Dernier pape italien et l’un des plus éphémères, Jean-Paul Ier, né Albino Luciani, n’a régné que 33 jours en 1978. Sa mort est entourée d’un flot de mystères qui a donné lieu à toute sorte de théories dont aucune n’a jamais vraiment réussi à s’imposer parmi les historiens. En octobre 2021, le pape François lui a reconnu un miracle. Le 4 septembre prochain, il va procéder à sa béatification.
Né au sein d’une famille recomposée de sept enfants, c’est à sa mère, que le pape Jean-Paul Ier doit ses convictions religieuses. De son vrai nom, Albino Luciani, il entre au séminaire en 1923, âgé de 11 ans. Ordonné diacre en février 1935, il accède à la prêtrise en juillet de la même année. Aumônier, enseignant au séminaire grégorien de Belluno de 1937 à 1958, il se fait particulièrement remarquer en présentant une thèse sur L’origine de l’âme humaine selon Antonio Rosmini. Un prêtre dont les ouvrages avaient été mis à l’index par le Vatican avant d’être plus tard réhabilité et béatifié par Benoît XVI. De charges en charges, de nominations en nominations qui le font gravir progressivement dans la hiérarchie épiscopale, il arrive difficilement à se faire nommer évêque, « rejeté deux fois en raison de sa mauvaise santé, de sa voix faible, de sa petite taille et de son apparence humble » comme nous l’indique Luciani Vescovo dans son « Giovanni XXIII: la saggezza del cuore ». Il devra cette position au pape Jean XXIII qui fait fi des objections auxquelles il doit faire et qui le promeut en décembre 1958, évêque de Vittorio Veneto.
Un évêque aimé de ses ouailles
Albino Luciani surprend. Sa capacité à se faire comprendre de tous, même des enfants et des personnes de peu de culture, pour sa clarté d’exposition, sa capacité de synthèse, de médiation et sa tendance à éviter les discours et les lectures difficiles, malgré la profonde culture qu’il possédait, font de lui un catéchiste réputé. Mais c’est aussi un critique acerbe de la gestion des finances par le Banque du Vatican qui impacte son diocèse. Il n’hésite pas à pointer du doigt la responsabilité de l’archevêque américain Paul Casimir Marcinkus et à réclamer que l’Église ait une conduite économique aussi transparente que possible et conforme aux enseignements de l’évangile. L’histoire devait d’ailleurs lui donner raison bien plus tard. Patriarche de Venise, il est très apprécié du pape Paul VI. Il est d’ailleurs dit que le 16 septembre 1972, à la fin de la messe pontificale, le pontife aurait enlevé son étole papale pour la déposer sur l’épaule d’Albino Luciani, laissant sous-entendre qu’il l’avait choisi comme successeur. Il n’existe cependant aucun enregistrement ni photo de cet événement qui le confirmerait. Autre fait marquant, sa visite à Notre-Dame de Fatima en 1977, à laquelle il était attachée, à l’invitation de sœur Lucia dos Santos, une des trois témoins des célèbres apparitions. Il est dit qu’elle aurait prédit la montée sur le trône de Saint-Pierre, son court règne et la mort d’Albino Luciani, nommé cardinal. C’est à son frère Edoardo Luciani que l’on doit ses révélations comme le rapporte le quotidien La Répubblica dans une de ses éditions de 1993.
