C’est un monument qui trône au milieu de l’une des places les plus fréquentées de la capitale, celle de la Concorde. Avec ses 22 mètres de haut, l’obélisque est un cadeau de Méhémet Ali, alors vice-roi d’Égypte, au roi Charles X en signe de bonne entente entre les deux pays. Depuis janvier, ce vieux monolithe en syénite, qui ornait autrefois un des temples dédiés au dieu Amon, s’offre un nettoyage de luxe. La Revue Dynastie revient sur la formidable histoire de ce monument, témoignage ultime des richesses de l’Égypte antique et qui a rapproché Paris de la Vallée des Rois.
Son ascension a été fulgurante. Natif du pachalik de Roumélie (Grèce) Méhémet Ali est le fils d’Ibrahim Agha, qui est à la fois le commandant d’une milice d’irréguliers et un marchand de tabac, et de Zainab, la fille du gouverneur de la ville Husain Agha. Il est au cœur du pouvoir des mamelouks lorsque celui-ci est considérablement affaibli par les troupes françaises du général Bonaparte. Profitant de la faiblesse du régime et de l’anarchie qui s’installe, Méhémet Ali profite de l’occasion pour s’arroger les régalia vacantes (1805). N’étant pas en mesure de s’opposer à lui, la Turquie ottomane s’empresse de reconnaître son accession sur le trône comme Wali d’Égypte, du Soudan, de Syrie, du Hedjaz, de Morée, de Thasos et de Crète. Après s’être débarrassé des derniers chefs militaires mamelouk au cours d’un repas, six ans plus tard, Méhémet Ali va profondément réformer l’antique Égypte et lui donner ses premières structures d’état. Une révolution industrielle qui permet au pays d’occuper en 1830, le cinquième rang mondial pour les broches à filer le coton par têtes d’habitant.
Une entente cordiale entre l’Orient et l’Occident
C’est à cette époque qu’il décide de faire cadeau au roi de France, Charles X, de deux obélisques érigés devant le temple de Louxor, des XVIIIe et XIXe dynasties (entre -1500 et -1180) de l’antiquité égyptienne. Un signe de « bonne entente et de réconciliation » après que la défaite de sa flotte à Navarrin alors qu’il est venu en aide aux ottomans malmenés en Grèce. Dans les négociations avec Méhémet Ali, un nom, celui de Jean-François Champollion. Considéré comme le père de l’égyptologie, on lui doit les premières traductions des cartouches ptolémaïques en 1821 et la découverte d’une rosette. Il a navigué de l’Empire à la Restauration avec aisance, évitant de se mêler de politique, laissant sa seule passion pour l’Orient guider ses pas en Égypte. Il envoie des rapports au gouvernement, écrit, fait part de ses observations et évoque ce « palais immense, précédé de deux obélisques de près de quatre-vingts pieds, d’un seul bloc de granit rose d’Assouan, d’un travail exquis, accompagnés de quatre colosses de même matière, et de trente pieds de hauteur environ, car ils sont enfouis jusqu’à la poitrine ». A son retour de Paris, une commission donne son accord pour la construction d’un trois-mâts qui sera chargé de transporter un des obélisques vers sa nouvelle destination et que l’on baptisera du nom de « Louxor » (novembre 1829).
Le périple du Louxor
Un an plus tard, les deux États signent un protocole d’accord officialisant la cession à la France des deux obélisques (Champollion a convaincu Méhémet Ali d’offrir les deux à son pays en lieu et place d’un seul, le second étant réservé aux britanniques). L’ampleur de la tâche est telle qu’on décide d’abord d’en acheminer un seul, laissant le second en place. Entre temps, la monarchie a changé et c’est désormais à Louis-Philippe Ier que va revenir le privilège d’inaugurer ce cadeau pharaonique. Un voyage de trois ans que n’aura pas le temps de voir Champollion qui décède. Il faudra encore trois années de plus pour que ces blocs de granit de 230 tonnes arrivent sur la place de la Concorde. Bancs de sables, tempêtes, Nil en crue, rien n’aura été épargné aux marins du Louxor, l’ingénieur du génie maritime Apollinaire Lebas et le Lieutenant de vaisseau Raymond de Verninac-Saint-Maur dont la patience est mise à rude épreuve. A croire que les Dieux égyptiens étaient courroucés.
Le triomphe de la monarchie de Juillet
Le temps que l’obélisque de 22 mètres de haut arrive dans la capitale française, une polémique éclate concernant les représentations du socle qui doit l’accueillir. Si on voit bien des babouins dressés sur leurs pattes arrière, les mains en l’air, il est une autre partie du corps, leurs sexes, qui est clairement visible. Il faut commander de toute urgence un autre socle et on s’empresse de remiser celui-ci (par pudibonderie) dans les collections du musée du Louvres. L’arrivée de l’obélisque à Paris, le 25 octobre 1836, va devenir une source de stress pour la monarchie de Juillet qui sort à peine d’une tentative d’assassinat du roi Louis-Philippe quelques mois auparavant. Le roi des Français craint que l’opération de montage de l’obélisque soit un échec et attend patiemment derrière des rideaux de l’hôtel de Marine que celui soit effectué, prêt à partir afin d’éviter le ridicule. Ouf de soulagement après des heures d’attente. Une fois celui-ci sur son socle, la famille royale apparaît alors au balcon, superbe mise en scène qui achève de réconcilier les français autour des mystères de l’Orient. 200 000 personnes s’étaient rassemblées sur le lieu même où avaient été guillotinés le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette en 1793. En remerciement, Louis-Philippe d’Orléans enverra une horloge placée sur la citadelle du Caire mais qui ne marchera jamais, endommagée durant le voyage.
Fin de règne pour deux souverains
Face aux difficultés rencontrées pour l’acheminement du premier obélisque, personne ne songera à aller chercher le deuxième qui restera en Égypte. Il faudra attendre 1981 pour que le président François Mitterrand restitue le second obélisque au pays de Méhémet Ali. Les relations entre la Sublime Porte et le Wali se ternissent peu de temps après les négociations avec la France. Redoutable chef militaire, il va menacer Constantinople à deux reprises. C’est la Grande-Bretagne qui va aider le sultan Abdülmecid I à rétablir son autorité sur son vassal (1841) qui est le grand perdant de cette rivalité (licenciement de l’armée égyptienne, démantèlement de ses monopoles et politique de libre-échange imposée par les Britanniques). Ironie de l’histoire, il sera déposé au même moment que le roi des Français victime d’une révolution et abdiquera en septembre suivant. Il meurt en 1849, âgé de 80 ans.
En janvier dernier, l’obélisque a commencé à s’offrir une seconde jeunesse. Restauré une première fois en 1962 à l’initiative d’André Malraux, l’obélisque a été doté depuis d’un pyramidion à la tôle de bronze doré à la feuille d’or (1998). Outre les hiéroglyphes présents (dont un cartouche de Ramsès II), deux des quatre faces racontent le prélèvement, le transport et le remontage de l’obélisque, les deux autres rappelant le patronage du roi des Français et l’engagement égyptien de la France depuis la campagne du général Bonaparte.
Frederic de Natal