Le sacre a toujours excité notre imaginaire. Cérémonie religieuse, elle confère au souverain tout son caractère sacré ou divin. Le dernier couronnement d’un roi de France a élu lieu en 1825. Si demain, la monarchie était restaurée, comment imagineriez-vous le sacre ? Pour la Revue Dynastie, qui consacre un large dossier sur ce sujet dans son « numéro 0 », notre journaliste est allé à la rencontre de trois personnes qui nous donnent leur vision du sacre.
C’est un jeune monarchiste atypique, loin de l’image qui est habituellement distillée dans les médias. Étudiant à l’école du Louvre, vous ne trouverez pas de livres sur Maurras ou de blason fleurdelisé chez lui mais des objets en tout genre provenant de l’univers d’Harry Potter. La fantasy, une passion pour ce jeune homme qui vient tout juste de fêter ses 25 ans. Le sacre ? Une affaire très sérieuse avec laquelle on ne badine pas et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il va droit au but. Laurent est le « Lionel Messi » du roycoland, là où il tire, il fait mouche. « La question du sacre est intrinsèquement lié à la monarchie française alors que ce n’est plus le cas dans d’autres monarchies aujourd’hui. A une exception notable : la monarchie britannique qui est assez hybride en soi puisque la souveraine est de droit divin et peut-être destituée par le parlement ». Le sujet est lancé, il dégaine ses arguments aussi vite que dans un duel de sortilèges.
« Il faut bien faire une différence entre sacre et couronnement, comme c’est le cas en Espagne ou d’autres pays qui ont tous renoncé aux régalia pour laisser place à une cérémonie de serment ». Attrapant son métronome, Laurent nous transporte chez les Carolingiens et me rappelle à juste titre que Charlemagne n’a pas été sacré roi, mais couronné empereur. Tout est dans la nuance. Il s’agit donc de déterminer déjà de « quel type de monarchie on parle car tout sacre en France implique un aspect religieux qui lui est indissociable. Dans l’esprit de l’Ancien régime, le Christ était le vrai souverain ». Je lui fais remarquer que « la Restauration était une monarchie constitutionnelle et qu’elle a pourtant connu un sacre, rien qui ne soit antinomique ». Laurent a déjà une réponse, elle fuse aussi vite qu’un « Éclair de Feu ». « Oui mais n’oubliez que toute constitutionnelle était-elle, la Charte était octroyée par le roi, le régime était encore considéré comme de droit divin ce qui agaçait beaucoup les Libéraux de cette époque ». « Toute souveraineté vient de Dieu et en tant que catholique, je pense qu’il est nécessaire qu’il y ait tout ce rituel inhérent à la monarchie. Le sacre n’a rien de suranné mais avec le libéralisme ambiant, je peux comprendre que cela soit perçu comme tel » poursuit Laurent. « A titre d’exemple, le sacre de Napoléon serait un bon équivalent historique à ce qui pourrait être célébré. Encore faut-il le renouveler pour pouvoir réconcilier tout le monde autour de cette idée » ajoute-t-il tout en jouant avec son écharpe aux armes de « Serdaigle ».
« La monarchie de droit divin est une incarnation d’unité »
« La monarchie de droit divin est une incarnation d’unité et ce concept pourrait revenir. On sent bien que notre société en appelle à une refondation, j’en veux pour preuve le phénomène de la « cancel culture », même si ce dernier est surtout révélateur des contradictions de l’idéologie des lumières et qui conduit à son autodestruction pour alimenter cet esprit de révolution permanente » poursuit Laurent. « Il faut toutefois prendre acte et constater les changements tant dans les mentalités que dans la société que trois siècles de Révolutions et de Républiques ont générée. Elles sont irrémédiables, même si on peut le déplorer sur certains points. Toutefois à défaut de retrouver la forme d’avant 1789, qui n’était déjà plus pertinente à l’époque, on peut essayer d’en retrouver l’esprit et d’en adapter la forme. ». Je dois mettre fin à l’entretien. Le temps de me retourner et il est déjà sur le départ. Pour quelle destination ? « La Terre du Milieu, je dois assister au couronnement d’Aragorn » me dit-il en rigolant.
