C’est un conflit dans lequel la France a joué un grand rôle mais qui reste pourtant méconnu. Entre 1828 et 1833, elle est intervenue directement dans la guerre d’indépendance grecque afin de libérer le Péloponnèse occupé par des forces égypto-turques. Plus qu’une expédition militaire, à l’instar de la campagne d’Egypte de Bonaparte, elle va être accompagnée d’une commission scientifique qui va se révéler indispensable à la formation de l’état grec et d’une cohorte de diplomates qui vont tenter d’influer sur le cours de son histoire. La France va se passionner pour cette expédition que la presse de l’époque compare à une nouvelle croisade, le symbole de la revanche des croisés latins d’Achaïe.
Cette année, la Grèce a fêté le bicentenaire de son indépendance. Parmi les invités de marque, la France. Elle a joué un rôle déterminant dans ce conflit qui a opposé la Restauration (puis la monarchie de Juillet), la Russie et le Royaume-Uni, tous trois coalisés face à la Turquie qui occupe depuis cinq siècles cette partie de la Méditerranée. Entre la France et la Sublime Porte, l’occasion aussi de prendre sa revanche sur la perte de ses états francs, dernier rempart latin à l’expansionnisme ottoman. En 1205, Guillaume de Champlitte et Geoffroi de Villehardouin, deux croisés qui ont participé à la prise de Constantinople, s’emparent du Péloponnèse byzantin et fondent la principauté d’Achaïe qui sera reconnue par le Saint-Siège. Un pouvoir qui passe entre les mains de la famille de Villehardouin, seigneurs champenois, durant six décennies. C’est grâce au mariage avec la dernière héritière en titre avec son fils que la principauté (en déclin) est récupérée par Charles II d’Anjou, roi de Naples. Une nouvelle dynastie qui se taille une part du lion dans le Péloponnèse mais dont le large territoire va s’affaiblir avec une âpre lutte de succession. En 1396, un navarrais investit la principauté et chasse les angevins. Au XVème siècle, elle est finalement annexée par le Despotat de Morée, dernière survivance byzantine des Paléologues qui vont y régner jusqu’en 1460, avant que les turcs ne finissent par mettre fin à cette survivance de Constantinople.
« Venger Achaïe »
Avec la naissance du mouvement indépendantiste en 1821, la France de Charles X se passionne pour cette guerre. On y voit là le moyen de venger les croisés chassés d’Achaïe et on exalte dans la presse ces héros du passé, combattants du Christ, « ces monarques religieux dont le front se chargea de casque, dont le bras s’arma de la lance pour aller sur les lieux saints venger l’honneur de la croix » peut-on lire dans les colonnes de « L’Aristarque français ». Mais on ergote aussi sur ces chrétiens d’Orient dont la faute schismatique à causé la perte d’une des plus belles villes de la Chrétienté. « Ils n’ont pas voulu reconnaître l’autorité du successeur de Saint-Pierre, et ils sont tombés sous le joug des infidèles, de qui ils n’ont jamais dû attendre que l’oppression et l’esclavage » rapporte « Le Constitutionnel ». La pression populaire est telle que le gouvernement décide de s’impliquer afin d’aller aider et sauver « ces frères en chrétienté ». « La Foudre », journal royaliste, lance un appel à croisade contre le « farouche Mahométan ». En 1824, le massacre de Chios indigne les français. 15000 grecs passés au fil du cimeterre, 45000 autres vendus comme esclaves. Victor Hugo leur dédiera un poème (« L’enfant grec »), Eugène Delacroix un tableau qui sera immédiatement acheté par Charles X et remis au musée du Louvres. Chios sera le prétexte du traité de Londres dont le but est de faire cesser le conflit, qui reconnaît en même temps la Grèce et qui curieusement plante un coup de canif dans les principes de la Sainte-Alliance. Les éléments vont rapidement s’enchaîner au détriment de ceux qui ont tout fait pour déclencher la guerre.
Si la bataille de Navarrin reste un épisode maritime et charnière de cette guerre (1827), l’expédition de Morée commandée par le maréchal Maison va se muer une véritable croisade philhellénique dans laquelle s’engouffre le duc Louis-Philippe d’Orléans et qui se calque sur celle du général Bonaparte en Egypte. En débarquant dans l’ancienne principauté franque, les français sont accueillis dans la liesse…conformément aux instructions du nouveau gouvernement grec Ioánnis Kapodístrias. Il s’agit de pousser les turcs à respecter les termes du traité et à évacuer le Péloponnèse rapidement sans emmener de prisonniers ou d’esclaves. Avec eux une commission scientifique qui va témoigner des atrocités turques. « Au milieu de quelques baraques de bois construites sur le rivage, en dehors de Navarrin dont il ne restait que des ruines, circulaient, hâves et déguenillés, des hommes, des femmes, des enfants, qui n’avaient plus rien d’humain dans les traits : les uns sans nez, d’autres sans oreilles, tous plus ou moins couverts de cicatrices ; mais ce qui nous émut au dernier point, ce fut un petit enfant de quatre ou cinq ans que son frère conduisait par la main ; je m’approchai : il avait les yeux crevés. Les Turcs et les Égyptiens n’avaient épargné personne dans cette guerre » écrira le dessinateur Amaury-Duval. Il faudra néanmoins quelques coups de canons aux français pour forcer certains commandants turcs à livrer leurs forteresses comme celle de Navarrin, de Modon et de Coron. Le château de Morée est le point culminant de cette expédition et sa prise fin octobre 1828 sonne le glas de la résistance turque.
