Le film désormais culte de Ridley Scott, Kingdom of Heaven , fait débat parmi les amateurs d’Histoire. Malgré des scènes et accessoires cohérents avec la période, ce film présente de nombreux anachronismes. Alors, comment le catégoriser : récit historique ou fiction hollywoodienne ? La Revue Dynastie revient sur ce chef d’œuvre cinématographique.
Nous sommes au XIIème siècle. Balian (incarné par l’acteur Orlando Bloom) exerce le métier de forgeron. L’arrivée de chevaliers croisés va bouleverser sa vie jusqu’ici sans histoire. Il découvre alors qu’il est l’enfant illégitime du baron Godefroy d’Ibelin (interprété par Liam Neeson). Ce dernier lui propose de le suivre en Terre Sainte afin qu’il récupère son titre et ses terres. Une fois sur place, Balian se fait remarquer par le roi Baudouin IV (dit le Lépreux), souverain de Jérusalem. Devenu influent, il entame une idylle secrète avec la sœur du roi, la princesse Sibylle de Jérusalem (jouée par Éva Green). Entre intrigues politiques et convictions religieuses, le camp chrétien montre ses divisions. Face aux sarrasins de Saladin qui tentent de reconquérir la ville sainte, les croisés font preuve d’une héroïque résistance. En vain. Jérusalem ne tarde pas à tomber.
Des anachronismes à répétition
On doit cette épopée à succès, sortie sur grand écran en 2005, d’une durée de trois heures, au talentueux Ridley Scott et à son scénariste William Monahan. Pourtant tous deux passent à côté de certains détails notables concernant les protagonistes, versant dans l’anachronisme. Le personnage de Balian d’Ibelin (mort en 1193) est présenté comme un forgeron vivant au nord de la France et aux origines modestes. En réalité, il n’est pas né en France mais en Terre Sainte. C’est un poulain, le nom des Francs nés en Terre sainte, parfois issus de mariages mixtes. Il a vécu dans le domaine de son père, également prénommé comme lui (non Godefroy), une seigneurie, un arrière-fief du royaume de Jérusalem. Il a reçu une éducation propre à tous les enfants nés au sein de l’aristocratie. Il a appris le maniement de l’épée, possède une très bonne connaissance de la région, à l’inverse du portrait dépeint dans le film. Sa biographie nous est connue. Proche de Raymond III de Tripoli, il était apprécié du roi Baudouin IV, a participé à la défense de Jérusalem contre les sarrasins, durant laquelle il a adoubé les hommes de la ville afin qu’ils puissent participer au combat en tant que chevaliers (acte bien représenté dans le film). Autre erreur notable, l’idylle entre lui et Sybille qui n’a jamais existé. Balian avait contracté un mariage prestigieux avec la princesse Marie Comnène et Sybille fut très éprise de son mari Guy de Lusignan, qu’elle aida même à accéder au trône de Jérusalem après la mort de son fils.
Déceler le vrai du faux
Les personnages de Guy de Lusignan et de Renaud de Châtillon sont présentés comme des templiers aux tempéraments brutaux et irréfléchis, provoquant la perte de Jérusalem. Dans les faits, ces deux personnages étaient proches des templiers mais n’appartenaient pas à cet ordre. Renaud de Châtillon était un combattant, un chrétien convaincu qui s’en prenait aux caravanes de musulmans, malgré la trêve établie. Rebelle à la politique de Baudouin IV (qui n’a jamais été masqué) , qui avait fait de Jérusalem une ville où chrétiens, juifs et musulmans cohabitaient sans animosité, il s’opposait à la paix établie entre Saladin et le roi de Jérusalem. Le personnage de Renaud de Châtillon reste assez fidèle au caractère qu’on lui connaît comme la scène de sa mort, de la main de Saladin lui-même. On sera plus nuancé sur la figure de Guy de Lusignan, désigné « méchant » du film. Cadet sans fortune, piètre organisateur, impopulaire, maladroit, devenu roi de Jérusalem (1186-1192), on lui doit la responsabilité de la défaite de la bataille d’Hattin qui permet à Saladin de s’emparer d’une grande partie du Royaume de Jérusalem.
Un chef d’oeuvre cinématographique controversé
Saladin et Baudouin IV sont représentés assez fidèlement. Des monarques justes, sages et respectés de tous. Toutefois, le caractère de Saladin a été largement adouci par Ridley Scott. Le départ des croisés de Jérusalem, décrit dans le film, comme étant pacifique et sans restriction, est loin de toute réalité historique. Seuls ceux qui pouvaient payer une taxe afin d’acheter leur liberté ont pu fuir de la ville sainte, les autres devenant des esclaves. Au-delà des personnages, assez caricaturaux et romancés dans le film, subsistent d’autres anachronismes. Certaines armes et costumes utilisés datent d’époques plus tardives. C’est le cas des arbalètes, qui n’étaient pas encore utilisées pour se battre, mais plutôt pour la chasse. Elles étaient considérées comme un instrument déloyal par les chevaliers. Lorsque Godefroy d’Ibelin apprend à Balian à se battre à l’épée, les deux mains sont autour de la garde. Il s’agit là d’une erreur, puisqu’au XIIème siècle les épées étaient utilisées à une main. Que dire de la présence de chevaliers teutoniques, qui tentent d’assassiner le héros sur ordre de Guy de Lusignan, quand on sait que cet ordre de chevaliers religieux allemand a été créé plus tardivement. En dépit de ces nombreuses erreurs, Kingdom of Heaven reste un chef d’œuvre cinématographique assez époustouflant. Les scènes de bataille, les plans du port de Médine et de Jérusalem, qui sont représentatifs des ambiances et des us de l’époque, démontrent que Ridley Scott a eu le souci du détail. La présence d’armures, heaumes et armes d’époque, ainsi que de la vaisselle et des décors qui sont également cohérents avec la période, tout comme l’utilisation d’habits et d’équipements orientaux par les chrétiens.
Dans un souci de neutralité, Ridley Scott a pris la décision de ne diaboliser aucun parti au profit d’un autre. Il n’a donc soutenu ni les musulmans, ni les chrétiens. Ce choix a été critiqué, notamment par certains catholiques. Selon ces derniers, les croisés ont été décrits comme des êtres violents, dont le combat ne serait pas justifié sans que l’aspect religieux ou leur foi profonde foi ne soient retranscrits. D’autres critiques affirment que le beau rôle a été donné aux musulmans, présentés sous le sceau de la tolérance absolue, respectant par défaut un manichéisme très américain consistant à désigner, un « gentil, un méchant ». Pourtant les principaux concernés ont également jeté une ombre critique sur le film, accusant Ridley Scott de les présenter sous un mauvais jour. Des controverses qui ont toutefois participé à la popularité du film. Il a d’ailleurs reçu un très bon accueil en France comme dans les pays musulmans, avec chacun ses héros naturels et légitimes. Une introduction historique dans l’ère des croisades à ne pas manquer.
Juliette Gurunlian