Ils se sont retirés de leur entreprise depuis des décennies mais le nom de cette famille italienne raisonne encore de toute sa puissance dans le monde du luxe. Une dynastie comme seule l’Italie en compte, marquée du sceau de la trahison et du sang. En novembre dernier, le producteur Ridley Scott a décidé de la mettre en lumière et sur grand écran. La Revue Dynastie revient sur l’histoire tumultueuse des Gucci à qui les Médicis ou les Sforza n’ont rien à envier.
Tout commence un jour de 1921 lorsque Guccio Gucci décide d’ouvrir sa première boutique à Florence. Fils d’un marchand de cuir, il se spécialise dans la maroquinerie, la sellerie et la bagagerie. Mais c’est l’embargo sur le cuir en 1940 qui le pousse à se diriger vers l’exploitation du lin et du bambou qui vont faire la renommée de la maison Gucci en devenir. Il associe alors ses fils à son activité qui connaît un rapide développement en dépit des bruits de canon qui tonnent dans toute l’Europe. Un empire va naître avec un sigle, deux « G » entrelacés, blason moderne d’une famille qui ne va pas tarder à se déchirer l’héritage du patriarche qui décède à Milan en 1953, âgé de 71 ans.
Une montée en puissance fulgurante
Ses enfants prennent la direction du groupe, lui donnant une aura internationale en s’implantant la même année à New York, puis Londres, Paris, Los Angeles ou encore Hong Kong. Les Gucci font du savoir-faire des artisans italiens, une marque basée sur des étoffes de qualité que le monde du luxe s’arrache à des prix exorbitants. On peut même voir une de leurs créations dans un film de Roberto Rossellini (1954), porté par l’actrice Ingrid Bergman. Même le président John F. Kennedy va qualifier les Gucci « d’ambassadeurs de la mode italienne ». Dans l’organigramme, c’est Aldo Gucci, le fils ainé de Guccio, qui prend le contrôle de l’Empire familial, secondé par son frère Rodolfo qui gère la production et l’implantation du réseau de boutiques. Les deux frères rachètent les parts de leur frère décédé (Vasco) en 1974, détenant chacun 50% de la firme. Un deal qui dessine les premières rivalités au sein de cette famille. En effet, très rapidement, les fils d’Aldo (dont Paolo) dénoncent cet accord financier, reprochant à leur oncle de faire le « strict minimum syndical » et estimant qu’il n’a pas suffisamment contribué à la croissance de l’entreprise. Pis, dans une tentative d’augmenter ses bénéfices, Aldo monte une filiale de parfumerie et s’en arroge 80 % des parts pour lui et ses trois fils. La guerre éclate entre les deux branches Gucci.
En 1973, Maurizio Gucci, fils de Rodolfo, épouse l’ambitieuse Patrizia Reggiani s’attirant les foudres d’une grande partie de sa famille. Y compris de son propre père qui considère « qu’elle n’en veut qu’à son argent ». Il est même intervenu directement auprès de l’archevêque de Milan pour empêcher le mariage. En vain. Les deux amoureux se sont rencontrés lors d’un gala en novembre 1970, tous deux âgés de 22 ans. Elle est la fille d’une serveuse de Modène qui a jeté son dévolu sur Ferdinando Reggiani, un homme d’affaires milanais plus âgé qu’elle. Patrizia sera une enfant gâtée toute sa vie mais bien que riche, la société milanaise boude sa famille. Pourtant Maurizio n’a d’yeux que pour elle, son antithèse, effrontée, piquante, téméraire…A New York, ils deviennent des figures incontournables de la jet-set locale qui donne le surnom de « Maurizia » au couple. Fêtes somptueuses fêtes à thèmes colorés conviant Jackie Onassis ou les frères Kennedy à leurs dîners, ils partagent leur temps entre leur chalet à Saint-Moritz, leur maison à Acapulco ou leur yacht, Le Créole, acquis par Maurizio après la naissance de leur seconde fille, Allegra, en 1981.
Maurizio Gucci, l’héritier maudit
Maurizio Gucci prend de plus en plus de poids au sein de l’entreprise, poussé par Patrizia, et par son père Rodolfo (qui crée une écharpe pour Grace Kelly), qui cherche à contrebalancer l’influence de son frère ainé Aldo. Mais lorsque Rodolfo meurt en 1983, la guerre familiale va entrer dans une nouvelle dimension. Avec les 50% des parts de son père, il devient presque majoritaire au sein de l’entreprise. Il ne cache pas sa volonté d’en prendre le contrôle et il va se servir du ressentiment de Paolo envers son père (il a vainement tenté de prendre son indépendance de lui) pour arriver à ses fins. En 1984, il provoque un scandale en laissant fuiter des informations compromettantes qui prouvent qu’Aldo a organisé une évasion fiscale. A 81 ans, deux ans plus tard, il est condamné à une lourde amende et une longue peine de prison. Il meurt en 1990. Une fois débarrassé d’Aldo, Maurizio décide d’éjecter Paolo. Le complot prend évidemment des allures de combats de coq, les deux alliés d’hier deviennent les ennemis d’aujourd’hui.