Bal des prétendants au trône de Grèce
Militairement c’est un succès pour Charles X qui ne l’exploite pas curieusement alors qu’il va bientôt s’engager un autre conflit en Afrique du Nord. La « Gallica pax » s’impose naturellement. La France structure les forteresses conquises qu’elle doit remettre aux grecs, crée des hôpitaux (elle éradique une épidémie de peste), des écoles et supervise le retour des habitants. Une imprimerie avec un journal, « Le Courrier d’Orient » est même lancé. On cartographie le pays, on redessine les plans de villes comme Nauplie ou Corinthe, on s’inspire de l’architecture des temples de l’antiquité, on s’extasie devant les ruines qui s’offrent à eux et dans cette lutte d’influence que se livrent les anciennes puissances alliées, c’est à la France qu’est chargée le soin de former la future armée de l’état grec. L’iconographie laissée par les scientifiques et botanistes français témoignent encore aujourd’hui des résultats obtenus par cette expédition qui est à mettre au crédit de la Restauration. D’ailleurs, c’est à la France que l’on doit la découverte archéologique de l’emplacement de la cité homérique de Pylos et du temple de Zeus olympien. Les monuments byzantins ne sont pas ignorés et les historiens se passionnent pour Achaïe trop souvent oubliée lors de voyages d’étude en Grèce.
Enfin à la Grèce, il faut un roi et chacun avance ses pions. La question agite les capitales européennes depuis le début de l’insurrection grecque. Le Président-Phanariote du Conseil des ministres, Theodoros Negris, avait proposé le prince Jérôme Bonaparte comme nouveau souverain mais l’idée s’était révélée peu séduisante. Non pas que le nom ne soit pas assez illustre mais les grecs redoutent que la perspective de voir à nouveau un Bonaparte sur le trône déplaise à la Sainte-Alliance comme le fait remarquer Aléxandros Mavrokordátos. Toutefois, en secret, le Président du Conseil exécutif sonde à son tour un autre napoléonide qui réside à Munich. La mort du prince Eugène de Beauharnais en 1824 met fin au projet. Parallèlement, il est contacté par le duc Louis-Philippe d’Orléans qui souhaite que la couronne soit donnée à son fils Louis de Nemours. Les négociations entamées, elles connaissent un ralentissement avec le refus net de Paris (le gouvernement de Villèle désavoue le représentant du duc d’Orléans en 1826) et avec la signature du protocole de Londres (1829) qui interdit à tous princes de maisons régnantes de postuler au trône en devenir de Grèce. Au palais royal, Charles X s’agace même des ambitions de son cousin et va soutenir en vain la candidature du prince Paul de Wurtemberg. Un jeu complexe d’ambitions que viendra perturber le prince Jules de Polignac qui propose de redessiner les Balkans et d’en attribuer des parties à la Russie, reprenant à son compte le vieux projet grec de la tsarine Catherine II.
Un descendant des empereurs byzantins, candidat à la couronne
Avec la disparition de l’empire byzantin (1453), précédant celui de la principauté d’Achaïe, la Russie d’Ivan III va se considérer comme l’héritière de Constantinople entrée dans sa dote depuis son mariage avec la princesse Sophie Paléologue. Quelque soit la profondeur de ses raisons, Catherine II souhaite recréer un empire néo-byzantin, qu’elle confierait à son petit-fils, le grand-duc Constantin. Ainsi qu’un royaume dace qui engloberait une partie des états danubiens de Roumanie. Le projet restera finalement lettre morte jusqu’à ce qu’il soit réveillé par la France. Dans un document secret, le protégé du roi de France imagine l’Europe selon une conception très personnelle, où il destitue des rois pour les replacer ailleurs y compris la création d’un vaste royaume arabe au profit du Khédive d’Egypte. Reste encore une candidature inattendue dans cette pléiade de princes en attente, celle d’un authentique prince byzantin et reconnu comme tel par lettres patentes de Louis XVI. En Corse, les Stéphanopoli de Comnène règnent sur une petite colonie grecque implantée ici après la chute de Constantinople. Ils vont légitimement postuler pour ce trône, estimant que les grecs ne peuvent qu’être dirigés par un descendant des empereurs byzantins (ici du dernier empereur de Trébizonde David II). Napoléon Ier avait été intéressé lui-même par cette perspective apportée sur son bureau par la duchesse d’Abrantès, liée généalogiquement à cette famille…sans le sou. Le prince Georges Stephanopoli de Comnène tente de se faire reconnaître mais faute de soutien réel de la France, finira par réclamer une petite principauté et enfin une compensation financière. Sans succès.
Progressivement, la France va accroître politiquement son influence et notamment avec la nomination comme roi d’Othon Ier de Bavière. Chef du parti français (ou national), Ioánnis Koléttis, occupa à diverses reprises le poste de Premier ministre et celui d’ambassadeur à Paris, fréquentant les membres du gouvernement du roi Louis-Philippe Ier. Même bien après le renversement du monarque en 1862, la France avancera ses pions avec un avantage pour les Napoléonides qui seront à un cheveu d’obtenir le trône de Grèce. L’Histoire en décidera pourtant autrement.
Frederic de Natal.