C’est une fête de Pâques qui a suscité tous les espoirs en Roumanie. Après deux tentatives ratées de retour dans son pays, peu de temps après la chute du régime de Nicolae Ceausescu, le roi Michel Ier est enfin autorisé à poser le pied dans son pays le 25-27 avril 1992. Plus de 500 000 roumains rassemblés à Bucarest pour accueillir leur souverain chassé de son trône par les communistes, un demi-siècle plus tôt. La Revue Dynastie revient sur cet événement qui a marqué la mémoire collective de ce pays des Balkans.

 Le 30 décembre 1947, le roi Michel Ier est forcé à l’abdication par son gouvernement procommuniste. Poussé dans un train, il part vers un exil et un avenir incertain. Le monarque va incarner pendant un demi-siècle la voix des Roumains à l’étranger, tentant de fédérer une opposition éclatée dont les principaux leaders ont été emprisonnés ou exécutés par les partisans de Staline. L’Europe se divise entre le « camp du bien et celui du mal ». Une guerre froide où chacun tente de saper le socle de son adversaire. Regardée comme un colosse, rien ne semble ébranler l’Union soviétique à laquelle la Roumanie est inféodée. L’Histoire va pourtant se charger d’inverser le cours de son destin. En novembre 1989, toute une génération va vivre les chapitres de la fin du communisme, de la chute du mur de Berlin à la dislocation progressive de l’URSS. La Roumanie va être le premier pays à sonner le glas d’une idéologie née dans le sang des Romanov. Au pouvoir depuis 1965, ayant imposé un régime de terreur, le Conducator (« Guide ».) Nicolae Ceausescu va être le premier à tomber, victime d’une révolution populaire et certainement d’un coup d’état interne organisé par des caciques du Parti communiste roumain (PCR) menacés par une purge à venir. En Suisse, le roi Michel Ier suit les événements entre enthousiasme et angoisse. Il va chercher à rentrer dans son pays au plus vite.

Le retour du roi Michel Ier en 1992 @Princenicolae/Facebook/Dynastie

Un héros indésirable pour les post-communistes

Une première tentative va avoir lieu pour les fêtes de Pâques en avril 1990. « J’ai choisi les vacances de Pâques pour ce premier retour dans mon pays après 42 ans d’exil, surtout parce que cette fête a un caractère sacré pour tous les Roumains. Cette année, les vacances sonnent comme un symbole de renaissance et d’espoir pour le peuple roumain, après tant de souffrances. Je voulais aussi honorer la mémoire de tous les Roumains tombés pour la restauration d’une véritable démocratie dans mon pays » annonce le roi dans un communiqué officiel. Le gouvernement d’Ion Iliescu refuse de délivrer la moindre autorisation de retour au monarque et craint une vague en sa faveur à la veille des élections législatives. Un scrutin remporté haut la main par les anciens communistes devenus les nouveaux socialistes d’un pays qui a abandonné faucille et marteau. La révolution est confisquée au peuple. Michel Ier a du caractère. En 1944, à peine âgé de 21 ans, il a gagné ses galons de héros national en organisant lui-même un putsch contre le général Antonescu qui dirigeait d’une main de fer le pays et qui avait plongé la Roumanie dans une alliance avec l’Allemagne nazie.

Le roi Michel Ier acclamé @Princenicolae/Facebook/Dynastie

Un retour placé sous le symbole de la Résurrection 

Il va tenter de débarquer une seconde fois à Bucarest le 25 décembre 1990. Tous les photographes sont là pour immortaliser cet instant historique qui sera un nouvel échec. Tout juste sorti de l’aéroport, le convoi royal est intercepté par des hommes en armes, très énervés. Il faudra beaucoup de diplomatie pour que Michel n’échappe pas à une balle « perdue ». Il est expulsé du pays manu militari le lendemain. La lutte continue. Les monarchistes se sont réorganisés avec le Parti national paysan chrétien-démocrate (PNTCD) mais les premiers résultats électoraux ont été modestes. Le roi Michel reçoit une invitation officielle de Monseigneur Pimen, archevêque de Suceava. L’occasion rêvée qui signe enfin la fin d’un exil douloureux. Munis de passeports diplomatiques danois, Michel Ier, son épouse Anne de Bourbon-Parme, sa famille peuvent enfin rentrer en Roumanie le 25 avril 1992. Parmi eux, Nicolas Medforth-Mills, 7 ans, considéré comme le futur héritier du trône. Le premier geste du roi est de se rendre sur la tombe du roi  Etienne Le Grand, souverain de Moldavie au XVème siècle et qui fut surnommé le « prince de la Chrétienté » par ses contemporains. L’accueil des Roumains dépassera toutes les espérances. Michel perçoit les inquiétudes du gouvernement et tente de rassurer : « Je ne m’intéresse pas au trône mais au bien de mon pays (…) » déclare le monarque.

Un monarque qui n’a pas été oublié

Le point d’orgue de cette visite va avoir lieu le lendemain à Bucarest. Un demi-million d’hommes et de femmes, tous âges confondus, se sont rassemblés pour acclamer le roi. Un vent monarchique souffle sur la capitale de la Roumanie, le « Petit Paris des Balkans ».  Ses portraits sont brandis, on crie « Vive le roi ! » d’une seule voix. Sa voiture est noyée sous les bouquets de fleurs. Les Roumains sont même montés sur les branches des arbres qui menacent de se casser sous le poids. Ce qui va arriver. Un homme tombe sur la vitre arrière de la Mercédès du roi et la brise. Les drapeaux de l’ancienne monarchie ont été sortis, les caméras de la télévision nationale ne perdent pas une miette de ce moment qui va faire le tour du monde. « Nous t’aimons » crient les roumains au roi lorsqu’il apparaît au balcon de l’hôtel Continental où il séjourne. Ils refusent son départ. Le roi multiplie les interviews, tente de temporiser les ardeurs de ses partisans. « Je suis convaincu qu’il y aura aussi la résurrection du pays roumain. Je suis sûr et je sais que la Roumanie renaîtra de ses cendres » affirme Michel Ier.

Le roi Michel Ier, la reine Anna de Bourbon-Parme et Nicolas Medforth-Mills, enfant @Princenicolae/Facebook/Dynastie

On se met alors à rêver de retour de la monarchie, du roi sur son trône, du rétablissement de la Constitution de 1923 curieusement oubliée des communistes et jamais abrogée. Techniquement, Michel est toujours le roi de Roumanie et il entend assumer le serment qu’il a fait à son peuple en 1940, celui « devant Dieu, de servir son pays, la vie, son bien et le destin de celui-ci ». Un pays qu’il a redécouvert avec émotion. Un séjour qui s’achèvera le 27 avril après avoir rendu un dernier hommage à Carol Ier, fondateur de la Roumanie, et à son grand-père, le roi Ferdinand Ier. Laissant une promesse derrière lui : celle de revenir très vite en citoyen roumain.

Frederic de Natal