Population en déclin, arrivée massive d’étrangers, la monarchie hawaïenne devient bientôt assujettie aux puissances commerciales qui commencent à gangrener l’institution royale. Le coup d’état américain qui met fin au règne de la reine Liliʻuokalani va signer la fin de l’indépendance de l’archipel. Face à l’anarchie, une figure va émerger et incarner la résistance des hawaïens. La Revue Dynastie revient sur le destin de la princesse Ka‘iulani.

Née en 1875, d’un mariage mixte entre la sœur du roi régnant, Kalakaua, et le commerçant écossais Archibald Scott Cleghorn, son action témoigne des derniers soubresauts des locaux contre la perte d’indépendance d’Hawaï. Alors que sa mère décède quand elle n’est encore qu’une jeune enfant, le père de Ka‘iulani ( Victoria Kawēkiu Kaʻiulani Lunalilo Kalaninuiahilapalapa Cleghorn ) l’éduque dans les mœurs et pensées Hawaïennes, malgré son sang écossais. Elle nourrit un amour profond pour son peuple et ses îles, traite avec une grande charité et beaucoup de soin ses domestiques, en dépit de son sang royal et l’usage des castes qui refuse tout mélange avec le bas peuple. Elle suit avec grande assiduité les intrigues d’une cour chahutée par ces relations avec les étrangers d’une part, et les problématiques de succession de la monarchie, d’autre part. On apprécie les asiatiques considérés comme des travailleurs pugnaces et altruistes, les occidentaux jugés plus avaricieux et moins soucieux des peuples, qui ont modernisé les îles mais à quels fins ? Le jeu de dupe ne tient plus, elle en déjà est consciente.

Ka‘iulani, jeune princesse @Dynastie

Sa mission se veut claire et bienfaitrice, elle sait que la monarchie hawaïenne a été le vecteur de l’image respectable d’État civilisé dont jouissait les îles. Ces gains au prix d’abandons de souveraineté, complaisamment assentis, aux conséquences fulgurantes, que Kamehameha III diagnostiquait déjà froidement durant son règne (1824-1854). Ses successeurs parvinrent un temps à préserver la monarchie, dernier rempart de leur identité. Mais Ka‘iulani sait qu’elle va devoir lutter contre un géant aux pieds d’étains que sont le poids croissant de l’économie de la canne à sucre et l’immigration. L’annexion semble  assez inéluctable, même dans son esprit combatif et altruiste.

Coup d’état en 1893 : derniers souffles d’une monarchie aussi vite disparue que parue

Alors que la situation s’électrifie, elle se retrouve au milieu d’une légère rixe entre indépendantistes et officiels anglophones, lors d’une représentation à la Cour. Son oncle, le roi Kamehameha V, prend peur pour sa sécurité tout comme le père de la princesse qui décide partir avec elle vers l’Angleterre. Nous sommes alors en 1889, elle a treize ans. Reçue en conséquence de son statut, elle ne pourra en bénéficier dans la stricte instruction qu’elle recevra, victime d’un racisme perceptible à son égard. Cependant, elle profitera de ces années européennes pour faire croitre en elle la volonté de doter son peuple de droits semblables à ceux des Occidentaux, libre et égaux.

« En ce qui me concerne, j’aurais choisi la mort plutôt que de le signer ».  La violence des mots de la reine Liliʻuokalani témoignede toute la douleur qu’elle a du supporter lorsqu’en 1895, les colons lui laissent un choix cornélien :  abdiquer et sauver ses partisans indépendantistes souhaitant la remettre « officiellement » sur le trône, où refuser le paraphe et les savoir envoyés à l’exécution. À contrecœur, la reine signe.  La nouvelle parvient en Europe, cet affront supplémentaire est un outrage de plus que Ka‘iulani veut réparer. En 1893, lorsqu’elle a connaissance du coup d’état, la princesse, profondément meurtrie, souhaite retourner dans son pays aider les siens. La manœuvre est dangereuse et les circonstances tendues ne jouent pas en sa faveur. Elle vagabondera chez les aristocraties et amis européens de son père. Cette période ruinera leurs derniers pécules, contraignant bon gré mal gré un retour à Hawaï. Le coup d’état l’a privé de sa rente princière et par là-même déchue de toute reconnaissance officielle de ses titres royaux. Habile fourberie des américains pour la considérer quand le contexte les y oblige, et pour la minorer quand sa voix se fera trop forte.

