C’est un conflit larvé oublié des médias internationaux. Depuis le 3 novembre 2020, le gouvernement fédéral éthiopien livre une guerre sans merci aux rebelles du Tigré et de l’Oromoland. Assassinats ciblés, destruction de leurs habitations, rien n’est épargné aux populations de cette Corne d’Afrique. Les récents massacres dans les régions de Wolega et de Gambela ont contraint une nouvelle fois la maison impériale d’Ethiopie à sortir de sa réserve naturelle, rejointe par l’épiscopat orthodoxe et catholique du pays.
En 2018, l’arrivée au pouvoir du Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed Ali a été la source de tous les espoirs. Très rapidement, il a entamé des réformes, libéré les dissidents emprisonnés, fait place à plus de démocratie et même réhabilité le régime de l’empereur Haïlé Sélassié jusqu’ici brocardé dans les livres d’histoire du pays Un esprit d’ouverture récompensé par un prix Nobel de la Paix, l’année suivante, aujourd’hui entaché de sang. La montée des séparatismes (notamment au Tigré et dans l’Oromoland) a eu raison de la paix civile et fait basculer l’Éthiopie dans un conflit meurtrier avec son lot de victimes innocentes et de populations déplacées. Loin de toute médiatisation internationale, plus de 300 personnes, principalement des femmes et des enfants, ont été massacrés dans les régions de Wolega et de Gambela comme l’indiquent les évêques catholiques d’Éthiopie qui ont fermement condamné cette tragédie. « Les gens ne devraient pas être tués en raison de leur identité et de leur religion » a dénoncé la Conférence des évêques catholiques d’Éthiopie (CBCE) dans un communiqué daté du 24 juin.
Une dynastie indissociable de l’histoire éthiopienne
Un point de vue partagé par le prince Ermias Sahle Sélassié, président du Conseil de la couronne d’Éthiopie. « Mon cœur se brise quand j’entends parler du massacre insensé d’Éthiopiens innocents à Wolega et Gambela. Trop de fois au cours des dernières années, nous avons vu ces tragédies se reproduire encore et encore, partout dans notre pays. Nous récoltons maintenant la moisson amère de cinq décennies de politique ethnique, cinq décennies de division de notre famille en groupes toujours plus petits en fonction de notre langue, de notre religion, de notre région » a déclaré le petit-fils du dernier souverain d’Éthiopie dans un communiqué publié sur son site officiel. Issue des amours de Salomon et de la reine de Saba, la dynastie Salomonide est l’une des plus vieilles au monde. Ses différentes branches ont gouverné le pays, l’un des rares d’Afrique à figurer sur des cartes maritimes européennes, jusqu’en 1974, date à laquelle elle a été définitivement renversée par une révolution marxiste organisée par le Derg. Bien qu’elle compte un nombre important de monarques qui ont tous laissé une empreinte dans l’histoire, c’est à Haïlé Sélassié (1892-1975) que l’on doit l’entrée de ce pays, malmené par la colonisation italienne, dans le concert international des pays indépendants. Le « Roi des rois » a été popularisé par le chanteur Bob Marley. La légende du reggae a magnifié l’œuvre de Ras TafarI Makonnen, nom de naissance du négus. C’est de cet héritage unificateur dont se réclame aujourd’hui le prince Ermias Sahle Sélassié.
An important statement from His Imperial Highness Prince Ermias Sahle-Selassie Haile-Selassie, President of the Crown Council of Ethiopia, on the recent violence in #Ethiopia: pic.twitter.com/FYTEo19CPK
— Ethiopian Crown (@EthiopianCrown) July 5, 2022
Un Dejazmach qui ne ménage pas sa peine
Véritable porte-parole de sa famille, actuellement membre du gouvernement, le prince Ermias Sahle Sélassié est très actif, reçu par de nombreux gouvernements, constamment au chevet de la diaspora éthiopienne. « Nous devons changer de cap maintenant. Si nous ne le faisons pas, ces massacres se reproduiront encore et encore, jusqu’à ce que nous en soyons insensibles et que nous oublions que nous étions autrefois humains. Nous avons tous un rôle à jouer, tant dans ce que nous disons que dans ce que nous faisons. Nous ne devons jamais nous louer ou nous reprocher les langues que nous parlons ou ne parlons pas, les ancêtres que nous partageons ou non. Les mots comptent. Ils incitent les pires d’entre nous à la violence. Et cette violence doit cesser » martèle celui qui est également détenteur du titre de Dejazmach de Wolega. Il n’hésite d’ailleurs pas à évoquer un « holocauste » en cours.
Last month, representatives of the Ethiopian Crown Council traveled to Panama for an official visit hosted by the Panamanian government. pic.twitter.com/4cj6jPnOd8
— Ethiopian Crown (@EthiopianCrown) June 27, 2022
Dans les pas de son grand-père Haïlé Sélassié
Confiné dans un rôle de neutralité, le prince a été accusé par ses détracteurs de faire de la politique et de diriger un mouvement monarchiste chargé de faire la promotion d’un retour de l’empire. « Il y a près de deux décennies, le Conseil de la Couronne sous ma direction a annoncé son objectif d’être une institution strictement apolitique. Nous maintenons cet objectif. Mais ce n’est pas politique de demander à tous les Éthiopiens de s’élever au-dessus du parti et de l’ethnocentrisme. Il n’est pas politique d’exiger que notre gouvernement et ses dirigeants agissent rapidement et de manière décisive pour protéger la vie de tous les Éthiopiens. Et il n’est pas politique de rappeler à l’Éthiopie que sa couronne peut aider à unifier et à guérir notre pays aujourd’hui, comme elle l’a fait à de nombreux moments de notre passé » a rappelé le prince Ermias Sahle Sélassié.
Potentiel héritier à la couronne, se plaçant dans les pas de son grand-père, il a exhorté les « dirigeants politiques et spirituels de notre pays – chaque prêtre et imam, chaque député jusqu’au Premier ministre lui-même – à travailler sans relâche dans les semaines et les mois à venir, pour construire un nouveau départ, (…) enseigner à la prochaine génération le message de paix et de réconciliation » avant que l’Éthiopie ne sombre dans un constat commun d’échec.
Frederic de Natal