Marguerite de Valois est une des figures les plus connues de l’Histoire de France. Aimée ou détestée, la plume d’Alexandre Dumas (père) va l’élever au rang d’héroïne dramatique de la Renaissance. En 1994, le producteur Patrice Chéreau décide de porter sur grand écran un pan crucial de la vie de « La Reine Margot » : son mariage avec Henri de Navarre, union maudite par le massacre de la Saint-Barthélemy en août 1572.
« La Reine Margot » est une adaptation du célèbre roman éponyme d’Alexandre Dumas, publié en forme de feuilleton, entre 1844 et 1845, dans le quotidien La Presse. C’est un vrai succès à cette époque. Tant et si bien que l’œuvre du romancier va contribuer à renforcer la légende noire et de superficialité qui poursuit encore Marguerite de Valois. Producteur de cinéma, Patrice Chéreau, décide de mettre en scène ce roman et de le porter sur grand écran en 1994. L’histoire commence le 18 août 1572 avec le mariage de Marguerite de Valois et nous plonge au sein de la Cour royale de Charles X, dépeinte comme remplie de vices et de secrets, où romance et cruauté vont se mêler avec un réalisme glaçant.
Synopsis d’un film marquant
Au XVIe siècle, La France est divisée entre catholiques menés par le duc de Guise (un amant de Margot) et huguenots dirigés par l’influent amiral de Coligny. Afin d’apaiser les tensions, la reine Catherine de Médicis, mère du roi de France, décide de marier sa fille Marguerite au fils de la reine de Navarre, Henri de Bourbon, lui-même protestant. Ce mariage controversé va soulever de nombreux commérages à la Cour. En lieu et place d’apaiser les mécontentements, il ne fera que les attiser. Patrice Chéreau nous livre une adaptation froide, nue, hystérique, malsaine sur ce chapitre de notre histoire tumultueuse. « La Reine Margot » dépoussière les films du genre et ne cache rien des complots qui se trament chez les Valois. Henri de Navarre est détesté. Les machinations orchestrées par Catherine de Médicis et le duc de Guise provoquent le massacre de la Saint-Barthélemy, dans la nuit du 23 au 24 août 1572, quelques jours après le mariage et la « réconciliation » des deux camps. Durant la tuerie, Margot sauve le seigneur de la Môle, un protestant proche de Coligny. Elle entame avec lui une idylle passionnelle, interdite qui sera tragique.
Le massacre de la Saint-Barthélemy : un réalisme violent et cruel
Chéreau dépeint le massacre de la Saint-Barthélemy de façon crue. Les meurtres perpétrés par les catholiques envers les protestants sont montrés à travers un tableau sordide : les corps nus, entassés les uns sur les autres, les blessés suppliant les soldats de Charles IX, sans pitié avec les survivants. Le sang est présent à profusion, si bien que le rouge devient la tonalité principale de la scène. Une couleur que l’on retrouve lors de la scène de mariage , le rouge sang aux catholiques, le noir austère aux protestants. Cette représentation dramatique, dressée par Chéreau, permet de figer cet événement marquant de l’histoire de la Renaissance française, reprise par de nombreux peintres d’époque comme celui du peintre François Dubois (1529-1584). La tentative d’assassinat ratée de Coligny, le 22 août 1572, a réveillé les haines qui s’étaient endormies. Craignant les représailles, le roi Charles IX, sous l’influence de sa mère, déclare la mise à mort des nobles protestants vivant au Louvre. La boucherie débute ainsi, avant d’atteindre les rues de Paris, où les protestants ont été massacrés par les habitants de la ville. Les scènes filmées sont d’un tel réalisme (Chéreau dira s’être inspiré du génocide en Yougoslavie) qu’elles rendent l’Histoire vivante aux yeux du spectateur, contraint de prendre lui-même position.
Chéreau a décidé de se focaliser sur la seule ville de Paris. Le roi ne réussit à ramener l’ordre dans sa capitale qu’au bout de deux jours de tuerie dont le nombre de morts varient selon les historiens. Lorsque l’information parvient aux oreilles des agitateurs en province, ils vont s’en donner à cœur joie pour exécuter leurs ennemis jusqu’au 5 octobre 1572, dans différentes villes françaises telles que Orléans, Angers ou Lyon, en dépit d’une interdiction royale. Henri de Navarre a réussi à échapper au massacre en rejoignant le roi, prostré dans ses appartements. Marguerite de Valois parvient à obtenir son pardon en échange de sa conversion au catholicisme. Il est de notoriété qu’elle n’avait aucune passion pour ce Bourbon, roi de Navarre. La tuerie vaudra à son mariage le surnom de « noces de vermeilles ». Pourtant, elle décide de demeurer fidèle à son mari malgré la pression exercée par Catherine de Médicis qui lui propose de la « démarier ».
