ils soient. Mais derrière les bulles, une Histoire disputée avec les britanniques. La Revue Dynastie vous invite à la découvrir et à la consommer sans modération.
En 1787, Louis XVI offre à Marie-Antoinette un service de porcelaine afin que la reine puisse se rafraîchir avec des breuvages frais dans la laiterie du château de Rambouillet. Parmi les soixante-cinq pièces produites par la Manufacture de Sèvres, une en particulier marque les esprits de cette époque : le bol-sein, aussi appelé la jatte-téton. Le récipient en forme de sein servi pour boire du champagne, ou du lait, et son iconographie osée ,ne manqua pas de nourrir un mythe qui fit de la poitrine de Marie-Antoinette le moule nécessaire à sa réalisation. Le mythe n’est qu’un fantasme bien sûr, mais il révèle à son tour l’animosité à l’encontre de la reine qualifiée d’étrangère, de scélérate, qui dut subir l’image de cette femme décadente qu’une partie des Français lui avaient attribuée. D’autant que le mensonge érotique est tenace. Aujourd’hui encore, on entend une anecdote qui fait du sein royal le moule de nos vieilles coupes de champagne, quand elle n’attribue pas, tour à tour, les courbes de nos verres à Madame de Pompadour, à Madame du Barry, à Joséphine de Beauharnais, à Diane de Poitiers, où encore à Pauline Bonaparte dont la légèreté servit, paraît-il, à l’illustrateur Jean-Baptiste-Claude Odiot pour modeler une coupe en bronze exposée au musée des Arts Décoratifs. En réalité, loin de ses historiettes licencieuses, la forme évasée de la coupe de champagne était privilégiée pour une raison bien plus triviale, celle de la bienséance lors des dîners, car la largeur du verre permettait de réduire rapidement le nombre de bulles dans le vin et elle évitait ainsi les éructations. Quant à savoir d’où vient l’effervescence du champagne, il faut s’éloigner de l’impudeur présumée des femmes à la cour de France et regarder du côté de l’ascétisme monacal de l’ordre bénédictin.
C’est Dom Pérignon (1639-1715), appelé aussi Dom Pierre, ou encore Dom Procureur, nommé ainsi par la communauté monastique de Saint-Pierre d’Hautvillers pour gérer les affaires temporelles de l’abbaye, qui est communément désigné comme l’homme à l’origine du champagne. Cellérier de l’abbaye, on continue encore de donner au bénédictin de grandes vertus œnologiques et des sens extraordinaires. On prétend par exemple, qu’aveugle, il était capable de déceler l’origine d’un raisin au goût de son grain. En fait, il y a eu beaucoup de fabulation autour de Dom Pérignon, et disons-le tout de suite, Dom Pierre n’inventa pas la méthode champenoise. Si les vignes de Champagne sont cultivées depuis l’Antiquité, le champagne n’apparaît qu’à l’époque moderne, durant le Grand Siècle, lorsque plusieurs découvertes concourent à son élaboration.
Le vin de Champagne, dont l’appellation s’établit entre le début et le milieu du XVIIe siècle, était d’abord un vin blanc tranquille, c’est-à-dire un vin non effervescent, qui bénéficiait d’une excellente réputation à la cour de Louis XIV. Jusqu’alors, le vin mousseux avait été de fabrication accidentelle, et la mousse perçue comme un défaut qu’il fallait corriger. En 1662, à la Société royale des sciences de Londres, comme les anglais aiment souvent à le rappeler, Christopher Merret (1614-1695) démontra qu’en y ajoutant du sucre, le vin devenait pétillant. Outre-Manche, le succès est immédiat. Les Anglais achetèrent en quantité le vin français, y développèrent la prise de mousse grâce au sucre de canne de leur colonie. À l’inverse, en France, on regardait d’un mauvais œil ce vin effervescent. Non pas parce qu’il était mauvais, mais parce que sa fabrication était plus complexe sur le continent et causait de grosses pertes aux vignerons. À ce sujet, les appellations de « saute-bouchon » et de « vin du diable » sont révélatrices puisque la seconde fermentation du vin mousseux, qui avait lieu au sein de la bouteille dans laquelle se faisait l’ajout du sucre, provoquait régulièrement l’explosion du verre, ou faisait sauter le bouchon, alors même que chaque explosion pouvait déclencher le phénomène chez les bouteilles voisines, dévastant des caves entières. Cela, simplement parce que les Français utilisaient un verre plus fragile qu’ils chauffaient au bois, tandis que les Anglais avaient déjà découvert qu’en travaillant le verre au feu de charbon, ils pouvaient rendre leurs bouteilles plus lourdes, plus épaisses, et donc, plus solides. D’autant, qu’encore une fois, les Anglais maîtrisaient, avant les Français, l’usage du bouchon de liège pour remplacer les archaïques chevilles de bois que l’on appelait « broquelet ».
