Née des amours furtives de l’empereur Napoléon Ier et d’Éléonore Denuelle de la Plaigne, c’est une lignée oubliée de la légende napoléonienne. La Revue Dynastie revient sur le destin de ces comtes Léon, une famille qui a inscrit son nom prestigieux par la petite porte de l’Histoire.

Caroline Bonaparte (1782-1839) est la troisième et dernière fille de Charles Bonaparte et de Laetizia Ramolino. Gracieuse, charmante, elle aussi caractérielle qu’ambitieuse. Elle adore son frère, Napoléon, mais n’hésite pas à lui tenir tête quand il le faut. Elle a 15 ans quand elle tombe amoureuse de de Joachim Murat, deux fois son aîné. L’homme s’est déjà taillé une solide réputation de cavalier durant les batailles de Dego et de Mondovi, lors de la campagne d’Italie. Pourtant, le général Bonaparte se méfie de ce fils d’aubergiste à qui la rumeur publique prête une liaison avec son épouse, Joséphine de Beauharnais. Il va céder à sa sœur à qui il ne peut rien refuser finalement et qui épouse son bel officier en 1800. Avec la fin du Directoire, le Consulat puis l’Empire, Caroline Murat devient l’égérie d’une institution qui allie république et monarchie. La future reine de Naples s’installe alors au Palais de l’Élysée qu’elle a fait redécorer. C’est dans ce contexte qu’elle reçoit une lettre d’Éléonore Denuelle de la Plaigne, une ancienne camarade de la pension Mme Campan à Saint-Germain en Laye.

La reine de Naples Caroline Murat@wikicommons/Dynastie

Un complot familial 

La jeune fille a épousé un séduisant capitaine des dragons, Jean-François Revel. Mais le mariage s’est vite révélé être une catastrophe. L’officier a été condamné pour abus de confiance et traîne désormais ses guêtres dans une prison. Sensible à ses écrits, Caroline va recevoir Éléonore Denuelle de la Plaigne et reste frappée par son apparence. Grande, mince, longs cheveux noirs, visage modelé, peau satinée, une beauté de son époque. Celle qui n’est encore que grande-duchesse de Berg, comprend tout l’intérêt qu’elle peut tirer de cette amie qu’elle engage comme lectrice. Ses relations avec Joséphine de Beauharnais sont à couteaux tirés. Mal acceptée par les Bonaparte qui regardent cette créole comme une étrangère, ils lui reprochent aussi d’être incapable de mettre au monde un autre enfants, après les deux qu’elle a eu avec son mari, le vicomte de Beauharnais que la Révolution française a guillotiné. Éléonore Denuelle de la Plaigne sera parfaite pour remplir le rôle et pourquoi pas provoquer enfin le divorce tant attendu. Napoléon Ier ne tarde pas à la remarquer et il faut peu de temps au conquérant de l’Europe pour livrer nouvelle bataille sous les draps de soie de son lit dès janvier 1806.

Napoléon Ier et ’Éléonore Denuelle de la Plaigne@wikicommons/Dynastie

 

Une paternité au pas de charge pour Napoléon Ier

Le plan de Caroline va atteindre son premier objectif fixé. Les assauts de l’Empereur ont porté leurs fruits. L’Aigle a son premier aiglon et on va s’empresser d’installer Éléonore Denuelle de la Plaigne dans un hôtel cossu de Paris où elle accouche peu avant noël 1806. Elle sollicite l’autorisation de donner au garçon le nom de son père. Alors en Pologne, rassuré de constater que le problème ne vient pas de ses petits soldats, Napoléon lui répond : « La moitié seulement ! » avant de doter la mère d’une petite fortune et de la délaisser complètement. Pour Éléonore Denuelle de la Plaigne, cette naissance à prix d’or est assez encombrante. Léon sourit à une vie qui ne lui sera pas tendre. Officiellement, il est issu d’un « père absent ». Napoléon va se charger de trouver un mari convenable à cette femme dont l’histoire nous dit qu’elle s’ennuyait fortement lors des charges impériales. Pierre-Philippe Augier de la Sauzaye, capitaine dans un régiment de cuirassiers, fera l’affaire. Mari discret, aimant, il donnera sa vie en Russie lors du passage de la Bérézina. Un troisième mari, Éléonore Denuelle de la Plaigne, traversera les régimes avant de mourir en 1868, préalablement dotée par Napoléon III.

