Le roi Felipe VI s’est rendu à Bogotá, ce dimanche 7 août, afin d’assister à l’investiture de Gustavo Petro, le premier président de gauche de l’histoire de la Colombie. Un voyage anodin pour le souverain Bourbon. Pourtant, quelques heures après la cérémonie, une polémique a éclaté sur les réseaux sociaux de cette ancienne colonie espagnole. Le monarque s’est rendu coupable de crime de lèse-Bolivar.

Pour la Colombie, c’est un événement historique. Pour la première fois, un ancien guérillero de gauche a accédé au pouvoir après des élections démocratiques. A 62 ans, Gustavo Petro est devenu le président d’un pays, jadis entité de la vice-royauté de Nouvelle-Grenade. Pour son investiture, l’ancien maire de Bogotá a vu les choses en grand. Présidents du Honduras, de l’Argentine, du Paraguay, de Colombie, du Costa Rica, de l’Équateur, du Chili, de la Bolivie ministre des Affaires étrangères de Cuba, vice-président du Salvador…, toute l’Amérique du Sud s’est donnée rendez-vous pour assister à la cérémonie officielle. Parmi l’assistance, un monarque, celui de l’Espagne,  un pays qui a dominé ce continent durant trois siècles.

Indépendance tumultueuse pour la République de Grande Colombie

La Colombie a pris son indépendance en 1810, au cours d’une révolution qui renverse le vice-roi en poste. Parmi les héros de cette lutte pour la liberté, Simon Bolivar (1783-1830) qui va s’emparer de Bogotá, la capitale, après neuf ans de guerre intense contre les royalistes. C’est à partir de cette nouvelle République de la Grande Colombie naissante qu’il va également lancer un vaste mouvement de décolonisation qui va s’inscrire dans le marbre de l’Histoire. Pourtant, très rapidement, le pays sombre dans l’anarchie et la guerre civile. Si Bolivar accepte de devenir dictateur du pays afin d’en empêcher la partition de la République (1828), il fait déjà face à plusieurs voix qui s’élèvent pour réclamer le retour de la monarchie. Des ministres de Bolivar prennent alors contact avec la France de Charles X dans le but de convaincre Bolivar d’accepter un monarque étranger.

Simon Bolivar @wikicommons

Un projet monarchique méconnu

Le 16 avril 1829, le comte Charles-Joseph Bresson débarque à Bogotá afin de lui proposer un projet audacieux. Bolivar, que l’on sait de santé fragile, restera président jusqu’à son décès et c’est un prince d’Orléans qui lui succédera comme nouveau souverain. A la lecture du projet, Bolivar n’exprime ni rejet ni dégoût. Le Conseil des ministres donne son accord, mais exige que la Grande-Bretagne se prononce et confirme que la présence d’un prince français ne provoquera pas d’intervention armée. Londres découvre alors cette tentative d’instauration de la monarchie et soutient une autre idée, celle de Bolivar comme monarque. En septembre, il apparaît que le projet court à l’échec face au rejet de la population, épuisée par tant de divisions. Il sera finalement abandonné, laissant le pays se désintégrer progressivement en plusieurs États. L’attitude de Bolivar, dans cette affaire, reste d’ailleurs controversée et les historiens ne se sont toujours pas accordés sur sa réelle adhésion à ce projet.

Crime de lèse-Bolivar pour le roi Felipe VI

De Bolivar, la Colombie a gardé son épée comme symbole national. Lorsque celle-ci a été présentée, sous vitrine,  aux milliers de personnes venues assister à l’investiture, une clameur s’est élevée dans le ciel. À son passage, tous les présidents sud-américains se sont levés pour rendre hommage à la relique ayant appartenu au Libérateur. Tous,  sauf le roi Felipe VI qui est resté assis, imperturbable face à cet objet historique, volé par guérilla dans les années soixante-dix. La scène a été prise par les caméras de télévision retransmettant la cérémonie et devenue virale sur les réseaux sociaux, générant divers commentaires des deux côtés de l’Atlantique, certains qualifiant l’attitude du monarque de « honte ». En Espagne, comme le rapporte le Huffington Post,  le député Néstor Rego (UPG) n’a pas hésité à évoquer la « mentalité colonialiste persistante des Bourbons espagnols », rejoint par Podemos qui a fait remarquer que « les braves généraux, même lorsqu’ils sont vaincus, rendent hommage à ceux qui les ont vaincus équitablement. Que le roi Felipe VI reste assis, alors que tous les honnêtes gens de Colombie vibrent sur leurs pieds lorsque l’épée de Bolívar arrive, est triste ».

Contacté, le palais de la Zarzuela a refusé de commenter cet incident jugé par beaucoup comme « une tempête dans un verre d’eau ».

Frederic de Natal