Le décès du prince Sharif Ali Ben Al-Hussein survenue le 14 mars a été suivie par une pluie d’hommages nationaux. Il était l’héritier d’une royauté héréditaire renversée dans le sang en 1958. Créée de toutes pièce par les britanniques peu de temps après la chute de l’empire ottoman, les ressources naturelles de la monarchie irakienne ont été l’objet d’une âpre dispute entre nationalistes et européens. L’occasion pour la Revue Dynastie de revenir sur le destin de cette royauté éphémère. 

Partie intégrante de l’empire Ottoman depuis le XVIe siècle, l’Irak n’a jamais eu de réelles frontières et a toujours été au centre d’un conflit entre la Sublime Porte (Turquie) et la Perse voisine (Iran). La Première Guerre mondiale, qui voit naître les principaux mouvements nationalistes arabes, va permettre aux britanniques et aux français de se partager le gâteau mésopotamien, riche en ressources naturelles. Notamment en pétrole. Sous mandat britannique, l’État d’Irak est officiellement formé le 11 novembre 1920. Non sans certaines difficultés. Après avoir réprimé une rébellion des chiites irakiens, on s’empresse de doter l’Irak d’une Constitution monarchique et de placer sur son trône le prince Faysal ben Hussein al Hashemite; Un sunnite âgé de trente-six ans. Étrange cérémonie, ce 23 août 1921, pour un homme que l’on couronne sous les notes du God save the King britannique et devant les yeux d’une population incrédule. Il est pourtant loin d’être un inconnu. Il a été l’un des leaders de la grande révolte arabe au côté du fameux Lawrence d’Arabie et il est monté brièvement sur le trône de Syrie (mars à juillet 1920) avant d’en être chassé par les Français qui transforme son royaume en mandat. Enfin, sa famille garde les lieux saints de la Mecque situé au sein du royaume du Hedjaz, convoité par la tribu des Saoud. Un curriculum vitae qui a vite achevé de convaincre les britanniques de le désigner sur ce trône créé de toutes pièces

Le roi Faysal I (droite) et le roi Ghazi (gauche) @Dynastie

Monarque parlementaire, le roi est vite dépassé par les querelles politiciennes et l’antagonisme chiite/sunnite qui agitent le pays. Si Faysal entend réaliser son rêve panarabe en renforçant l’idée de cohésion nationale, il échoue à rallier les kurdes et les assyriens qui restent dans l’opposition armée. Faysal meurt un an après le départ des britanniques du pays et un mois après le massacre de Simele où l’armée exécute plus de 600 assyriens sur tout le mois d’août 1933. Son fils Ghazi hérite d’un pouvoir qui ne l’intéresse pas. Les gouvernements de coalitions nationales se succèdent (pro-britanniques et nationalistes), les élections sont entachées d’irrégularités, les inégalités sociales se creusent et la colère gronde. Un coup d’État en 1936 chasse les nationalistes du pouvoir et le nouveau gouvernement s’empresse de négocier des traités avec ses puissant voisins. Le roi organise alors un contre-coup d’État en septembre 1937 mais il n’aura pas le loisir d’exercer son pouvoir très longtemps. Alors qu’il se préparait à envahir le Koweït, séparée de l’Irak sur la demande des Britanniques, il meurt dans d’étranges circonstances, lors d’un accident de voiture, le 4 avril 1939. Un décès qui n’a jamais été véritablement élucidé. Son fils et successeur n’a que quatre ans. Faysal II monte sur le trône adjoint de deux régents, son oncle Abdul Illah, et l’omniprésent Premier ministre  Nouri Al Saïd jugé proche des intérêts anglais.

Une monarchie, jouet des puissances

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Irak est loin du front européen, tant militaire que diplomatique, mais c’est une autre guerre qui se joue au Proche-Orient. La Palestine est au bord de la révolte, et son leader, le mufti de Jérusalem, Mohammed Amin Al Husseini, a été exilé à Bagdad. Les nazis s’intéressent de près à ce soulèvement naissant. Le chancelier Hitler rencontre le mufti et lui propose la reconnaissance des nations arabes sous domination britannique en échange d’un soutien au régime allemand. C’est l’alliance de la Svastika et du Croissant. En avril 1941, un coup d’État pro-nazi orchestré par le mufti permet le retour au pouvoir du nationaliste Rachid Ali, déjà deux fois Premier ministre. Pour les nazis c’est un succès qui leur permet d’accéder aux réserves pétrolifères d’Irak quand, pour les Anglais, c’est une coupure avec la route des Indes. En Palestine cependant, c’est un échec. Raul Arafat, le père du futur dirigeant de l’Organisation de Libération de la Palestine, n’arrive pas à déclencher une insurrection. Les britanniques réagissent alors très vite et en mai 1941, reprennent le pouvoir. Nouri Al Saïd est de nouveau Premier ministre. La politique pro-occidentale du gouvernement heurte l’armée profondément inspirée par la révolution égyptienne de Nasser.  La signature du Pacte de Bagdad en 1955 est vécue comme une véritable trahison patriotique.

Le roi Faysal II @Dynastie

Une révolution sanglante 

Toutes les manifestations sont violemment réprimées notamment lors de la crise de Suez, un an plus tard. La création de la République Arabe Unie en février 1958, entre l’Égypte et la Syrie, provoque le rapprochement des deux États Hashémites d’Irak et de Jordanie. On évoque même une fusion territoriale.  Le gouvernement prend alors la décision d’intervenir en Jordanie afin d’aider le roi Talal à consolider son pouvoir après l’assassinat de son père en 1951, à Jérusalem, probablement sur l’ordre du mufti ( ici aussi les circonstances restent mystérieuses). Mais au lieu de passer la frontière, l’armée rebrousse soudainement chemin. Se dirigeant vers Bagdad, la capitale, au son de La Marseillaise, elle s’empare du palais royal le 14 juillet 1958. Date symbolique s’il en est. Le roi est âgé de dix-neuf ans. Cet adolescent qui vient juste de se fiancer, et qui inspira plus tard le dessinateur Hergé dans son personnage d’Abdallah, est immédiatement passé par les armes contre un mur du palais, hurlant de terreur. Le corps de l’ancien régent, mis à nu, est traîné derrière un pick-up dans les rues de la capitale, lapidé et déchiqueté. Le Premier ministre Nouri Al Saïd, déguisé en femme est reconnu et assassiné le lendemain. La monarchie irakienne vient de tomber dans le sang. Elle ne se relèvera plus.

Frederic de Natal