C’est un vent de modernisme qui souffle actuellement sur les monarchies de ce siècle. Oubliée la loi salique qui privilégiait exclusivement les mâles, dans quelques années, pas moins de cinq royautés vont faire leur révolution féministe. Espagne, Norvège, Pays-Bas, Suède et Belgique auront bientôt à leurs têtes des souveraines de droit. Un changement important qui s’étend désormais aux anciennes maisons régnantes qui ont décidé d’appliquer la parité des sexes souhaitée par l’Union européenne. Quelques îlots de résistance persistent mais qui se réduisent comme peau de chagrin. La Revue Dynastie revient sur cette question épineuse qui divise partisans et passionnés des monarchies.
Léonor d’Espagne, Elisabeth de Belgique, Victoria de Suède, Amalia des Pays-Bas, Ingrid de Norvège, des noms connus de tous les aficionados des monarchies et passionnés de dynasties. Elles ont toutes en commun d’être les héritières d’un trône, des premières-nées destinées à devenir des chefs d’états au détriment de leurs frères ou cousins mâles qui ont pourtant été jusqu’ici privilégiés par le biais de la Loi salique (Lex salica). C’est sous les Francs que les premiers articles de cette loi apparaissent afin de régler les successions familiales et litiges financiers, largement empruntés au droit romain. Ainsi en 511, Clovis fixe la transmission des biens uniquement par agnats (parents par le père) et par cognats (parents par la mère) et qui se poursuit encore de nos jours.
Un principe de primogéniture masculine malmené
Inscrite dans le marbre de l’Histoire de toutes les successions royales et princières des siècles passés, la loi salique retrouve une seconde jeunesse sous les Capétiens. En 1316, Louis X le Hutin meurt sans héritiers, laissant derrière lui une femme enceinte dont on ne sait pas si l’enfant est de lui ou non et une fille, la princesse Jeanne de Navarre. Reconnue pourtant comme légitime par son père, les barons et chevaliers du royaume de France s’entendent pour attendre de connaître le sexe du bébé à venir (ce sera Jean Ier dont le destin éphémère se conjugue avec celui d’un mystère) puis d’écarter Jeanne au profit de Philippe de Poitiers, son oncle. On invoque alors le « principe de masculinité » qui sera gravé comme unique ordre de succession dans les lois fondamentales du royaume, socle et ferment de son unité nationale. Une loi qui va trouver un écho favorable dans la majorité des pays européens, parfois confrontés à un problème identique, mais qui va bientôt plonger la France dans un long conflit de succession avec son voisin anglais.
Les monarchies anglo-saxonnes ne se sont guère embarrassées de ce genre de détails. Sur son trône depuis 70 ans, personne n’imagine le Royaume-Uni sans Elizabeth II. Avant elle, les reines Elizabeth I et Victoria ont marqué leurs siècles de leurs empreintes royales avec peu de contestations masculines. Au Danemark, la reine Margrethe II jouit d’une solide popularité et a pu monter sur le trône par la seule volonté paternelle. N’ayant que des filles, le roi Frederik IX a fait modifier la constitution en 1953 pour permettre à son aînée de devenir la souveraine de son pays. Dans la foulée, le roi Carl XVI Gustav decidera de faire une révolution, premier jalon d’un changement de mentalité au sein des monarchies, en privilégiant sa fille aînée, Victoria, au détriment de son frère Carl-Philip, pourtant désigné héritier au trône à sa naissance. Une loi adoptée en 1980 et qui écarte aussi toutes les autres branches de la famille Bernadotte d’une potentielle couronne. Avec la naissance de sa fille aînée (2012), la princesse Estelle de Suède, Victoria va donc inaugurer l’avènement d’une nouvelle génération de femmes appelées à diriger ces descendants de vikings.
Une Europe des reines qui s’est construite progressivement
En Espagne, l’infante Léonor fait l’admiration de ses parents, le roi Felipe VI et la reine Letizia et de ses sujets. Elle est techniquement l’héritière au trône en tant qu’aînée bien que la constitution de 1978 précise que la couronne « est héréditaire pour les successeurs de Sa Majesté Juan Carlos I de Bourbon, héritier légitime de la dynastie historique ». Pas forcément ses descendants, un point juridique qui laisse entrouvertes toutes les possibilités. C’est avec l’avènement de Philippe V, duc d’Anjou et petit-fils de Louis XIV, que la loi salique a été introduite en 1700 dans le pays de Cervantès. Abrogée par le roi Ferdinand VII en 1830, elle conduit l’Espagne dans un long conflit de succession (guerres carlistes). Si les armes se sont tues depuis longtemps, dans les antichambres du palais royal, c’est un conflit larvé qui perdure. Pour les plus ultra-monarchistes, la perspective de voir monter une femme sur le trône est un risque qu’il ne souhaite pas voir. Le souvenir du règne désastreux d’Isabelle II (1833-1868) a profondément marqué le subconscient espagnol et bien que tranchée, la question de la succession au trône d’Espagne reste très épineuse.
