L’Afrique est un continent qui regorge de monarchies traditionnelles. Situés en Côte d’Ivoire, les baoulés appartiennent au groupe Akan, une ethnie majeure de ce pays dont le destin a été étroitement lié à celui de la France durant de nombreuses années et même au-delà de l’indépendance en 1960. Au sein de cette monarchie, la femme est l’élément central du pouvoir royal, symbole de la stabilité du foyer familial et garante du mode de succession matrilinéaire. Son rôle a été défini par les affres de l’Histoire et continue à être honoré chaque année comme l’a récemment rappelé le roi Otimi Kassi Anvo dans un communiqué publié à l’occasion de la journée de la Femme.

Le royaume Baoulé est l’un des plus importants de la Côte d’Ivoire et figure en bonne place parmi les représentants de la Chambre Nationale des Rois et Chefs Traditionnels (CNRCT). Constitué de 1600 villages répartis en 39 cantons, tous dépendent du roi Otimi Kassi Anvo monté sur le trône il y a deux ans. Parmi tous les roitelets qui viennent lui rendre régulièrement hommage, habillés de wax, le pagne traditionnel, couverts d’or de la tête aux pieds, des femmes qui ont acquis des pouvoirs régaliens comparables à ceux des hommes. Une posture que personne n’oserait remettre en question tant la femme baoulé est le centre de cette société traditionnelle. Y compris le monarque lui-même qui a rappelé dans un message à sa nation,  « l’importance du rôle et de la responsabilité de la Femme au sein du Peuple Baoulé ». Un communiqué publié dans divers journaux nationaux comme Le Réveil ou Ivoir’ Soir.

Représentation de la reine Abla Pokou et la Bande dessinée qui lui a été consacrée @Dynastie

Abla Pokou, figure royale légendaire

L’histoire de cette monarchie commence avec la reine Abla Pokou, personnage tutélaire des baoulés, qui figure en bonne place dans les livres d’histoire de Côte d’Ivoire. Nièce du roi Osei Tutu, co-fondateur de l’empire ashanti du Ghana, elle est très proche du trône. Lorsqu’une guerre de succession éclate au cours du milieu du XVIIIème siècle, sentant sa vie en danger après l’assassinat de son frère, l’héritier légitime, elle réunit ses partisans, soldats, serviteurs, paysans et entame avec eux une vaste migration vers un nouveau territoire afin d’échapper aux massacres.  Après des milliers de kilomètres parcourus, la caravane royale est stoppée devant le fleuve Comoé. Rien ne leur permet de traverser sereinement. C’est ici que la légende prend le pas sur l’Histoire officielle et qui nous explique pourquoi la femme baoulé symbolise encore aujourd’hui en Afrique « la renaissance et la survie de l’humanité ».

Priant les dieux de laisser passer son peuple et d’adoucir ce fleuve tumultueux, il est dit que ceux-ci répondirent favorablement à la reine Abla Pokou, exigeant au préalable qu’elle sacrifia le premier de ses nés. Jetant alors son bébé dans l’eau, le miracle se produit : les arbres plièrent alors leurs troncs en direction de la souveraine et les hippopotames formèrent un pont naturel afin de permettre le passage des ashantis. En voyant cela, la reine s’exprima d’une voix très forte : « Bâ wouli » (L’enfant est mort). Une nation venait de naître sans même que l’Europe n’en connaisse son existence. C’est à Sakassou, littéralement le « lieu des funérailles », que cette nouvelle monarchie va prendre racine et devenir un royaume puissant. Aujourd’hui encore, c’est une femme qui règne sur quelques centaines de sujets, vassaux du monarque baoulé. Nanan Akoua Bony II incarne parfaitement le principe d’égalité entre hommes et femmes au sein de cette institution royale de Côte d’Ivoire. Elle a d’ailleurs repris le nom de la souveraine qui a succédé à Abla Pokou à sa mort vers 1760 ou 1770.

Le roi Otimi Kassi Anvo (gauche) et le président Alassane Dramane Ouattara aux côtés de la reine Nanan Akoua Bony II (droite) @Dynastie/DR

Un monarchie régie par le lignage matrilinéaire

« Dans la société Baoulé, la « Matrice de l’humanité » (appelé l’Atonvlé), assure la pérennité de l’institution traditionnelle des alliances et contribue ainsi par sa présence au maintien de la Cohésion Sociale et à la transmission des valeurs » a rappelé le roi Otimi Kassi Anvo dans un communiqué publié à l’occasion de la journée de la Femme, le 8 mars dernier.  Un des socles de la monarchie baoulé est « la transmission du pouvoir en ligne utérine (…) et seules les personnes qui descendent directement en ligne utérine du fondateur du clan héritent du pouvoir, réceptacle des ancêtres fondateurs et de leur patrimoine mystique et financier » indique  Pascal Christian sur son  blog multiculturaliste . « Lorsqu’il y a une crise grave et qu’aucun descendant matrilinéaire n’est trouvé apte et digne, les femmes du matriclan peuvent alors désigner un de leurs descendants en ligne mâle comme chef de village ou de tribu ou canton ou comme roi » ajoute cet ingénieur agronome qui souhaite partager sur la toile tous les trésors de l’Humanité qui existent, constellés de leurs nuances. Ainsi, on apprend également que l’on « ne peut hériter que quand on appartient au clan maternel de sa mère. L’enfant Akan appartient sociologiquement au matrilignage de sa mère. Il n’appartient pas à la famille paternelle de sa génitrice. L’enfant d’une mère descendante en ligne mâle du clan royal n’a aucune légitimité successorale dans le clan paternel de sa mère » poursuit Pascal Christian qui nous livre ici toute la complexité de la succession héréditaire chez les baoulés.

Miss Côte d’Ivoire, Olivia Yacé @Africa

Une femme baoulé, dauphine du concours de Miss Monde 2022

Symbole de puissance, la reine baoulé est à la fois crainte et contestée. Un rôle qui lui confère « la fonction de « Première Conseillère du Roi dont elle assure la protection, portant la responsabilité d’examiner la généalogie des prétendants au trône » souligne Otimi Kassi Anvo. Un pouvoir loin d’être théorique puisqu’il a permis à Nanan Akoua Bony II de s’ingérer dans le débat national et d’appeléer solennellement les ivoiriens « à faire preuve de plus de cohésion et d’unité » en octobre 2021. A titre comparatif avec nos monarchies européennes, elle est honorée du titre de « Reine-mère » au sens générique du terme depuis 2019 puisqu’elle n’est pas la mère du monarque actuel. Réunis en congrès, les 26 députés descendants du royaume Baoulé ont décidé de rendre hommage à ce lignage prestigieux qui a permis la fin d’un récent conflit de succession.

Souhaitant « faire évoluer son rôle dans les différentes instances [de la monarchie-ndlr] », le roi Otimi Kassi Anvo a réitéré dans son communiqué, « son attachement au respect et à la promotion des droits de la Femme au sein de son Royaume et au-delà de ses frontières ». Un appel qui a été entendu par la première des femmes baoulés.  Miss Côte d’Ivoire, Olivia Yacé, 22 ans, a été élue deuxième dauphine du concours de Miss Monde 2022 organisé cette semaine.  Simplement royal !

Frederic de Natal