Le 4 juillet 1776, les délégués des « Treize colonies » d’Amérique du Nord décident de briser leurs liens avec l’Empire britannique. C’est le début d’une guerre civile qui va durer sept ans. La question des institutions va faire débat. Certaines voix s’élèvent pour réclamer l’établissement d’une monarchie. Un nom semble faire consensus parmi le petit groupe de royalistes, celui d’Henri de Prusse. La Revue Dynastie revient sur cet épisode méconnu de l’histoire des États-Unis à l’occasion du 246ème anniversaire de l’indépendance.
Il aura fallu trois semaines à Benjamin Franklin pour rédiger la déclaration d’indépendance des « Treize colonies ». Réunis en congrès dans la ville de Philadelphie ce 4 juillet 1776, les délégués respectifs de ces territoires britanniques situés en Amérique du Nord doivent décider s’ils souhaitent rester dans le giron de Londres. Le texte est âprement discuté par les 56 représentants. Une fois, les points litigieux enlevés comme la fin de l’esclavage, afin de ne pas mécontenter les régions du Sud, le vote est unanime. Les chaînes sont brisées. Écrit sur du papier de chanvre, un préambule énumère les droits fondamentaux, la liste des atteintes de ces droits par les Anglais et la conséquence que cela vient de générer. La guerre d’indépendance va durer jusqu’en 1783. Aidé d’un corps expéditionnaire français dirigé par Jean-Baptiste-Donatien de Vimeur, comte de Rochambeau, et où va s’illustrer un certain marquis de La Fayette, les américains obtiendront leur liberté au prix fort. L’artisan de cette victoire s’appelle Georges Washington. Une fois la guerre terminée, ce riche planteur se retire dans ses terres. Il n’entend pas prendre le pouvoir, reste un républicain au sens romain du terme.
Une monarchie héréditaire en remplace une autre
Quelles institutions à adopter pour les États-Unis ? La question fait débat parmi les congressistes en 1787. Alexander Hamilton (1755-1804), qui représente l’État de New-York, sonne la charge lors des discussions concernant le volet constitutionnel du chef de l’État à adopter. « (…) Le modèle anglais était le seul bon sujet de l’exécutif. Le caractère héréditaire d’un roi est si étroitement lié à celui de la nation, et ses émoluments personnels si importants, qu’il se place au-dessus de toute tentation d’être corrompu par un corps étranger » explique-t-il à ses collègues, comme le rapporte dans ses mémoires, le député de Virginie, James Madison. Futur Président des États-Unis, ce dernier s’oppose fermement à cette demande. Hamilton suggère de mettre en place une monarchie après une discussion avec un convaincu Nathaniel Gorham (1738-1796), Président du Congrès continental, qui assume la transition des pouvoirs. L’idée est séduisante, mais soulève des protestations parmi certains élus qui rappellent qu’ils ne sont pas débarrassés d’un monarque pour en mettre un autre à sa place. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’idée monarchique est évoquée. En mai 1782, une couronne avait été proposée à Georges Washington par le colonel Lewis Nicola, un irlandais enflammé qui avait imploré le héros de la guerre d’indépendance d’accepter le titre de « roi ». Le principal concerné refusera poliment cette proposition, ne souhaitant pas devenir un « Olivier Cromwell américain ».
Le schéma Prussien
Alexander Hamilton bat la campagne pour rallier un quorum majoritaire et a même un candidat dans sa besace : le prince Henri de Prusse (1726-1802). C’est le treizième fils du roi Frédéric-Guillaume Ier. Il a la réputation d’être un bon militaire même s’il n’a guère brillé sur les champs de bataille. Ce nom lui a été suggéré par le baron Frédéric von Steuben (1730-1794), ancien chambellan à la cour des Hohenzollern-Hechingen, parti croiser le fer avec les Britanniques lors de la guerre d’indépendance. Il a eu la charge de l’entraînement des Patriotes, conserve une excellente réputation parmi les congressistes et l’auteur d’un livre en tactiques militaires qui sera enseigné dans les écoles américaines jusqu’en 1812. Il vante les qualités d’Henri de Prusse, évite de parler des tensions qu’il entretient avec son frère Frédéric II le Grand, mais assure, ce qui est vrai, que le prince déteste avec « haine » les Britanniques. Nathaniel Gorham va se charger d’écrire au prince Henri afin de lui proposer cette couronne américaine (une lettre perdue et jamais retrouvée). Le baron von Steuben fait de même pour tenter de la convaincre. Henri de Prusse reçoit les deux lettres et marque son étonnement. La réponse ne sera pas à la hauteur des attentes de Gorham, Hamilton ou de von Steuben. Selon le frère du roi de Prusse, « rien n’indique que les Américains souhaitent abandonner la forme républicaine », ce qui le contraint à décliner cette proposition, suggérant de « prendre un candidat parmi les princes de France ». Tout s’écroule pour ces monarchistes. Ils ne prendront même pas la peine de l’évoquer à nouveau au Congrès. Tout au plus Alexander Hamilton propose, en lieu et place, une présidence à vie (le détenteur pourrait être révoqué pour corruption ou à la suite d’abus), mais qui ne rencontre que peu d’échos favorables, idée jugée non démocratique.
Connu sous le nom de « schéma Prussien », cet épisode monarchique de l’histoire américaine continue de poser des questions. Certains historiens comme Rufus King, contemporain des protagonistes de cette affaire, ont remis en question la véracité de ce projet, évoquant des documents apocryphes censés prouver le sérieux de cette affaire, d’autres de simples rumeurs sans fondement en dépit d’articles de presse de l’époque faisant état d’un projet monarchique en faveur … d’un fils du roi Georges III. Pourtant, une lettre du prince Henri à von Steuben, retrouvée au cours du XXème siècle dans les archives de la maison impériale d’Allemagne, a confirmé que le projet avait bien été mis en place et suscité la réprobation du prince Henri de Prusse.
Frederic de Natal