Avènement de Jean-Paul Ier
Lorsque le pape Paul VI décède en juin 1978, les instances du Vatican fixent la date du conclave au 26 août suivant. C’est une véritable lutte de pouvoir et d’influence qui va se jouer. Une partie des cardinaux tentent de sanctionner la politique du défunt pontife en essayant de faire élire un pape conservateur qui pourra casser les décisions de Vatican II. Opposé au divorce, un sujet sur lequel il était intervenu publiquement, Albino Luciani n’est pas le favori des cardinaux. Deux noms sortent du lot, celui de Giuseppe Siri, archevêque de Gènes, connu pour ses positions qui ne souffrent d’aucun compromis, et celui de Sergio Pignedoli, responsable du Secrétariat pour les non-chrétiens du pape Paul VI, favori des progressistes. Dans les rangs, des cardinaux admis au conclave se trouvent déjà les papes Jean-Paul II (qui sera présenté lors d’un tour ne recueillant que 4 voix) et Benoit XVI. Trois futurs pontifes, une première depuis 1721. Contre toute attente, c’est Albino Luciani qui arrive en seconde position dès le premier tour de vote et qui sera élu face à Siri. À l’extérieur, la foule est fébrile et ce n’est pas un cri de joie qui s’élève quand le fameux « Habemus Papam » (Nous avons un pape) est annoncé. Mais plutôt un cri d’effroi à la vue de la fumée qui sort pour annoncer l’élection du nouveau pape. Blanche, elle vire rapidement au gris pour atteindre le noir. Un mauvais présage pour les témoins de l’époque. Albino Luciani prend le nom de Jean-Paul Ier en hommage à ses deux prédécesseurs.
De nombreuses théories de complot constellent son décès
On a souvent dit qu’il n’avait pas souhaité cette élection et qu’il aurait lui-même affirmé « qu’un grand malheur était sur lui » au moment de revêtir la tenue blanche de pape. Il s’attèle à réformer profondément les institutions vaticanes qui s’en effrayent. Les rumeurs vont bon train. Surnommé le « Pape sourire », il est favorable à la contraception et cela n’étonne en rien son entourage. Lors de Vatican II (1962-1965), il avait évoqué une « maternité responsable » en dépit de ses points de vue assez conservateurs sur la famille. Il n’aura pas le temps de mettre en place ses réformes. Il décède dans la nuit du 28 au 29 septembre 1975 dans ses appartements privés, d’une facture du myocarde. Sa mort est si soudaine qu’elle interpelle la presse qui réclame une autopsie du corps et fait face à un refus des cardinaux. Il en faut peu pour que diverses théories naissent, évoquant un complot contre le saint-père. Chacun y va de son laïus sur la question. Proche de l’Action française, un mouvement monarchiste, l’abbé traditionaliste Georges de Nantes affirme qu’il a été assassiné par des prêtres, membres occultes de la franc-maçonnerie. Le journaliste David Anthony Yallop cite l’archevêque Marcinkus, qui craignant l’ouverture d’une enquête sur les malversations (avérées) au sein de la Banque du Vatican, aurait donné ordre de l’empoisonner (une thèse qui fait consensus parmi les passionnés de cette énigme et que l’on peut retrouver dans un ouvrage intitulé « Au nom de Dieu » sorti en 1984). D’autres évoquent un coup de la mafia, un complot de la loge P2, de l’Union soviétique ou même la découverte du remplacement de pape Paul VI par un sosie à la fin de sa vie. Une rumeur propagée par les sédévacantistes qui considèrent que l’élection de 1958 a été truquée et que c’est le cardinal Siri qui avait été élu sous le nom de Grégoire XVII en lieu et place de Jean XXIII. Encore aujourd’hui, ce décès est l’objet de toutes les interrogations.
C’est en 1990 qu’un dossier en béatification est proposé par 226 évêques brésiliens dont 4 cardinaux. Il faudra attendre cependant 2002 avant que ne débute l’examen de cette demande qui va connaître plusieurs rebondissements. En 2016, on attribue un miracle au pape survenu, en Argentine, cinq ans auparavant. Une jeune fille souffrante « d’encéphalopathie inflammatoire aiguë sévère, d’état de mal épileptique réfractaire, de choc septique » aurait été guérie en priant Jean-Paul Ier. Le pape François validera le miracle en dépit des mauvaises langues qui affirmeront que le choix n’a pas été anodin pour le pontife actuel né dans cette partie de l’Amérique Latine ou qui s’étonnent de cette curieuse mode qui consiste à béatifier ses prédécesseurs comme l’indique le quotidien La Vie dans un article traitant du sujet. C’est d’ailleurs le troisième pape que béatifiera le pape François comme le rappelle Vatican News. Une cérémonie qui aura lieu le 4 septembre prochain.
Frederic de Natal