Avec Poppée- Charme et pouvoir à la cour de Néron, Lucas Joel Houllé, 25 ans, redonne vie à une impératrice longtemps négligée par l’historiographie. À travers une recherche rigoureuse, il éclaire le destin de la seconde épouse de Néron et interroge la place des femmes dans la Rome julio-claudienne. Une biographie inédite. Ce jeune auteur a répondu à nos questions.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire un livre sur Poppée, un personnage méconnu de la Rome impériale ?
Une succession de hasards ! Lors de mes études d’Histoire à Metz, en seconde année, j’ai découvert en réalisant un exposé sur les impératrices julio-claudiennes, Messaline, Agrippine et Poppée, qu’aucun ouvrage n’existait sur cette dernière, deuxième épouse de Néron. Contrairement aux deux premières plus connue des passionnés d’Antiquité. Mon professeur, Christian-Georges Schwentzel, m’a confirmé cette absence de recherches. C’était devenu une évidence pour moi. J’ai choisi Poppée comme sujet de mini-mémoire, puis poursuivi ce travail en master.
Petite anecdote : petit, j’adorais regarder des sculptures antiques sur Internet, puis je les imprimais, afin de les ranger dans une pochette plastifiée. Parmi toutes, se trouvait la magnifique statue de Poppée, conservée au Musée Archéologique d’Olympie. Qui aurait cru à l’époque, qu’arrivé à l’âge adulte, je publierai la première biographie consacrée à ce personnage méconnu?
Pourquoi avoir choisi la forme biographique plutôt qu’un essai ou un roman historique ?
Etant donné que c’est une figure historique en particulier et du caractère inédit de cette étude, j’ai trouvé que la forme biographique était la plus adaptée. De plus, étant donné le destin exceptionnel qu’a connu Poppée, il était inutile de romancer sa vie, puisqu’il y avait assez de matière à raconter. Une démarche que les productions historiques, sorties ces dernières années, ont malheureusement oublié, mais cela est un autre débat…
Quels ont été vos principaux modèles ou inspirations dans ce travail ?
Pour être honnête, aucun. J’ai écrit mon livre en faisant mon rôle d’historien, relater les faits de manière être le plus historiquement exact et impartial possible.
Comment avez-vous travaillé vos sources, sachant que Poppée est souvent décrite à travers le prisme des auteurs antiques (Tacite, Suétone) qui lui sont hostiles ?
Ma problématique étant la construction de la légende noire de Poppée, de l’Antiquité à nos jours, j’ai procédé par étapes. Dans un premier temps, j’ai croisé les différents textes antiques, afin de démêler le vrai du faux et de reconstituer le plus exactement possible la vie de cette impératrice. J’ai pu constater que Flavius Josèphe est le seul à lui avoir trouvé des qualités et à nous apprendre qu’elle était très pieuse, qu’elle s’intéressait au judaïsme et aux affaires concernant les Juifs de l’Empire romain, contrairement à ses homologues qui n’ont retenu que ses intrigues et ses secrets de beauté. Ensuite, j’ai étudié son iconographie (sculptures, monnaies, camées, etc.) qui nous montrent une toute autre facette de l’impératrice. Enfin, je me suis intéressé à son image véhiculée par la postérité, et c’est ainsi que j’ai pu brosser un portrait nuancé de la deuxième épouse de Néron.
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Avez-vous cherché à déconstruire certains clichés, ou au contraire à confirmer l’image traditionnelle ?
Pour vous répondre, je vais citer Eugen Cizek, le grand spécialiste de Néron. Ma démarche fut de « rétablir la vérité et de déblayer un terrain encombré par nombre de légendes et traditions douteuses […] en explorant aussi bien les méandres du psychisme [de Néron] que le contexte historique qui l’a conditionné ». Autrement dit, j’ai tenté de démystifier l’histoire de Poppée sans tomber dans une forme d’angélisme qui aurait fait d’elle l’archétype de la grande dame romaine vertueuse sacrifiée sur l’autel de la patrie. Pour autant, faut-il réhabiliter Poppée ? Malheureusement, nous ne pouvons répondre à cette question, tant sa personnalité était complexe.
Quels obstacles avez-vous rencontrés dans la recherche historique ?
Aucun, car les sources concernant Poppée sont très nombreuses. Le plus dur a été le contexte dans lequel j’ai rédigé cette biographie. Mon père était tombé gravement malade et est malheureusement décédé, d’autant plus que nous étions en pleine pandémie de COVID-19. Ce livre est aussi pour lui, un défi personnel
Selon vous, qui était vraiment Poppée : une intrigante manipulatrice ou une femme de pouvoir en avance sur son temps ?