Des protagonistes romancés et humanisés
Patrice Chéreau a choisi des acteurs de talents pour incarner ses personnages. Isabelle Adjani en reine Margot, Daniel Auteuil en roi Henri de Navarre, Jean-Hugues Anglade en roi Charles IX, Vincent Perez en seigneur de La Môle, Jean-Claude Brialy en Coligny … Le producteur présente les deux principaux protagonistes de son œuvre cinématographique comme des personnages sensibles, essayant tant bien que mal de s’extirper de leur entourage nocif. Cependant, certains aspects de leur couple ont été volontairement romancés par le réalisateur. Dans un premier temps, leur somptueux mariage. L’office a été célébré sur le perron de la cathédrale Notre Dame de Paris, et non à l’intérieur comme il est filmé pour les spectateurs. Le roi de Navarre, en bon protestant qu’il était, avait refusé d’entrer dans la cathédrale. Chéreau se veut prude lorsqu’il évoque les relations entre Henri et Margot (Ils auraient consommé leur mariage avant la nuit du massacre et fait chambre commune pendant un temps), moins quand il s’agit du prétendu viol incestueux de Marguerite par son frère Henri d’Anjou. Dans le film, le futur Henri III est entouré d’une cohorte de mignons efféminés et homosexuels, à la dague facile. Une mauvaise interprétation selon Eliane Viennot. « Il ne s’est pas entouré d’une bande d’homosexuels échevelés, mais d’un groupe d’hommes surs, de noblesse moyenne, qu’il a hissés aux premiers rangs de l’Etat parce que la vieille noblesse faisait sécession […]. L’Histoire est plus intéressante que la répétition sempiternelle des vieilles sornettes ! » rappelle cette spécialiste de la Renaissance cité par Télestar.
Margot est introduite comme une femme volage et sensuelle, conformément aux descriptions de l’époque. Elle est également décrite comme une femme tendre et émotive, partagée entre le cœur et la raison. Si sa sensibilité est donc bien représentée à l’écran, on oublie que Margot fut aussi une femme de lettres férue de philosophie. Henri de Navarre est montré comme sain et honnête, n’ayant pas sa place dans cette Cour sordide qui veut sa mort. Les mœurs légères de ce roi sont occultées tout comme l’hygiène et ses manières très douteuses. Henri était reconnu pour être un coureur de jupon et prenait plaisir à charmer les dames de la Cour. Joseph Boniface, seigneur de la Môle, était le favori de François d’Alençon, le frère de Margot, avant que celle-ci ne jette également son dévolu sur lui. Leur rencontre est également largement romancée dans le film. Margot ne le sauve pas lors du massacre de la Saint-Barthélemy. Cette histoire est inspirée d’un témoignage présent dans les Mémoires de la reine, indiquant qu’un homme du nom de Leran, un protestant blessé, s’était introduit dans sa chambre durant le massacre, et fut achevé par les gardes. Dans la réalité, La Môle a été décapité en avril 1574 pour avoir attenté à la vie du roi en lui donnant une poupée de cire piquée d’aiguilles, fourni par l’astronome de Catherine de Médicis. Dans le film, la poupée est remplacée par un livre appartenant à la Môle qui, imbibé de poison, causa la mort lente et douloureuse de Charles IX. La scène finale du film, digne d’un opéra baroque, confirme cependant des sources de l’époque (notamment le pamphlet protestant Le Divorce satyrique de 1607 et qui sera popularisé plus tard par Stendhal) selon lesquelles Margot aurait emporté la tête de son amant après son exécution.
La famille Médicis : une puissante famille diabolisée
La famille Médicis a toujours eu la réputation d’une famille italienne (florentine) décadente et dépravée. Les historiens ont démenti beaucoup de fables leur étant attribuées. Cependant, Chéreau et Dumas ont tous deux décidé de faire foi à certaines de ces rumeurs dans leurs œuvres, nous donnant une image diabolisée du clan Médicis. A la tête de ce clan, la duègne Catherine de Médicis mène à la baguette ses enfants et se montre sans pitié. Le roi Charles IX est faible de santé et d’esprit. Ses frères, François d’Alençon et Henri d’Anjou, sont des ambitieux débauchés et colériques, qui n’hésitent pas à s’en prendre à leur sœur Margot. Charles IX meurt de la tuberculose le 30 mai 1574. Comme représenté dans le film, il a transpiré du sang à la veille de sa mort, phénomène causé par une hématidrose, une maladie liée au stress. En revanche, aucun signe d’empoisonnement n’a été retrouvé lors de l’autopsie, malgré des soupçons portés sur sa propre mère. La terrible scène de l’infanticide accidentel de Catherine de Médicis sur son fils n’est donc pas basée sur des faits, mais sur des rumeurs de l’époque. La suite est connue. En 1589, Catherine de Médicis meurt, suivie par les assassinats du duc de Guise et de celui d’Henri III, assassiné par un ultra-catholique, la montée sur le trône d’Henri IV et de Marguerite de Valois. L’histoire se terminera par le divorce âprement négocié de la reine de France en 1599. Elle meurt en 1615 à l’âge de 61 ans, cinq ans après l’assassinat d’Henri IV. La boucle était bouclée.
En mélangeant réalité historique et tragédie fataliste, Patrice Chéreau a fabriqué un chef-d’œuvre. Bien qu’il soit difficile de le qualifier de film historique, car inspiré de mythes et propagandes de l’époque, il n’en reste pas moins un tableau lugubre et descriptif de cette sombre partie de la Renaissance française qui marquera les esprits.
Juliette Gurunlian