Ka‘iulani, héritière d’un trône déchu @Dynastie

Jetée sous le feu des projecteurs elle rencontre informellement le couple présidentiel américain et défend dès lors sa cause. Elle n’a pas encore dix-huit ans que son statut de princesse royale prend déjà tout son sens dans ses actions. Timides et réservée, elle surpasse vite ce caractère par une fougue et une volonté d’être fer de lance de son combat. Sa candeur n’en fait pas une potiche niaise et primitive, a contrario, dès lors toutes l’instruction reçue outre-manche se ressent. Elle a appris l’histoire, la diplomatie, les mœurs, les uses et méthodes occidentales, les contre-feux attisés par les étrangers pour la duper ne passent pas.

Le retour sur la terre de ses ancêtres

Un jeune juriste américain, William L.Lee, est l’instigateur du vote du 10 Juillet 1850. Lequel dote les étrangers des mêmes droits d’achat et de cession des terres que les locaux. Les terres dès-lors achetées des décennies durant par les étrangers ont été bradées de bonne grâce par les hawaïens, se dépossédant indirectement de leur patrimoine et de leurs futurs droits civiques. Si l’année 1895 est marquée par une révolution et le choléra, cela n’empêche pas les colons de faire des profits. Sur les 14 millions de dollars générés sur l’atoll, 12 millions passent dans les caisses des États-Unis. Sur les 8.5 millions de dollars d’exportations, 8.4 millions sont destinés aux américains. Bien que non majoritaire parmi les étrangers, le piège est fermé, les étrangers se sédentarisent sur les îles, les locaux émigrent.

Ka‘iulani, une princesse et une allégorie @Dynastie

Quarante-trois ans, voici le temps qu’il a été nécessaire aux américains pour renverser la vapeur dans ce comptoir à steamers. Ces dernièrs ne prirent pas le temps d’enfiler des perles lorsqu’il s’agit de devenir maîtres de l’île d’Ohau, épicentre du pouvoir sur l’archipel d’Hawaï. Wai Momi, « l’eau à perles » en Hawaïen, lieu désormais célèbre pour abriter depuis la fin du XIXème siècle, une base militaire, pivot névralgique en plein Pacifique, a vécu nombres de chamboulements pour en arriver là. Malgré les progrès des bateaux à vapeur, et la baisse d’intérêt des ports de relâche, en 1897 à Honolulu, 120 escales de steamers réguliers ont été décomptées. Intermédiaire précieux des routes commerciales entre les Amériques, le Japon, la Corée, les Philippines et les îles de la Sonde, la découverte de l’or californien et l’essor des activités au Kamtchatka Russe et en Chine Méridionales, renforcent l’importance de ces îles et son potentiel  comme son attrait commercial. En 1896, pour 69 000 étrangers on compte seulement 3 000 américains. Chinois, japonais et portugais sont bien plus nombreux, mais aux antipodes des américains puisqu’ils ne recherchaient qu’individuellement leurs commodités et non celles de leur nation.

Ka‘iulani débarque à Honolulu en 1897, son élégance et sa clairvoyance charment tout son peuple qui voit en elle une libératrice inespérée. Les étrangers se sentent obligés de bien la considérer tout en se méfiant d’elle, devenue le symbole de la résistance aux colons. Avec l’appui de quelques américains insatisfaits des traitements réservés aux locaux, elle parvint à obtenir le droit de vote l’ensemble de son peuple.

Une monarchie brisée entraînant sa princesse à sa perte

Les hawaïens périclitent et ne représentent alors que 36% de la population, avant de chuter à 20% en 1910. En 1898, la fantoche république « demande » et obtient son admission au sein du Commonwealth américain. Le titre de territoire fédéral, le statut d’état ne fut accordé qu’en 1959…Ne pouvant que constater les dégâts, impuissante bien que jamais résignée la princesse Ka‘iulani décèdera un an plus tard, alors qu’elle n’a que vingt-trois ans. Sa tristesse au constat de l’échec d’une mission, dont elle a trop tôt supporté le poids, reste sans doute la cause de son décès. La « Princesse Paon » sera pleurée par son peuple, dernière perle d’Hawaï qui partit le cœur brisé par le sort réservé à sa terre.

Adrien Moquet