Intrigante, oui, mais manipulatrice, à relativiser. Si elle n’a pas hésité à se salir les mains pour devenir impératrice, elle avait beaucoup moins d’impact sur la politique de son impérial époux que ce que les auteurs latins veulent nous faire croire. En effet, Néron se méfiait énormément de l’influence féminine sur les affaires de l’Empire, car il avait encore en mémoire, les déboires qu’eut Claude avec Messaline et Agrippine. Avec de telles femmes dans son entourage, nous pouvons aisément comprendre sa défiance. De plus, notons que contrairement à ses prédécesseuses, Poppée n’initia aucune cabale à la cour impériale, une fois mariée, et n’intervint que dans les affaires concernant la Judée ou Pompéi, ville dont sa famille était originaire. Son influence s’exerça plutôt dans les arts. Cependant, elle adorait être en représentation et le prestige que lui conférait sa position. Elle jouait un rôle qui s’apparenterait plutôt à celui d’une Première Dame, à l’instar d’une Carla Bruni ou d’une Melania Trump, ou d’une épouse princière, comme Kate Middleton.
Que dit son destin sur la condition féminine dans la Rome impériale ?
Si l’on compare la condition féminine d’aujourd’hui à celle de la Rome antique, il est bien sûr évident que les femmes ne bénéficiaient pas des mêmes droits que les hommes. Cependant, il serait simpliste et réducteur de dire qu’elles étaient opprimées. En effet, dans le monde romain, être une femme émancipée juridiquement n’était pas si important. Savoir jouer judicieusement avec les codes, les règles sociales, posséder la capacité d’exercer son influence sur les autres et à s’affranchir du poids du joug d’un père, d’un mari ou d’un tuteur, permettait largement aux Romaines de vivre librement et de bénéficier d’une certaine aura et parfois d’une véritable puissance au sein de la société romaine phallocrate et patriarcale. Poppée avait parfaitement compris cela et c’est pour cette raison qu’elle a réussi à se hisser aux plus hautes sphères de l’Empire. De plus, je rajouterais qu’elle a été bien plus fine que Messaline et Agrippine, puisque celles-ci ont eu l’imprudence de trop se mêler de politique, ce qui a causé, en grande partie, leur chute. Ce qui expliquerait pourquoi la femme de Néron se soit aussi peu mêlée des affaires de l’Empire. Enfin, ces trois impératrices julio-claudiennes, avec Livie, ont montré que si elles font preuve de finesse, les femmes pouvaient détenir l’imperium.
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Peut-on comparer Poppée à d’autres figures de l’Histoire, comme Cléopâtre ou Catherine de Médicis ?
Bien sûr, d’autant plus que plusieurs éléments de la vie de Poppée m’ont conduit à penser qu’elle voulait imiter Cléopâtre. En effet, les coïncidences sont beaucoup trop nombreuses pour être honnêtes au point que j’y consacre une bonne partie dans mon livre, afin de prouver ma théorie, ce qui pourrait aussi expliquer l’animosité de ses contemporains envers elle, la propagande octavienne étant très ancrée chez les Romains. D’ailleurs, en 2021, j’avais justement rédigé un article en trois parties pour votre revue, déjà consacré à l’épouse de Néron, intitulé « Poppée, la Cléopâtre de Rome ». Quant à Catherine de Médicis, nous pourrions également faire un parallèle, puisque celle-ci a été accusée d’être à l’origine du massacre des protestants, lors de la Saint-Barthélémy, tandis que notre impératrice aurait été l’instigatrice de la persécution des chrétiens. Toutefois, d’après mes recherches, il semblerait que ce soit plutôt Diane de Poitiers, qui n’était autre que la maîtresse d’Henri II, l’époux de Catherine, qui aurait pris Poppée pour modèle. Une théorie que je développe d’ailleurs, à découvrir dans mon ouvrage.
Comment avez-vous abordé l’écriture pour rendre vivante une figure antique auprès d’un public contemporain ?
Selon moi, l’historien doit être un bon metteur en scène. En effet, il doit s’imaginer qu’il est en train de réaliser un film, car c’est de cette manière que son lectorat sera pris dans l’Histoire, et donc, qu’il retiendra la leçon. Je suis persuadé que l’on apprend et mémorise beaucoup mieux lorsque l’on amène les informations de manière ludique. C’est en m’imaginant cinéaste que j’ai abordé l’écriture de cette biographie, d’où le fait que j’ai d’abord tout reconstitué, afin de proposer un scénario bien structuré et cohérent. Elle aurait toute sa place dans une émission, telle que Secrets d’Histoire ou Sous les Jupons de l’Histoire.
Qu’espérez-vous que vos lecteurs retiennent de ce portrait ?
J’espère surtout que Poppée soit enfin connue du grand public, car son destin romanesque mérite amplement d’être découvert. Elle n’a rien à envier aux autres grandes souveraines de l’Histoire, telles que Cléopâtre, Aliénor d’Aquitaine, Marie Stuart, Anne d’Autriche, Marie-Antoinette, Joséphine de Beauharnais, Sissi, etc. C’est principalement dans le but de réparer ce fâcheux oubli que j’ai entrepris la rédaction de cette biographie. Sinon, concernant ceux qui la connaissaient déjà, je souhaiterais qu’ils découvrent les autres facettes de cette impératrice, trop longtemps réduite à l’image d’une beauté machiavélique qui passait son temps à inciter Néron à commettre des crimes, entre deux bains de lait d’ânesses.
