Fixée au 24 décembre prochain, le gouvernement du Premier ministre Abdel Hamid Dbeibah a annoncé le report de l’élection présidentielle, menaçant une nouvelle fois la Libye de retomber dans le chaos institutionnel dans lequel elle évolue depuis la chute du colonel Mu’ammar Kadhafi en 2011. Face à l’anarchie croissante, de plus en plus de voix s’élèvent pour réclamer le retour au pouvoir de la Maison royale des Senoussis, « gage de sécurité et de stabilité » selon le Mouvement pour le retour de la Légitimité constitutionnelle.
Depuis deux décennies, la Libye fait face à un blocage, un risque grandissant de la polarisation de sa vie politique et une balkanisation du pays. Deux gouvernements, s’affirmant aussi légitimes l’un que l’autre, se font face avec en fond de toile, l’omniprésent maréchal Khalifa Haftar qui contrôle tout l’Est du pays. Prétendant au trône, le prince Muhammad al-Senussis, 59 ans, a refait surface après l’annonce du report de l’élection présidentielle. Dans un communiqué, il a proposé que la Libye adopte la constitution fédérale de 1951, qui avait fait consensus à l’époque parmi toutes les tribus du pays, et que la monarchie soit restaurée. Une idée pour laquelle se bat depuis la chute de Mu’ammar Kadhafi, Achraf Boudoura, Président du Mouvement pour le retour de la Légitimité constitutionnelle qui organise conférences et campagnes de terrain sur le sujet.
« Au regard du chaos, le retour au système de la monarchie constitutionnelle constitue la seule solution »
A la chute du colonel Mu’ammar Kadhafi, tombeur de la monarchie en septembre 1969, après un demi-siècle d’existence (émirat, royaume), c’est une option crédible qui avait été discutée au sein même du parlement européen. Bruxelles avait invité le prince Muhammad al-Senussis à s’exprimer dans l’hémicycle et ce dernier avait plaidé pour la mise en place d’un référendum sur la question, une fois le conflit terminé. Finalement écartée par la communauté internationale, l’idée monarchique avait été de nouveau l’objet d’intenses discussions lors du 25e sommet de la Ligue arabe (2014). « Au regard du chaos et du désordre résultant de la destruction des institutions par le défunt régime, le retour au système de la monarchie constitutionnelle constitue la seule solution » avait alors déclaré le ministre des Affaires étrangères de Libye, Mohammed Abdelaziz. En vain.
Selon Achraf Boudour, seul un monarque serait habilité, avec l’aide d’un conseil tribal, de choisir un « nouveau premier ministre honnête qui pourrait mettre en place de vraies élections législatives ». Interrogés par les médias, qui ont multiplié ces derniers mois les articles sur ce débat, les partisans du prince royal présentent la constitution libyenne de 1951, dominée par la charia, « comme un mode de gouvernement assurant de larges libertés politiques et sociales, une solution claire aux problèmes de gouvernance et d’autorité dont la Libye est victime ». « Le roi sera un parapluie pour tous les libyens et garant de l’unité et de la souveraineté de la Libye, une personnalité consensuelle sur laquelle les libyens pourront se référer parce qu’il n’a pas versé le sang de ses compatriotes, ni a été impliqué dans des affaires de corruption ou le conflit en cours. Il fait partie d’une famille digne qui s’est battu contre l’occupant fasciste et a permis l’accès à notre l’indépendance » affirme le leader monarchiste qui fustige l’ingérence constante de la communauté internationale dans les affaires internes de la Libye.
« La plupart des partis au pouvoir n’accepteront pas l’institution royale »
Le retour de la monarchie fait-il consensus ? Le maréchal Haftar a déjà fait savoir qu’il n’entendait pas soutenir le moins du monde cette solution , rejoint par divers politiciens qui reprochent au prétendant de se tenir éloigné des affaires du pays (il réside à Londres) et d’avoir peu brillé politiquement dans la résolution de la crise politique qui secoue cette partie de l’Afrique du Nord, aux frontières devenues poreuses. Des arguments que balayent les monarchistes. « Le prince héritier a les capacités et le savoir-faire sur la question libyenne, le qualifiant pour prendre en charge les affaires et possédant une vision claire à cet égard au niveau local et international » rétorquent ses soutiens.
Le Mouvement pour le retour de la Légitimité constitutionnelle affirme même que la population libyenne est acquise au retour sur son trône du descendant d’Idriss Ier, héros national, monarque qui a largement modernisé un état créé de toutes pièces après que les provinces de la Cyrénaïque (qui a songé à faire sécession un temps avec un Senoussis* à sa tête), de la Tripolitaine et du Fezzan aient été réunies en une seule entité géographique par les Alliés au lendemain de la Seconde guerre mondiale. « Il ne fait aucun doute qu’il y a une grande partie des Libyens qui veulent revenir à la monarchie constitutionnelle, gage de sécurité et de la stabilité » confirme le politologue Musa Tehousai mais qui reconnaît aussi que la situation actuelle de la crise libyenne, prise en otage par les nombreuses milices armées ou groupes djihadistes émergents, rend très difficile le retour à la monarchie constitutionnelle. « La plupart des partis au pouvoir n’accepteront pas l’institution royale car ils risqueraient de perdre leur influence et de disparaître du paysage politique en raison de la figure d’un roi » ajoute Musa Tehousai en guise de conclusion.
Frederic de Natal
* On peut écrire le nom de la maison royale de différentes manières, SEnoussis, Senussis, Senusi, Senussi.