C’est une histoire qui commence en Afrique et qui se termine au Japon. Devenue une véritable icône nationale au Soleil Levant, Yasuke a désormais droit à sa série animée sur Netflix, chaîne de vidéos à la demande. L’occasion de se pencher sur le destin exceptionnel de l’unique samouraï noir de l’empire nippon.
Le 29 avril, les aficionados de Netflix ont pu découvrir une nouvelle série animée surprenante composée de six épisodes. Entre légende folklorique et personnage authentique, on suit pas à pas les aventures palpitantes de Yasuke dans un Japon féodal et futuriste, qui vient en aide à un enfant en fuite, poursuivi par de sanguinaires seigneurs de la guerre et des forces ténébreuses. Au-delà du mystère qui entoure le jeune homme, quelle est la part de réalité historique autour du le premier samouraï africain de l’histoire nipponne ? De Yasuke, on sait peu de choses. On place sa naissance au Mozambique, en Éthiopie, au Soudan du Sud et même au Nigéria. Le débat fait encore rage chez les ethnocentristes et les historiens qui continuent de se pencher sur la fortune de ce héros, désormais inscrit au patrimoine culturel japonais.
Débarqué au Japon, Yasuke suscite toutes les émotions
Yasuke (« Yasuf » de son vrai nom) débarque au Japon en juillet 1579. Depuis cinq ans, il est au service du père jésuite italien Alessandro Valiglano, vicaire général des jésuites de tout l’Orient. Chasseur, c’est en tentant de retrouver la trace d’un lion blessé qu’il a fait une mauvaise rencontre. Capturé par des chasseurs d’esclaves, il a été emmené à Goa, comptoir portugais situé en Inde, pour y être vendu. Enchaîné, le cœur rempli de rage et de haine, il est placé au sein d’une exploitation gérée par les jésuites. Il va y effectuer des travaux habituellement réservés aux femmes. Bien qu’il s’y acquitte avec discipline, au fond de lui, ce guerrier Kongo ressent cela comme une profonde humiliation. La venue de son futur protecteur change alors radicalement son sort.
Lorsqu’il débarque sur l’île de Kyusgi, la vue de ce géant à la peau ébène d’1 mètre 88 déclenche toutes les passions. Pour certains, il est un être maléfique, pour d’autres un homme fascinant dont l’exotisme pousse les japonais à venir l’observer avec une curiosité amusée. Un profit pour les jésuites qui font payer la prestation. Présenté au daimyo de Kyoto, Oda Nobunaga ne cache pas son émerveillement face à cette force de la nature. Il lui demande même de prendre un bain devant lui afin de vérifier que sa couleur de peau ne s’enlève pas au savon. L’engouement pour ce Kongo est tel que le daimyo n’hésite pas à le garder près de lui et à consigner dans ses mémoires cette rencontre qui le bouleverse. « Le 23 du second mois, un serviteur noir vint des pays chrétiens. Il semblait avoir 26 ou 27 ans, son corps tout entier était noir comme celui d’un bœuf. Il était solide et avait de la présence. De plus, sa force était supérieure à celle de dix hommes réunis. » peut-on lire dans le « Shinchō kōki » du daimyo.
Premier samouraï africain de l’histoire nippone
Yasuke redevient un homme libre et qui apprend vite. Très vite. Oda Nobunaga est un soldat méritant qui a su s’imposer à ses vassaux, un puissant seigneur ambitieux qui entreprend d’éduquer Yasuke à l’art militaire japonais. Avant de faire de lui son porteur d’arme avec le droit de porter un petit katana et d’avoir sa propre habitation. Peu à peu, Kuro san (« homme noir ») devient un véritable samouraï qui va s’illustrer à la bataille de Tenmokuzan (1582). Sa proximité avec Oda Nobunaga provoque de multiples jalousies et du dégoût chez certains des vassaux du daimyo qui ne supportent pas de le voir d’afficher au bras de japonaises. Le succès est de courte durée. La même année, le général Akechi Mitsuhide se soulève et bat Oda Nobunaga, contraint de se faire hara-kiri. N’ayant pas le courage de son maître, Yasuke tente de mener la résistance, en vain. Capturé et prisonnier d’Akechi Mitsuhide, ce dernier le traite « d’animal ». Bien que le terme soit méprisant, cela va éviter la mort à Yasuke dont on perd alors la trace. On pense, sans aucune certitude, qu’il a été ramené à la mission jésuite d’où il avait été extirpé.
Une vie romancée devenue également une source de conflit pour les partisans de l’afrocentrisme qui estime que la vie de Yasuke a été volontairement amputée afin de minimiser son rôle dans le Japon traditionnel et pour la rendre plus conforme à une vision occidentale et asiatique. Mais loin de toutes querelles, encore aujourd’hui, son histoire éblouit. De nombreuses adaptations littéraires et de multiples mangas ont été réalisés à partir de ces faits historiques afin de mieux stimuler notre imaginaire. Yasuke a d’ailleurs eu le privilège d’être le nom d’un album d’IAM, célèbre groupe de RAP. Un héros énigmatique qui reste une légende au Soleil Levant et dont la vie hors-norme aurait dû être portée sur grand écran avec pour acteur principal Chadwick Boseman. Malheureusement le héros de « Black Panther » est décédé en août 2020 et le projet a été abandonné. A la grande joie de Netflix qui a en fait un véritable succès moderne 2.0.
Frederic de Natal