En quoi son histoire résonne-t-elle avec nos débats modernes (féminisme, pouvoir, image publique) ?
Même si je n’aime pas que l’on fasse dire à une époque ce qu’elle ne dit pas, on ne peut nier que certains aspects de la vie de Poppée peuvent avoir des résonnances avec nos débats modernes. Premièrement, son obsession d’être physiquement parfaite pourrait faire écho à toutes les stars, les influenceuses, les candidates de télé-réalité, dont la moindre prise de poids, le recours à la chirurgie esthétique ou à des filtres sur les réseaux sociaux, sont scrutés, puis critiqués. Deuxièmement, même si c’est un sujet débattu par les historiens, il est tout à fait logique que le récit selon lequel elle aurait été tuée frappée par Néron soit repris dans la lutte contre les féminicides. Le fait également que Poppée fut la seule à s’intéresser à la religion juive et aux affaires qui se rapportaient à la Judée, dans une Rome plutôt antisémite, n’est pas sans rappeler la situation actuelle au Proche-Orient.

En tant que jeune auteur, quel impact ce travail a-t-il eu sur votre propre regard sur l’Histoire ?
En rédigeant cette biographie, j’ai appris des choses qui sont d’ailleurs valables dans la vraie vie. Peu importe vos actes, les gens raconteront ce qu’ils veulent sur vous. Ensuite, qu’il faut toujours vérifier les sources, avant de se faire son propre avis. Enfin, et c’est ce que j’ai préféré dans mon travail, c’est l’étude des moyens mis en place pour faire passer divers messages et la manière dont les différentes époques se réapproprient la figure d’un personnage historique. Ce dernier point prouve que les anciens Égyptiens avaient raison sur un point : nous ne mourrons réellement que lorsque les vivants ne parlent plus de nous.
Comment avez-vous vécu l’expérience de publier si tôt une biographie historique ?
C’était fantastique, et je regrette même que je n’ai pas pu la publier plus tôt. Je pense que le destin a décidé que les choses se passent ainsi. Hasard du calendrier, Le Lys Bleu m’a annoncé vouloir éditer mon livre, trois jours après que je sois allé voir le magnifique portrait de Poppée, peint par l’École de Fontainebleau, au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Autre cooïncidence, sa sortie, le jour où je suis allé visiter la Conciergerie et l’exposition « Le Mystère Cléopâtre » à l’Institut du Monde Arabe, à Paris,
Quelles ont été les réactions des premiers lecteurs ?
Elles ont été très positives, beaucoup ayant apprécié la fluidité de mes écrits. D’autres lecteurs ont également été impressionnés par le nombre de sources trouvées sur Poppée, en particulier mon directeur de mémoire, qui pensait qu’il n’y avait quasiment rien sur elle, justifiant alors l’absence de travaux universitaires à son égard. Enfin, la plupart sont ravis d’avoir découvert un nouveau personnage historique, tandis qu’un ami m’a dit que j’avais eu raison de vouloir publier mes recherches, car il considérait que j’avais de l’or dans les mains.
Quels conseils donneriez-vous à un autre jeune qui voudrait, comme vous, se lancer dans l’écriture historique ?
Tout d’abord, de ne pas attendre de trouver un poste en université pour l’envoyer aux maisons d’édition. C’est ce que m’avait conseillé judicieusement mon directeur de mémoire. Ensuite, qu’il transmette son manuscrit au plus grand nombre d’éditeurs possible, il y en aura forcément un qui va répondre positivement. Pour ma part, j’en ai eu quatre qui ont accepté de publier mon livre. Je conseille également de bien vérifier s’il a affaire à une maison à compte d’éditeur ou à compte d’auteur, ainsi qu’à sa réputation. Exactement comme l’on regarderait les avis sur TripAdvisor pour un restaurant ou un hôtel. Enfin, et certainement le point le plus important, méfiez-vous de ceux qui veulent modifier votre texte, vous risquez de le voir totalement dénaturé. Pour ma part, j’ai eu beaucoup de chance d’avoir un éditeur qui a su garder toute l’essence de mon texte.
Avez-vous déjà en tête un prochain sujet ou une autre figure historique qui vous inspire ?
Bien sûr, j’ai plusieurs sujets qui me viennent en tête. Cependant, il faut encore que je regarde ce que je trouve comme sources, si le thème a déjà été traité et que j’élabore une problématique. En fonction de cela, je ferai mon choix. Toutefois, comme je suis assez superstitieux, je ne dévoile encore rien pour l’instant (rires).
Frédéric de Natal
Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.