C’est le monument le plus célèbre d’Inde, un temple dédié à l’amour, le témoin immuable et majestueux de l’histoire moghole. Havre symbolique de paix, le Taj Mahal est visité par des millions de personnes chaque année. Pourtant, durant plusieurs semaines, il a été au centre d’une vive polémique. La petite-fille du dernier maharaja de Jaipur, la députée nationaliste Diya Kumari, a affirmé que le mausolée avait été construit sur un terrain acheté par sa famille et en a revendiqué la propriété. Ce que réfutent les historiens et l’actuel descendant des empereurs moghols.
C’est le symbole par excellence de la puissance politique et de l’art moghol, cette dynastie qui a dirigé l’Inde de 1526 à 1857 avant d’être détrônée par les Britanniques. Afin d’honorer la mémoire de sa troisième épouse Arjumand Bânu Begam, décédée en 1631, dont il était profondément épris, l’empereur Shâh Jahân ordonne l’élévation du Taj Mahal. Une construction qui prendra plus de 20 ans, usant 20 000 ouvriers et un millier d’éléphants. Un temple de l’amour devenu une attraction touristique majeure. Le mausolée est devenu au fil des siècles un objet de fascination mais également de convoitise. La députée du BJP, la princesse Diya Kumari, membre de la famille royale de Jaipur, a affirmé dans un communiqué que l’édifice avait été construit sur un terrain appartenant à sa famille, documents à l’appui selon elle. Une déclaration qui a déclenché une vaste polémique et qui a fait réagir des historiens et des descendants des empereurs moghols.
La princesse Diya Kumari revendique le Taj Mahal
Le 11 mai dernier, Diya Kumari a réuni des journalistes et déclaré que l’empereur Shâh Jahân avait occupé illégalement les terres de sa famille. « Je suis conscient que c’était le gouvernement moghol. Mais même aujourd’hui, si un gouvernement vous achète des terres, il vous verse une indemnisation et j’ai entendu dire qu’aucune indemnisation n’avait été accordée à l’époque. Mais à cette époque justement, il n’existait aucune loi permettant de faire appel. De fait, c’est définitivement la terre de la famille royale (de Jaipur) » a affirmé la petite-fille de Man Singh II, dernier maharajah de cet État indien, un des plus riches du Raj Britannique. Des propos repris par divers titres de presse comme l’India Times ou l’Indian Express. A l’origine de cette affaire, une pétition mise en ligne par un membre du parti nationaliste au pouvoir, demandant à l’Archaeological Survey of India (ASI) d’ouvrir les portes scellées de plus de 20 pièces à l’intérieur des locaux du Taj Mahal afin de vérifier l’éventuelle présence d’idoles ou d’écritures hindoues.
While Raja Jai Singh was willing to donate the land for free, four havelis were given lieu of Raja Man Singh’s haveli by Shah Jahan.
This farman is locked up in the Kapad Dwara collection in the City Palace museum.
Fascimile from Begley and Desai: Taj Mahal The Illumined Tomb. https://t.co/UXDAzKrXEx pic.twitter.com/EeSZ5W2oN1— Rana Safvi رعنا राना (@iamrana) May 11, 2022
Les historiens indiens contestent les arguments de la députée
Pour les historiens, les déclarations de la députée ne sont pas exactes. Parmi eux, Rana Safvi, une écrivaine renommée, qui a partagé des copies de firmans (ordres royaux) de l’empereur Shâh Jahân au maharajah Raja Jai Singh, l’ancêtre de Diya Kumari, sur son compte Twitter. Elle a même démontré que le souverain avait donné quatre havelis (palais) au monarque de Jaipur en échange des terres qui ont servi à la construction du Taj Mahal. « Alors que Raja Jai Singh était disposé à faire don du terrain gratuitement, quatre havelis lui ont été donnés. Le firman est enfermé dans la collection Kapad Dwara au musée du palais » a écrit Rana Safvi. Sur de son bon droit, même si elle reconnaît qu’il existe de tels documents concernant cet échange, Diya Kumari affirme que « rien ne semble clair » dans la transaction, appuyant la requête de son collègue du BJP. « Ce que je dis est au nom de ce que j’ai appris et entendu. Je n’ai pas étudié les dossiers. Nous pouvons fournir les dossiers au tribunal si nécessaire. Ce n’est qu’après avoir examiné les dossiers que nous pourrons parvenir à une conclusion », a déclaré la députée suivie par 100 000 personnes sur le réseau social Instagram.
