C’est une journée qui va marquer le point de départ d’un changement institutionnel important pour la France. Le 13 mai 1958, Alger est en ébullition. Une manifestation en faveur de l’Algérie française va tourner à l’insurrection armée. Un Comité de salut public se met alors en place, composé de divers représentants de la société, mais sévèrement encadré par les militaires. A ce coup d’état, il faut un chef. Bien avant le général de Gaulle qui va devenir l’homme de la situation, certains officiers proposent un autre nom : celui du prince Louis Napoléon, prétendant au trône impérial.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les partis politiques de l’époque font le choix de revenir au régime parlementaire. La IVème République va rapidement tomber dans l’anarchie en moins d’une décennie. Les gouvernements succèdent aux gouvernements, tous incapables d’obtenir des majorités susceptibles de les maintenir au pouvoir sur la longue durée. De fortes tensions ont éclaté en Algérie française dans un contexte particulièrement lourd, celui de la défaite de la France en Indochine en 1954. Acculé, l’appareil militaire a pointé du doigt les responsabilités de Paris qui négociait avec l’ennemi tout en lui demandant de tenir ses positions. Une trahison durement ressentie par l’armée L’annonce de la nomination de Pierre Pflimlin comme Président du conseil en mai 1958 est vécue avec horreur par les Pieds-noirs. L’homme est connu pour être un partisan de la paix et prêt à négocier avec le Front de Libération nationale (FLN), les indépendantistes qui se sont signalés par leur radicalité en assassinant des Français. Par la voix du général Salan, l’armée a prévenu qu’elle n’accepterait pas l’alsacien Pflimlin pourtant investi des pouvoirs par la Chambre.
Confusion à Alger
Des manifestations contre ce nouveau gouvernement éclatent et vont tourner à l’émeute. La capitale de l’Algérie française renoue avec sa réputation de ville de tous les complots. Les réseaux gaullistes s’activent afin d’imposer la figure du général de Gaulle, pourtant désavoué électoralement par ses compatriotes, en pleine « traversée du désert », comme le sauveur d’un état en pleine déliquescence. Mais sans faire l’unanimité. Certains souhaitent que d’autres noms prennent la tête de l’hétéroclite Comité de salut public (CSP) qui vient de se former. Des membres du CSP comme Robert Martel appellent déjà au renversement de la IVème République. Ce royaliste mystique, surnommé le Chouan de la Mitidja, ne cache pas ses velléités putschistes. Il peut compter sur les militants de l’Union royaliste d’Algérie, branche militante de l’Action française. La perspective de remettre un roi n’enchante guère le CSP et l’idée de faire appel au prince Henri d’Orléans, est rapidement écartée au profit d’un autre plus consensuel. Du moins pour une partie des officiers dont trois tiennent la tête du CSP : le prince Louis Napoléon.
La solution Napoléon
Descendant du prince Jérôme Napoléon, frère de l’empereur, le prince Louis Napoléon s’est engagé dans la Légion étrangère afin de combattre le nazisme et ainsi contourner la loi d’exil qui frappe sa maison depuis 1886. Résistant, arrêté puis libéré, il rejoint immédiatement le maquis où il manque de mourir lors d’une attaque allemande en 1944. C’est un héros qui connaît bien l’Algérie. Parmi ceux qui complotent en sa faveur, le colonel Jean-Robert Thomazo, « bonapartiste et proche du prince » selon le Centre d’études et de recherches sur le bonapartisme (CERB) qui a consacré en 2018 un dossier complet à ce chapitre de l’histoire de France. Il assure la liaison entre tous les officiers y compris ceux qui sont en Corse. Sur l’île de Beauté, c’est l’effervescence au sein du Comité central bonapartiste (CCB), un mouvement politique dominant. Loin de la métropole, on tente de mettre en place les jalons du futur IIIème empire. L’objectif est clair : « Que l’on popularise le nom de Napoléon, que le prince soit désigné, salué, et l’armée que l’on a approché, le soutiendra » affirment les officiers concernés.
En Algérie, l’armée est en grande partie bonapartiste
Le prince Napoléon est loin d’être un inconnu pour le gouvernement. Son nom a été cité dans un mystérieux attentat orchestré contre le général Salan en 1957 par le « Comité des Six ». Parmi les personnes suspectées d’avoir participé à cette tentative d’assassinat, le prétendant au trône dont les agissements intriguent une partie de la classe politique qui s’inquiète de cette résurgence bonapartiste. Bien qu’il ait dissous l’Appel au Peuple (mouvement parlementaire) en 1939 afin d’éviter que l’appareil militant ne tombe entre les mains des nazis, le prince Louis Napoléon peut compter sur de nombreux soutiens dans tous les partis, y compris chez ceux du général de Gaulle. Entre décembre 1957 et janvier 1958, le prince impérial est en Algérie. Il multiplie les rencontres importantes, militants, officiers bonapartistes ou élus nostalgique de l’empire. Il dispose d’un tissu local qui ne laisse pas de place aux doutes pour certains. Selon Serge Bouchet de Fareins, fils du colonel du même nom, « en Algérie, l’armée était en grande partie bonapartiste ».
Une restauration manquée
La situation préoccupe le prince qui revient très rapidement en Algérie. Le 5 mai 1958, date symbolique en soi puisqu’elle correspond à la date anniversaire de la mort de Napoléon Ier, il se rend à Sétif où « par sa présence, il apporte aux soldats le réconfort et la confiance de la France Nationale ». Cinq jours plus tard, il assiste à la messe célébrée en hommage à Napoléon à l’église Marie-Saint-Charles de l’Agha d’Alger. Le colonel Thomazo et le général Cherrière le pressent de répondre à son destin. Tous deux en sont sûrs, la foule acclamera le prince de 44 ans comme son chef d’état. La presse se fait l’écho de ces réceptions qui se multiplient autour du prince Louis Napoléon. Pourtant, le prétendant tergiverse face à cette aventure incertaine. Il demande l’établissement d’un référendum qui se prononcerait sur son nom. Pour les complotistes, la situation exige qu’il prenne une décision immédiatement et tentent de le faire fléchir. En vain. Il se dit légaliste, du moins soutiendra-t-il une telle action si le général de Gaulle prend sa place.
Jusqu’au dernier moment, les partisans du prince ont cru qu’il changerait d’avis face à la réussite du coup d’état. En Corse, les bonapartistes ont sécurisé les bases militaires, Paris craint désormais que les parachutistes ne sautent sur la capitale. Tout porte à croire que le prince Napoléon aurait pu être ce Bonaparte, l’homme providentel d’une France exsangue. Désormais la voie du pouvoir est ouverte pour le général de Gaulle et c’est son nom que le général Salan (qui assume provisoirement les pouvoirs civils et militaires en Algérie) va crier au balcon du gouvernorat général sous les acclamations générales. La IVème république est désormais en sursis, l’idée impériale a vécu en Algérie française. Une nouvelle page de l’Histoire de France commence et elle va profondément marquer les français.
Frederic de Natal