S’exprimant lors du dîner d’adieu organisé à King’s House, la résidence de Patrick Allen, Gouverneur général de la Jamaïque, le prince William a exprimé sa « profonde tristesse » en évoquant l’esclavage. Si le Premier ministre Andrew Holness a pris acte de cette demande d’excuses, il a annoncé de son côté que l’île de naissance du chanteur de reggae Bob’ Marley couperait ses liens avec la monarchie britannique à court terme. Pourtant rien ne semble indiquer que cette idée soit majoritaire chez les Jamaïcains.
Manifestations contre leur présence, salve de critiques, appels au boycott, demandes de réparations, le duc et la duchesse de Cambridge ont été mis constamment sous pression depuis leur arrivée sur l’île de la Jamaïque mardi dernier. Dans la ligne de mire des associations, comme l’Advocates Network qui a fait publier une lettre qui énumère « 60 raisons d’excuses et de réparations de la part de la Grande-Bretagne et de sa famille royale », le passé esclavagiste de la monarchie britannique dans les Caraïbes. Exigeant que le prince William présente ses excuses officielles, le petit-fils de la reine Elizabeth II n’a pas failli à sa tâche. Dans un discours prononcé devant un parterre d’officiels, députés et autres représentants de la société civile, le duc de Cambridge a exprimé sa « profonde tristesse » face aux horreurs de la traite des esclaves. « Cela n’aurait jamais dû arriver ! » a ajouté l’héritier en second de la couronne royale.
« Je suis tout à fait d’accord avec mon père, le prince de Galles, qui a déclaré à la Barbade l’année dernière que l’effroyable atrocité de l’esclavage entache à jamais notre histoire » a renchéri le prince William qui a qualifié cette pratique de « souillure ». « Nous sommes éternellement reconnaissants de l’immense contribution que cette génération et ses descendants ont apportée à la vie britannique, qui continue d’enrichir et d’améliorer notre société » a t-il rapidement enchaîné, rendant ainsi un hommage appuyé à la génération Windrush, ces habitants de tout le Commonwealth venus au Royaume-Uni pour aider à la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale et socle du multiculturalisme britannique.
« Ce n’est un secret pour personne que la reine a une profonde affection pour la Jamaïque, forgée lors de sa toute première visite ici avec mon grand-père, le duc d’Édimbourg, en 1953. (…) Et de même, j’ai été touché d’entendre aujourd’hui des Jamaïcains, jeunes et vieux, parler de leur affection pour la reine. Son dévouement, son engagement et son sens du devoir envers la famille du Commonwealth sont profondément admirés (…) » a affirmé le duc de Cambridge. Réponse du berger à bergère. Plus tôt dans la journée, le Premier ministre Andrew Holness a semblé indiquer clairement à William et Kate qu’un autre type de relation entre la Jamaïque et le Royaume-Uni serait mis sur la table « le plus tôt possible » rapporte le journaliste de Sky News qui a assisté à cet entretien. « Il y a des problèmes ici qui, comme vous le savez, ne sont pas résolus. Mais votre présence donne l’occasion de replacer ces problèmes dans leur contexte, de les mettre au premier plan et de les traiter du mieux que nous pouvons. La Jamaïque est, comme vous le voyez, un pays très fier de ce que nous avons accompli. Nous allons de l’avant et nous avons l’intention d’atteindre rapidement nos objectifs de développement et de réaliser nos véritables ambitions et notre destin en tant que pays indépendant, développé et prospère » a déclaré le leader du Parti travailliste. Des propos également recueillis par le quotidien The Guardian.
(1/4) I was delighted to welcome the Duke and Duchess of Cambridge, Prince William and Kate Middleton to Jamaica and to the Office of the Prime Minister for a courtesy call this morning. pic.twitter.com/vAq7bznWet
— Andrew Holness (@AndrewHolnessJM) March 23, 2022
Un sentiment qui ne cesse de s’accroître au sein des pays membres du Commonwealth. En novembre 2021, la Barbade est devenue une république, destituant officiellement Elizabeth II de la tête de l’État. Selon le sondeur politique Don Anderson, 40% seulement des Jamaïcains étaient favorables à la séparation de la monarchie en 2011. Un chiffre qui a grimpé jusqu’à 62% une décennie plus tard. Leader de l’opposition, Mark Golding a publiquement annoncé qu’il soutiendrait la proclamation de la République. Les deux plus grands partis qui dominent la vie politique de la Jamaïque ont inclus dans leurs programmes respectifs, la possibilité de mettre en place un référendum sur la question du maintien de la monarchie.
Political activist Karen Cross has come out against Jamaica cutting ties with the British Monarchy and casting off the island’s colonial past.https://t.co/sGV5h4qvrn pic.twitter.com/dqE0HlAAba
— Jamaica Observer (@JamaicaObserver) March 23, 2022
Cependant, en dépit de ce sentiment palpable sur l’île, les analystes se demandent si les Jamaïcains souhaitent vraiment se débarrasser de la reine. « La Jamaïque a une histoire très pro-monarchie » avait déjà expliqué par le passé Richard Fitzwilliams, expert des royautés pour Voice of America. Lors d’entretiens menés par le quotidien Jamaica Gleaner dans le centre-ville de Kingston, les répondants favorables à la monarchie ont exprimé leur inquiétude quant à savoir si le pays avait les ressources financières nécessaires pour être totalement indépendant. En effet, d’après l’expert jamaïcain en protocole Merrick Needham dans le Jamaica Observer, ce dernier a souligné le coût financier important – un minimum de 2,5 millions de dollars – que la rupture de ces liens avec Londres entraînerait, évoquant l’organisation d’un référendum ou le retrait des insignes royaux des uniformes militaires et des bureaucraties gouvernementales. Pour Karen Cross, interrogée le 22 mars par le Jamaica Observer, il « n’y a aucune raison aujourd’hui de se séparer de la monarchie ». « La famille royale est une partie de notre culture, une partie de qui nous sommes » rappelle cette activiste politique bien connue de l’île.
Loin de ces tumultes, le duc et la duchesse de Cambridge ont préféré jouer la carte de l’apaisement en rendant un hommage à Bob’ Marley, enfant du pays et chantre du rastafarisme musical, le Reggae. « Catherine et moi-même sommes ravis d’avoir ressenti ce que Bob’ Marley a décrit il y a tant d’années – cet esprit de l’amour que la Jamaïque a donné au monde et qui rend ce pays si spécial » a déclaré le prince William peu de temps avant de s’envoler vers les Bahamas, ultime étape de leur tour des Caraïbes.
Frederic de Natal