C’est un « Home sweet home » atypique. Depuis quelques années, Maylis et sa petite famille partagent leur temps entre leur maison de campagne et une péniche arrimée sur le quai de Saône. Le plus vieux pied à l’eau de Lyon doté un grand pont et agrémenté d’un jardin. A l’image de la capitale des Gaules, Maylis a autant le sourire que la rhétorique pétillante. Le sacre, ringard ? « C’est précisément ce dont la France a besoin aujourd’hui et pour plusieurs raisons » me répond du tac au tac cette professeur de Philosophie. Le micro est branché, clap de départ avec en arrière-fond, une des plus belles villes de France.
« Le sacre est indubitablement lié à la sacralité du pouvoir avec l’intervention d’une transcendance qui se manifeste très profondément dans le cœur des français, une intervention divine alliée avec ce besoin de légitimité du pouvoir » poursuit Maylis. « Être sacré, étymologiquement c’est aussi se couper du profane, c’est lui donner une aura, une force, une légitimité que n’a pas celui qui a été élu par les urnes et c’est surtout la construction d’une identité de gouvernant qui est fondatrice » se justifie cette catho’ convaincue. Pour cette jeune royco trentenaire, « la monarchie est une option qui n’est plus à négliger, une idée fédératrice qui se traduit par l’ostentatoire du sacre, indissociable d’un triptyque spirituel » . « Les français, même s’ils n’ont pas connu de rois depuis deux siècles, gardent une certaine nostalgie de ce pouvoir-là. La figure d’un monarque est une incarnation très concrète et sacrificielle qui donne tout à sa famille. Donner quelqu’un à aimer à un peuple, c’est l’enrichir et les français ont aussi soif de se retrouver derrière une personne qui incarne cette transcendance verticale. Cela ne peut-être qu’avec un roi sacré ». Fleur de Lys pavoisant virtuellement à la poupe de la péniche, Maylis a sorti les Montjoie de circonstance entre deux sourires et petits rires communicatifs qui ponctuent ses arguments. « Exercer un pouvoir, c’est d’abord servir et si demain, nous devions revivre ce moment fort qu’est le sacre, il faudrait qu’il soit à la fois entouré de fastes, de rites, d’apparats, habillé d’un décorum qui prête à rêver où chacun pourra s’y retrouver quelques soit leurs origines, les couches sociales ou religieuses » renchérit-elle. « La monarchie a toujours été reçue des mains de Dieu, trouve ses racines au plus profond du christianisme et si le roi était de droit divin, il n’était pas pour autant le seul maître à bord. Au-dessus de lui découlait une autorité supérieure qui restait le garde-fou de sa conscience » se permet-elle d’ajouter dans un certain mysticisme sous-jacent. Mais assumé !
« Il y a des économies qui en sont et d’autres qui n’en sont pas. L’unité nationale n’a pas de prix ».
Que répond-elle à ceux qui affirment que la France n’a pas le luxe de s’offrir ce caprice ruineux et que cela ne concerne que les « petits cathos bobos du XVIème de Paris ? ». « Il y a des économies qui en sont et d’autres qui n’en sont pas. L’unité nationale n’a pas de prix ». Le temps n’est pas de la partie mais Maylis est un rayon de soleil à elle toute seule qui n’aurait pas déplu à Louis XIV. Et à propos de la seconde religion de France, ne serait-ce pas la stigmatiser si on ramène juste cela à une dimension chrétienne ? « Bien au contraire, cela répond à un désir profondément identique, Même chez les musulmans, il y a un appel à ce retour du sacré tant cela leur est plus que familier ». Maylis est allée à bonne école, celle de l’Action française, mais si toute romanesque soit-elle, elle n’est pas une idéaliste pour autant. Elle est consciente de la réalité du terrain. « Il faudra un travail préparatoire pour faire comprendre aux français que la monarchie comme le sacre ne sont pas une ineptie. Cela permettrait de renouer un dynamisme, de redonner un rayonnement à notre pays car n’oublions pas une chose, ce n’est pas la France d’après 1789 que les touristes viennent visiter en nombre. Mais bel et bien celle des rois qui ont fait la France sans lesquels elle se défait ». Imparable et magique, Maylis est un pur produit de cette nouvelle génération chouanne 2.0 qui vous surprend en tous points.
« Vous savez, le problème c’est que la fonction présidentielle est un désaveu pour beaucoup de français car elle n’est plus auréolée d’un prestige, avec un jeu démocratique qui est à bout de souffle même si on nous le présente comme indépassable. Considérons enfin le retour de la monarchie sacrée comme une urgence vitale. Ce n’est pas le folklore d’un autre siècle, si on veut que la France continue d’être la France ». Le sacre ? Mais « Deus vult ! » (Dieu le veut) naturellement. Une maxime qui résume et s’impose comme conclusion à cet entretien qui ne peut laisser indifférent.