Jeune et vieux comte Léon@Flickr/Dynastie

Waterloo est vengé 

Bien qu’elle n’ait pas la fibre maternelle, Léon sera un enfant épanoui, recevant une bonne éducation et qui va prendre un nouveau patronyme avec l’accord de Napoléon. Prière de l’appeler Charles Léon, agrémenté d’un titre de comte et d’un blason. Jusqu’à la naissance de son héritier en 1811, Napoléon Ier fera amener régulièrement son premier fils aux Tuileries avec lequel il joue. L’empereur est un père attentionné. Un bref répit pour lui quand il ne s’occupe pas de redessiner la carte de l’Europe. En grandissant, Charles Léon va de plus en plus ressembler à son géniteur. A la chute du Premier empire (1815), le comte Léon ne reverra plus jamais l’Aigle déplumé par les puissances coalisées. Il brûle d’indépendance et en 1823, ne tenant plus, fausse compagnie à son tuteur pour rejoindre sa mère en Allemagne. Les relations avec celle-ci et son mari, le comte Kraft de Crailsheim, sont épouvantables. Pire, le jeune homme se lie d’amitié avec des étudiants révolutionnaires. Renvoyé vers Paris, il peut enfin toucher son important leg à sa majorité. Une fortune qu’il va dilapider, faisant preuve d’immaturité, se laissant aller aux plaisirs offerts par la capitale française. Il s’endette, provoque en duel un supposé fils adultérin de Wellington qu’il tue d’une balle en plein cœur. Par une certaine ironie de l’Histoire, le comte Léon a vengé Waterloo.

Article paru dans l’Illustration en 1937

 

Un comte ruiné

Passage par la case prison, la fuite à Londres où il vient toquer à la porte de son oncle Joseph, plus bienveillant que la main dans le porte-monnaie. Il entre en contact avec son cousin, Louis-Napoléon mais ce dernier refuse de le recevoir. Irrité par ce dédain, il le provoque en duel qui sera heureusement stoppé par les services de Scotland Yard, horrifiés d’apprendre que deux Bonaparte aux origines incertaines menacent de s’entretuer sur le sol de sa Gracieuse Majesté. Il repart à Paris, connaît diverses fortunes et au plus fort des événements de 1848, songe à se présenter comme Président de la République. Il y renonce sous un fallacieux prétexte familial, cachant la véritable raison que nul n’ignore. Le comte Léon, toujours à la mode, est presque ruiné. Adepte de l’utopisme, il revendique publiquement son ascendance, tente de se faire vainement élire à l’Assemblée nationale. Il tient sa survie financière grâce à Napoléon III, passablement irrité par cet homme qui a fait souche, entre-temps, père de 6 enfants entre 1862 et 1868. La fin du Second Empire signe celle du comte Léon. Sa demeure est vendue, les tableaux reçus en héritage de Napoléon Ier mis aux enchères, Charles Léon n’est plus que l’ombre de lui-même. Il meurt, sans le sou, en mai 1881, laissant son épouse esseulée et contrainte de jouer les femmes de ménage chez les bourgeois de Pontoise.

Le dernier des comtes Léon @wikicommons/Dynastie

Une descendance prolifique, un titre éteint

Que sont devenus ses descendants ? Charles (1855-1894), 2e comte Léon tente l’aventure boulangiste comme bon nombre de bonapartistes persuadés que le général va restaurer l’empire au nom du prince Victor Napoléon. Cette incursion en politique ne sera pas un franc-succès et il part tenter l’aventure au Venezuela en ouvrant une entreprise de travaux publics. Décédé sans postérité, c’est son frère Gaston (1857-1937) qui hérite du titre sans fortune de sa famille. Commercial pour la Maison Larousse, il est modeste, un employé modèle qui s’amourache de la Gascogne. Il dirige les affaires familiales, du moins ce qu’il en reste et se demande quel sera l’avenir de son frère Fernand (1861-1918) devenu écuyer dans le cirque du célèbre Buffalo Bill. Une aventure américaine loin de ses cousins Bonaparte-Patterson qui vont graver le nom de la famille impériale dans les annales du FBI en devenir. Une de ses sœurs, Charlotte (1867-1946), a fait un petit mariage, brièvement institutrice en Algérie. Pour son décès, Gaston Léon aura droit à des obsèques locales quasi nationales. La direction des Editions Larousse se fendra d’un message à sa veuve : « Nous avons toujours apprécié la parfaite honorabilité et l’entière correction en affaires de votre regretté mari…». Il avait redoré avec simplicité le blason terni de sa famille, quelque peu ignoré des napoléonides.

De son mariage avec Marie-Ernestine Fiot, le comte Gaston Léon a eu 6 enfants dont Gaston (1886-1976), 4e comte Léon, et Charles (1911-1994). Si le premier a été, un bonapartiste convaincu,  représentant dans les vins et alcools puis à la future RATP, le dernier comte Léon partageait une extraordinaire ressemblance avec son ancêtre. Régisseur de domaine, président de la fédération des apiculteurs, ce colombophile averti a été résistant (membre des FFI et décoré de la Croix de la Libération et de la Croix d’Honneur avec rosette), peut s’enorgueillir de quelques faits d’armes. Il était fier de ses origines, refusant toutefois de revendiquer tout honneur sur le sujet. A son décès, le titre s’est éteint avec lui, laissant derrière lui, une fille et une petite-fille, derniers représentants de la lignée des comtes (Napo-) Léon.

Frederic de Natal