Parallèlement, le couple « Maurizia » bat de l’aile et pèse sur ses ambitions qu’il a du mal à gérer, se révélant un piètre gestionnaire. En 1985, il annonce à sa femme qu’il part à Florence pour un voyage d’affaire. Il ne reviendra pas. Tout a été minutieusement préparé. Il envoie un ami jouer les porteurs de mauvaises nouvelles et Patrizia apprend, stupéfaite, que son époux ne veut plus entendre parler d’elle, la qualifiant de « détail futile ». Le divorce fait les choux gras des médias d’autant plus qu’il a secrètement entamé une relation avec Paola Franchi, une amie d’enfance de son épouse et qui était invitée à leur mariage. Tous les ingrédients sont réunis pour l’inéluctable. La procédure de séparation n’aboutit qu’en 1994. Patrizia, humiliée, fait tout son possible pour que son ex-mari ne se remarie pas avec sa maîtresse. Les ennuis s’accumulent pour Maurizio, victime du piège tendu à Aldo. Son cousin finit par le dénoncer au fisc en 1988. Même s’il échappe à la prison, l’empire Gucci commence à péricliter. Il va vendre alors sa société à Investcorp, un fonds d’investissement basé à Bahreïn, ruinant au passage Paolo qui se retrouve jeté dehors de sa maison.
Un assassinat trouble
Arrive le drame que tout le monde redoutait. Le 25 mars 1995, alors qu’il quitte son hôtel particulier de la via Palestro de Milan pour se rendre au siège de la maison Gucci, Maurizio est froidement abattu d’une balle dans la tête. La presse italienne évoque un règlement compte, une affaire de trafic avec la mafia … jusqu’à ce que les policiers n’approfondissent le plus banal des mobiles : l’ex-femme rejetée. « Lady Gucci » est finalement arrêtée le 31 janvier 1997 sous les flashs des médias qui se sont précipités à son domicile. Dans son agenda on découvre que le jour du meurtre elle n’a inscrit qu’un seul mot : « Paradis ». Reconnue coupable du meurtre, elle est condamnée à 29 ans de réclusion. En prison, celle que l’on surnomme la « veuve noire » sera fidèle à sa réputation. Elle rémunère, par exemple, d’autres prisonnières pour faire son ménage. Et quand on lui propose d’être libérée à condition de trouver un emploi en 2011, elle refuse et déclare : « Je n’ai jamais travaillé de ma vie, je ne vais pas commencer maintenant ». Pourtant, l’argent qu’elle possède diminue et elle est bientôt contrainte de revoir ses ambitions. Consultante chez Bozart, une marque de bijoux fantaisie, elle est finalement libérée en 2017, se précipite chez un avocat et obtient de la justice que ses filles lui versent les arriérés de pensions alimentaires ( 900 000 £) dues pendant qu’elle purgeait sa peine.
« House of Gucci »
Il ne reste plus rien de l’empire Gucci, exceptée une marque sur des magasins. Ironie de l’histoire, Paolo est décédé sept mois après son cousin, en plein divorce. La nouvelle génération Gucci, constituée par les arrière-petits-enfants du patriarche, a décidé de se faire plus discrète. La fille d’Aldo, Patrizia Gucci, homonyme de sa sulfureuse cousine par alliance, a publié en 2016 « Au Nom des Gucci », livre dans lequel elle tente de donner sa version de la saga familiale afin de préserver l’image de la famille et l’héritage immatériel de Guccio. Preuve en est, lors de la sortie du film de Ridley Scott, les héritiers ont publié un communiqué : « La production du film n’a pas pris la peine de consulter les héritiers avant de décrire Aldo Gucci – président de la société pendant 30 ans – et les membres de la famille Gucci comme des voyous, ignorants et insensibles au monde qui les entoure… C’est extrêmement douloureux d’un point de vue humain et une insulte à l’héritage sur lequel la marque est construite aujourd’hui » ont regretté les derniers Gucci qui n’ont plus que la nostalgie pour seule richesse.
Arnaud Gabardos