Mais, heureusement, le champagne ne doit pas tout aux Anglais ! Toute légende a sa part de vérité, est celle de Dom Pérignon n’y échappe pas. Sans être un chimiste aguerri, Dom Pierre eut un sens poussé de l’observation et de l’expérimentation œnologique, sans doute héritées de sa jeunesse, lorsqu’il assistait son père et son oncle, tous deux vignerons. S’il est vrai que le cellérier d’Hautvillers réfléchit à lutter contre l’effervescence de ses vins pour éviter qu’ils ne deviennent des « saute-bouchons », on lui doit, en parallèle, le perfectionnement du procédé d’assemblage de différents crus et cépage, utilisé encore aujourd’hui dans l’élaboration du champagne. Avant le travail de Dom Pierre, mêler différents raisins, était considéré comme néfaste pour la qualité du vin, tandis qu’au contraire, le moine bénédiction s’en servit pour améliorer ses arômes en mélangeant des fruits d’origines diverses, et non plus seulement ceux provenant d’une seule vigne. Soulignons à ce sujet, que c’est la dîme qui permit cette amélioration. En effet, les vignerons rattachés au territoire de l’abbaye d’Hautvillers devaient donner aux bénédictins une partie de leur récolte. Le cellérier avait ainsi un large panel de grappes dans lequel il pouvait piocher pour réaliser d’innombrables mélanges.
Quant à la renommée du champagne français, elle n’apparaît qu’au XVIIIe siècle, bien que Charles Perrault mentionne dès 1692 l’existence d’un « pétillant vin de Champagne ». Il fallut d’abord que les producteurs français, s’approprient les usages anglais de la bouteille en verre et du bouchon de liège. Il faut surtout attendre 1728 quand Louis XV fit une exception législative permettant le transport du champagne en bouteilles, les seules capables de le contenir, et non plus en tonneaux dont l’usage restait obligatoire pour les vins traditionnels. Au XIXe siècle, la renommée grandit encore et le procédé de double fermentation de continuer à se perfectionner. Et cette fois-ci grâce à un Français, Louis Pasteur, et ses travaux sur la levure. C’est aussi à cette époque que les négociants continuent de développer la vente du vin pétillant. Qui dit commercialisation, dit marketing, et dès le XVIIIe siècle, il y eut une querelle, qui opposait les corps médicaux de Champagne et de Bourgogne, à propos de la supériorité de vin de Reims, sur celui de Beaune, pour ce qui est de ses vertus thérapeutiques, notamment ses effets antiseptiques, et son usage contre les fièvres putrides.
Tandis qu’en 1815, au Congrès de Vienne, Talleyrand tente de sauver la France de la rapacité des alliés européens voulant venger les victoires de Napoléon, le champagne arrose toutes les réceptions diplomatiques qui jalonnent les dix mois du congrès. D’aucuns prétendirent même, que le mousseux servi lors des entretiens donnés par le ministre de Louis XVIII, permit un retour en grâce de la France qui, malgré Waterloo et l’occupation, conserva ses frontières de 1791. Enfin la région Champagne, c’est aussi Reims et le sacre ! Et on sait que le couronnement de Louis XIV fut célébré par plusieurs centaines de verres de vin de champagne. On peut également relever que Reims reste attaché au baptême de Clovis et voir dans le champagne, l’héritage d’une tradition baptismale. Du Titanic au Concorde, chacun connaît bien la coutume de baptiser, un navire, un appareil, un bâtiment, une découverte scientifique et même une victoire ou une prouesse sportive, par une bouteille de champagne. Les Anglais, très attachés à leur marine, affirment même « A boat that hasn’t tasted wine will taste blood »[1].
Depuis 1994, la méthode dite « champenoise » est protégée par le droit européen et exclusivement réservée à la région française éponyme. Reste que le vin français, bien que protégé, ne finit pas de faire des remous. En 2021, dans le canton de Vaud, en Suisse, la petite commune de Champagne tente depuis plusieurs années d’associer la mention « commune de Champagne » à ses vins blancs, même si la justice suisse continue de donner raison aux producteurs français.
Léopold Buirette
[1] Un navire qui n’a pas goûté au vin, goûtera au sang.