Le descendant des empereurs moghols proteste à son tour
Bien que la demande du BJP a été déboutée par la Haute Cour d’Allahabad, la controverse ne s’est pas éteinte pour autant. Le descendant à la sixième génération de Bahadur Shah, dernier empereur moghol, le prince Habeebuddin Tucy, s’est agacé des revendications de la députée et également monté au créneau. « Il y a eu le sultanat moghol, puis la domination britannique, puis l’Inde indépendante. Durant des années, vous n’avez jamais revendiqué quoi que ce soit sur le Taj Mahal » lui a rétorqué ce prétendant au trône qui réside au Pakistan, cité par Zoom News. Il a accusé le parti BJP, la députée, de vouloir attiser la haine entre musulmans et hindous. « La monarchie a pris fin. Par conséquent, elle ne peut pas revendiquer un droit de propriété (…) » explique le prince Habeebuddin Tucy. La princesse Diya Kumari n’a pas donné suite aux invectives de son « cousin », le même qui a pourtant fait des revendications similaires sur la mosquée de Babri en 2019, exigeant d’en être nommé le protecteur.
Une dynastie qui dirige toujours son ancien royaume
L’histoire des maharajas de Jaipur se confond avec celle des moghols, tantôt à leurs côtés, tantôt contre leur pouvoir oppressant. Avec l’arrivée des Britanniques sur le sol indien, les souverains de Jaipur ont rapidement adopté les us et coutumes de l’Occident, notamment sous le règne de Sawai Ram Singh II (1883-1880). Man Singh II a dix ans lorsqu’il est intronisé Maharaja en 1922. Lors de l’indépendance de l’Inde, il refuse de rejoindre l’Union et va durement négocier la fin de ses pouvoirs royaux. Il renonce finalement à sa couronne en 1949 pour prendre le titre de gouverneur de son royaume, un poste qu’il conserve deux décennies. Irritée par la puissance des princes en Inde, la première ministre Indira Gandhi finit par faire voter une loi qui met fin aux pouvoirs des derniers maharajas. Entre les Gandhi et les Jaipur, une rivalité en dentelles. Gayatri Dev, épouse de Man Singh II, était aussi une violente opposante à Indira Gandhi. D’une beauté enivrante, amie de Lord Mountbatten, elle siégera comme députée au parlement entre 1962 et 1971. L’affrontement entre les deux femmes atteindra son paroxysme quand Indira Gandhi décide de la faire arrêter sous de fausses accusations et la fait interner durant 5 mois. Retirée de la politique par la suite, elle est décédée en 2009 et a transmis le flambeau à sa petite-fille, la princesse Diya Kumari, très engagée dans la protection des femmes.
Man Singh II est décédé en 1970. C’est aujourd’hui Padmanabh Singh (23 ans) qui est le prétendant au trône de Jaipur. Pas des moindres car il est le fils de la princesse Diya Kumari. A la tête des divers palais, transformés en hôtels de luxe, il est le célibataire le plus riche d’Inde avec une fortune estimée à 700 millions de dollars selon Business Insider, 3 milliards selon Times of India. Son couronnement en 2011 a été hautement médiatisé comme aux plus belles heures de gloire du Raj Britannique. A Jaipur, sans trône, les Singh continuent toujours de régner sur cette partie de l’Inde des maharajas.
Frederic de Natal