Lorsque Jean-François de La Pérouse décide de mouiller au sud de l’Île Maui en 1786, il accorde peu d’attention à cet archipel composé de 124 îles. Tout au plus donnera t-on son nom à une baie sans qu’il n’ait jamais maculé le sable de ses pas. Là réside peut-être le basculement du destin d’Hawaï qui passera sous domination anglo-saxonne, avec ses heures de prospérité et de déclin. La Revue Dynastie revient sur l’histoire d’une monarchie à qui on déroba brutalement son indépendance.
Explorateur et prospecteur pour le compte de la monarchie anglaise, James Cook avait jeté l’ancre au large de ces îles, à l’aube du 18 janvier 1778. D’abord nommées du nom de son protecteur Lord Sandwich, il fit récit de la position optimale des îles de archipel, situées au milieu de l’océan Pacifique, à son retour en Angleterre. Intermédiaires précieux entre les Amériques, le Japon, la Corée, les Philippines et les îles de la Sonde, Cook avait compris tout le potentiel commercial circonscrit sur ces terres, tant riches et accueillantes qu’abruptes et sauvages. Il ne lui vint néanmoins pas à l’idée d’en faire un protectorat britannique, victimes de leur éloignement trop conséquent au reste du monde, et de l’inculture de sa population, estimée alors à 300 000 âmes. Les différentes peuplades habitant ces atolls, étaient alors régentées par différentes chefferies, parlant un mélange de malayo-polynésien (Maori, Marquisien, Raotongan et le Tahitien). Cook fit la part belle aux anglo-Saxons en plaidant devant ses pairs une route maritime et chance d’exploitation à saisir à travers un discours qui sera vecteur des premières installations européennes ( 1790).
Une population décroissante.
Les recensements effectués courant XIXème siècle témoignent d’un violent déclin démographique, la faute à des abus d’alcool et une intempérance sous toutes ses formes. L’accès aux ressources oblige, les tribus ne cessent de se quereller, surtout quand les colons les rachètent à prix d’or. Des fréquentations qui leur apportèrent diverses épidémies de grippe, rougeole, coqueluche, syphilis, et autres tuniques de Nessus aux fils occidentaux. En 1829, on décomptait 130 000 individus ; en 1853 ils étaent deux fois moins et au lendemain de l’annexion en 1896, seuls 31 000 indigènes et 8400 métis faisaient face aux colons dans la population avait largement augmenté. 69 000 étrangers donnant par nombre décroissant : Japonais – Chinois – Portugais – Américaines – Anglais et Allemands.
Unité de l’archipel et Monarchie à Hawaï
De 1785 à 1792, le chef d’un des petits royaumes insulaires, avec l’appui des européens, parvient à agréger les différents royaumes, faire d’Honolulu la capitale, et devenir roi d’Hawaï sous le nom de Kamehameha I. Roi rassembleur qui pourra se targuer qu’on l’ait surnommé « Le Grand » et « Napoléon du Pacifique » . Entre Alexandre et Bonaparte, la place est de choix.
Les colons comprennent très rapidement qu’il sera ainsi plus facile de commercer, de se faire accepter, avec ou sans force, de contrôler les sursauts insurrectionnels, et de prendre tôt ou tard le dessus sur les natives polynésiens qui vivaient ici en paix depuis le VIIème siècle. La population hawaïenne, de bonne foi, pense ainsi agir pour son seul intérêt face à ce qui ressemble déjà une stratégie de colonisation violente. En 1820, des missionnaires congrégationalistes de Nouvelle-Angleterre débarquent. L’appui américain ne cessera dès lors de se renforcer. Une ingérence scrutée avec minutie par les locaux du fait de leur proximité avec les États-Unis que celles des anglais, considérés comme des bienfaiteurs venant de l’autre bout du globe, sorte de voisins avides et prêts à la colonisation. La famille royale Hawaïenne décide de se convertir et reçoit une instruction chrétienne, acceptant les mariages mixtes au sein de sa noblesse. L’Hawaïen est traduit, l’alphabétisation, en langue autochtone, de la population fut un enjeu tant commercial que civilisationnel. En 1830, le tiers des insulaires (adultes et enfants) est scolarisé et en 1850 les analphabètes avaient presque totalement disparu, faisant d’Hawaï, l’un des pays les plus scolarisés du monde. A comparé avec l’Europe qui patauge avec un certain niveau d’analphabétisation , on peut se dire que Frédéric II de Prusse et Jules Ferry, instigateurs de notre instruction obligatoire sont loin d’avoir ouvert le ban. Tous ces efforts permirent le développement d’une littérature écrite, en langue hawaïenne, dont l’essor dura environ un siècle de 1830 à 1930.
