C’est une petite ville touristique du Laos, située sur la rive occidentale du Mékong. Le Champassak a été la capitale d’un fabuleux royaume dont le destin a été longtemps lié à l’histoire de l’Indochine française. Depuis la chute de la monarchie laotienne en 1975, le sadet sao (prince) Keo Champhonesak attend patiemment de remonter sur son trône.
C’est une destination méconnue des touristes qui viennent pourtant profiter en masse des beautés du Laos chaque année. Hors des sentiers battus, le long du Mékong, se trouve la ville de Champassak. Elle possède une seule avenue, quelques maisons serrées les unes contre les autres, quelques restaurants et des demeures coloniales qui ont conservé leurs cachets indochinois d’antan. Constellée de sites historiques, classés au patrimoine mondial de l’Unesco, Champassak a été, bien avant l’arrivée des français en Asie, la capitale d’un royaume fondé au XVIIIème siècle par le prince Nokasad. C’est aussi l’histoire d’une survivance, celle de la monarchie de Lan Xang dont la désintégration profite à ce prince qui fait sécession et se proclame roi absolu des Laos du sud en 1713. Le début d’une histoire qui va durer près de trois siècles.
Un royaume qui aiguise les appétits
Le Champassak va avoir du mal à conserver son indépendance. Réduit à l’état de vassal siamois en 1829, il passe entre les mains du Cambodge, une décennie plus tard. Au même moment, la France commence à poser son pied dans cette partie de l’Asie, déterminée à se tailler une part du lion dont le royaume en sera une des gourmandises. Le roi Bun Laphan Ratsadanay (1874-1945) sera d’ailleurs réduit au rang de simple fonctionnaire par l’administration coloniale en 1904 sans qu’il n’oppose la moindre résistance. La France annexe le royaume et l’incorpore à celui du Laos devenu un protectorat au sein de l’Indochine nouvellement constituée. Le souverain est autorisé à garder ses titres, salutations, sa garde et décorations à vie mais ne peut exercer de pouvoirs. La monarchie est devenue l’ombre d’elle-même, vieillissante, épuisée à l’image du roi Ratsadanay dont on se débarrasse finalement en 1934. Le monarque est devenu le jouet des autorités coloniales et l’objet des attentions de la Thaïlande qui entend bien prendre sa revanche. Profitant de la défaite française en 1940, Bangkok envoie ses troupes dans le Champassak. Paris est forcée de négocier avec comme médiateur, le Japon qui s’installe progressivement en Indochine. Bun Laphan Ratsadanay est restauré sur son trône mais toujours sans régalia.
Le prince Bou Oum, un « féodal jouissif »
Avec la fin de la Seconde Guerre mondiale, le prince Boun Oum, héritier au trône, invite les Français à revenir au Champassak. La mort de son père le propulse sur le devant de la scène politique laotienne. En signe de soumission, dans le cadre d’un protocole secret, le nouveau monarque renonce même à ses droits (octobre 1946) en faveur du roi Sisavang Vong de Ventiane, souverain du Laos unifié. En échange, Boun Oum devient « inspecteur en chef à vie » de son royaume. Il a fait des études de droit, c’est un leader politique investi qui s’est battu contre les japonais, un anti-communiste convaincu. Passionné de littérature, il va se comporter comme un « féodal jouissif » selon l’historien Savengh Pinnith. Son nom va rester inscrit dans les grandes heures de l’histoire indochinoise. Devenu Premier ministre du roi, « il signe le 19 juillet 1949 l’accord franco-laotien qui accordait au royaume « l’indépendance » au sein de l’Union, française » nous rappelle une édition du quotidien Le Monde. Remplacé en 1950 après une année de pouvoir, il revient dix ans plus tard au même poste. Il entérine la fin de la monarchie du Champassak, divisée en trois provinces. Un crève-cœur pour le prince Boun Oum qui assiste également à la fin de l’aventure indochinoise.
Une famille royale discrète
L’indépendance acquise va s’accompagner d’une insurrection marxiste du Pathet Lao. Le pays se déchire, les partis de droite finissent par se coaliser en 1962 avec l’aide américaine. A Washington, Boun Noum attire l’attention plus par son style de vie. Le Times qui lui consacre un article résume le prince en trois mots : « l’argent, l’alcool et les femmes ». Il est progressivement écarté de toutes négociations et perd en popularité. Il tente de reprendre la main mais il est trop tard pour sauver la monarchie qui chute en 1975. L’héritier du Champassak prend le chemin de l’exil trois ans plus tard après que son palais a été nationalisé, vers la France, avec pour seuls bagages, sa solitude et son amertume. « J’ai essayé d’oublier pendant de longues années. Maintenant, l’âge venu, j’y suis parvenu… Je n’ai plus à craindre d’avoir un jour l’envie de quitter cette grotte où, depuis tant d’années, je tourne seul, sans arrêt… » dira des années plus tard le prince Boun Oum avant de s’éteindre, miné par la nostalgie, en 1980, à l’âge de 68 ans.
Les membres de la famille royale du Champassak vont connaître divers destins. Certains finiront dans des camps de rééducation marxiste (comme le prince Sri Rama na Champasakti qui s’échappera en 1985), d’autres rejoignent la rébellion qui survit tant bien que mal (dirigée par le prince Saint-cyrien Chao Sanhprasith Na Champassak jusqu’en 1989 où il doit abandonner le combat faute de soutien thaïlandais), une autre partie décide d’abandonner leur nom dynastique afin de se fondre dans la masse. Un (Pierre Raymond Doan Vinh na Champassak) fera les manchettes de la presse people en épousant Barbara Hutton. Le 7ème et dernier mariage de cette milliardaire entre 1964 et 1966. Une majorité d’entre-deux s’enfuit en France où ils vivent encore discrètement. En 2013, la maison royale du Champassak s’est réunie à Paris pour fêter son tricentenaire. Parmi les invités, le prince Keo Champhonesak na Champassak, actuel prétendant au trône (né en 1944). Il n’a jamais fait de déclaration publique, reste quasi inconnu de ce qui reste d’un royaume oublié par l’Histoire.
Frederic de Natal