Maurras n’est pas sa « tasse de thé ». Limite, il en rirait tant il trouve les concepts développés par le chantre de l’Action française complètement dépassés aujourd’hui. Petit bouc très fin au visage, regard corbeau, c’est un normand racé, un gaillard de 26 ans sans château mais qui n’hésite pas à agiter un drapeau fleudelysé teinté de rouge. Guillaume est un royaliste de gauche. Et croyez-moi ou non, on est loin de cette caricature fascisante dont on affuble régulièrement les partisans du roi. Ce millénial ne jure que par le retour d’une monarchie constitutionnelle et sociale. A chaque roi, son couronnement, ses fastes et il faut avouer que cet informaticien de métier détonne par sa vision du sacre. Aux antipodes de ce que l’on pourrait s’attendre d’un « royco » lambda biberonné au chouchen et la bière.
« Penser que le sacre, s’il doit y en avoir un, se fera sous l’œil du divin relève du non-sens »
« L’avantage d’un sacre par rapport à d’autres types d’intronisation au sens large du terme, c’est que cette personne est ointe d’une auréole sacrée qui la place au-dessus de la mêlée. Mais je ne suis pas sûr que le sacre aujourd’hui soit la condition sine qua non pour réunifier les français autour de la personne d’un roi » me lance-t-il soudainement. Bing, bang, boum, l’entrée en matière est brut de décoffrage, aussi direct que le lancer d’un ballon de rugby. Pas étonnant, il adore ce sport aussi passionnément que la politique. « D’ailleurs penser que le sacre, s’il doit y en avoir un, se fera sous l’œil du divin relève du non-sens. Tout ce qui pouvait avoir attrait aux regalia de la monarchie absolue tel que cela fut sous l’Ancien régime reste assez anachronique. Je rappelle que Louis-Philippe [dernier roi des français entre 1830 et 1848-ndlr] a juste prêté serment et que la France a continué de vivre » tient à rappeler Guillaume qui évoque ce possible détachement des français pour ce ce sujet. « Cela reste un symbole d’unité à court terme mais à bien regarder, cela ne peut que créer une forme de déconnection entre le peuple et la monarchie renaissante et qui sera mal perçu à long terme » poursuit ce descendant de viking. Retour vers le futur, il me parle de Charles X, l’un des Bourbons le moins aimé des Capétiens, à titre d’exemple. « Regardez ce roi, lorsqu’il décide de se faire sacrer [1825-ndlr], il fait l’unanimité autour de lui. Y compris chez les moins monarchistes des français qui parlent à l’époque du retour de l’union ». Cinq ans plus tard, tout a été oublié et on le lui reprochera même, que ce soient les ultra-royalistes ou les libéraux » explique Guillaume. Un juste milieu peut-être ? « Oui sans ce côté suranné qui a toujours entouré les sacres des Rois de France, pas de Pape ni de génuflexion, on est au XXIème siècle ! » répond -il.
Son exemple ? « Celui de Felipe VI d’Espagne qui est simple mais auquel on pourrait rajouter la passation d’une bague que recevrait un roi à genoux, symbolisant l’union entre le roi et le peuple et l’incarnation de la continuité » explique Guillaume qui réfute toute notion de ringardise pour autant et qui me parle de « sacre nouveau avec sa forme sacrale à réinventer propre à cette restauration ». « La Révolution française est passé par là, cinq républiques aussi, il y a la souveraineté nationale et populaire à prendre en compte et c’est bien elle qui doit décider si on doit sacrer un monarque. Selon moi, le premier des souverains restauré ne doit pas être sacré ainsi que le fut Louis XVIII » assène-t-il très calmement. Mais où cette cérémonie de l’anneau doit-elle se passer ? « Certainement pas à Reims qui est « has-beeen » mais dans un des palais de la monarchie ». La réponse fuse toujours aussi rapide qu’une des flèches de Légolas venu protéger le précieux de Frodon. Cela tombe bien, il est fan de la trilogie de Tolkien. « Le sacre fut l’étincelant et le tombeau des monarques » renchérit Guillaume. Il laisse cependant la porte ouverte à toutes propositions.
Frederic de Natal