L’Europe des reines s’est construite progressivement. Si l’Espagne a ouvert le bal, c’est aussi un changement drastique qui a permis la séparation pacifique entre le Luxembourg et les Pays-Bas en 1890. Si les deux pays sont liés dynastiquement, ils ne sont pas régis par les mêmes codes de succession. A la mort de Guillaume III, sa fille Wilhelmine devient souveraine des Pays-Bas. Un royaume qui s’accommode sans peine de cette succession puisqu’il a connu deux autres reines, Juliana (1948-1980) et Béatrix (1980-2013). Le Luxembourg fait alors valoir la convention familiale des Nassau conclu en 1783 et qui privilégie la succession par primogéniture masculine. Ironie de l’histoire, une fois indépendant, le Grand-duché finira par s’adapter, faute de dynastes mâles, et de changer sa loi de succession afin de privilégier les femmes. Un choix qui sera suivi par deux grands règnes, celui des grandes-duchesses Marie-Adélaïde (1912-1919) et Charlotte (1919-1964). Des modèles qui continuent d’inspirer les futures reines à venir.
Des prétendants qui appellent au changement de mentalité
Considérée comme sexiste, la loi salique est confrontée aux réalités du XXIème siècle. Si la maison royale de Belgique a été la dernière à opérer un tel changement officiel en 1991, c’est au tour des non-régnantes d’emboîter le pas à leurs alter-égos régnants, « invoquant le droit international et européen ». En Italie, les maisons royales de Savoie et de Bourbon-Sicile ont annoncé qu’elles avaient changé les lois de successions par décision unilatérale. En filigrane de l’abolition de la loi salique, des conflits dynastiques qui perdurent au sein de ces deux maisons, divisées en deux branches qui revendiquent chacune la couronne de leurs ancêtres respectifs. « (…) Empêcher les femmes de succéder au trône est une discrimination » affirme à la presse le prince Charles de bourbon-Sicile qui a brutalement mis fin à un accord de réconciliation avec ses rivaux en 2016, décidant que sa fille Maria-Carolina recueillerait seule la succession au détriment de son cousin Jaime de Bourbon-Sicile. Les héritiers du roi Umberto II d’Italie ont décidé de suivre les ordonnances européennes « qui interdit une discrimination entre homme et femme non seulement dans la jouissance des droits et libertés, mais aussi dans l’exercice de toute fonction ». Une décision qui a généré de fortes contestations au sein de la mouvance monarchiste néo-bourbonnienne et italienne, notamment en raison des profils et du comportement des deux héritières, jugées incompatibles avec leur futur rôle. Un vent qui souffle même dans les Balkans, le trône de Roumanie est devenu exclusivement féminin depuis l’exclusion de son seul représentant mâle en 2015 et laisse déjà entrevoir une succession très difficile. Dernière maison en date qui pourrait à son tour décider de changer sa loi de succession, celle des Pahlavi largement engagé dans le droit des femmes. Mais ici, bien que les monarchistes iraniens répugnent à une telle réforme et accusent le prince Reza Shah de céder aux sirènes occidentales incompatibles avec la culture musulmane de Perse.
Les derniers îlots de résistance
Pour les tenants d’un traditionalisme monarchique, il reste toutefois des îlots de résistance. Mais jusqu’à quand ? A commencer par les principautés catholiques de Monaco et du Liechtenstein qui appliquent toujours le principe de succession par primogéniture masculine. Elles ont déjà prévenu qu’elles n’entendaient rien céder à Bruxelles. En France, la question fait l’unanimité que ce soit du côté des prétendants au trône ou des mouvements monarchistes. Pas question de réformer ce principe, partie intégrante des Lois fondamentales. « En dépit de tout ce qui les sépare, les deux familles candidates au titre de “roi de France” semblent d’accord pour ne pas être pressées de faire disparaître de nos “lois fondamentales du royaume” la loi salique, disposition pourtant jugée “opportuniste” par de nombreux historiens » semble regretter le Courrier du Parlement européen dans un article traitant du sujet et qui se désespère de cette résistance face à ce qu’elle juge comme étant un véritable progrès sociétal. Au Japon, le parlement s’oppose à cette réforme au nom de la tradition et propose de réintégrer d’autres branches exclues de la succession afin de nourrir son vivier masculin.
Au regard de l’Histoire passée, chacun jugera finalement de la pertinence et des conséquences de la fin de la Loi salique en Europe et ailleurs. Le débat reste encore ouvert.
Frederic de Natal