Proche du prince et du pouvoir
Malgré tout la culture et la langue hawaïenne sont inéluctablement entraînées dans l’orbite américaine, avec outrance. La monarchie absolue se transforme en monarchie constitutionnelle en 1840, passant quasiment sous le contrôle des colons. En 1876 ,sur 99 fonctionnaires de tous grades, on ne compte que 13 hawaïens ; tous les juges étaient anglo-américaines, tout comme trois des quatre ministres. Seuls les gouverneurs d’îles restaient majoritairement autochtones (trois sur quatre) avec une noblesse devenue complètement interraciale.
En 1848, après la découverte de l’or et l’annexion de l’état de Californie, les rapports de force changent. Les puissances anglais et françaises, dans le Pacifique, doivent désormais composer avec les États-Unis, enfin dotés d’une rive sur le Pacifique. L’annexion d’Hawaï est sur toutes les lèvres. L’année 1855 est marquée par un véritablement basculement avec la mort de Kamehameha III Une crise de succession éclate. Son neveu adopté de justesse meurt très rapidement, miné par l’alcool, lui même sans successeur (1864). On fait appel à son frère (Kamehameha V) pour monter sur le trône. La monarchie en crise, le congrès américain a de la suite dans les idées. Soumis à ses sujétions, dès 1855 la législature et le roi « décidèrent » de favoriser la scolarisation en anglais. On plante à tout bout de champs de la canne à sucre, or brun dont les profits pécuniaires permettent en 1888 de passer la gratuité de l’enseignement. Toujours en anglais. Écoles qui se sucrèrent copieusement sur le dos de l’école trdaitionnelle hawaïenne alors désertée, son taux de fréquentation passant entre 1872 et 1892 de 75,7% à 5,2%. L’anglais devenu seule langue administrative des îles, pour le meilleur des intérêts américains, pour le pire de l’indépendance et de l’identité Hawaïenne, poussée sous le tapis.
Le commerce, cheval de Troie
Dès 1850, la monarchie pensant de la sorte se renforcer, va conclure des traités économiques avec les États-Unis et rejoindre son espace économique. La dynastie des Kamehameha finit par s’éteindre à la mort soudaine du cinquième du nom en 1872. Fragilisé, le pouvoir appuyé par les européens va connaître des conflits de successions entre indigènes qui préfèrent élire leur roi. Le prince Lunalilo l’emporte, le prince Kalakaua, lui succèdera deux ans plus tard, dans la même ambiance insurrectionnelle. Le poids économique croissant des anglophones permit de jeter du sable sur le feu couvant et de retarder l’annexion. En 1876, le marché américain ultra dominateur offres des gains pécuniaires colossaux qui, un temps, affadirent tensions et offensives.
Locaux et étrangers commencèrent à se regarder en chiens de faïence, au point que la noblesse docile jusqu’ici va avoir un sursaut d’orgueil. Vers 1890, le roi Kalakaua tenta vainement de dénoncer les traités commerciaux. Hawaii parvint à rester indépendantes jusqu’au renversement de la reine Liliuokalani en 1893. Est instaurée l’année suivante, une « République d’Hawaï » ouvertement dirigée par la grande bourgeoisie anglo-américaine de l’archipel. Cette « république de transition » s’installe dans les palais de la monarchie et croit être sécurisée. Jusqu’à l’apparition d’une nouvelle figure historique que personne n’attendait. Mais c’est encore une autre histoire.
Adrien Moquet