Née dans le Kent, petite-fille de la reine Victoria, Marie de Saxe-Cobourg-Gotha va entrer dans l’histoire par la petite porte des Balkans. Femme de caractère, « Missy » de son surnom, elle possède une beauté naturelle qui va faire plier tous les hommes, des plus simples aux plus grands de son siècle, des meilleurs aux pires de l’Histoire européenne. Bien que sa vie ait été autant un conte de fée qu’un drame digne des meilleures scènes de Shakespeare, l’épouse de Ferdinand Ier de Roumanie reste encore de nos jours une véritable icône dans son pays d’adoption. La Revue Dynastie vous propose de redécouvrir le portrait d’une souveraine aux multiples facettes.
Lorsqu’elle naît le 29 octobre 1875, Marie de Saxe-Cobourg-Gotha est déjà l’objet de toutes les attentions au sein d’une famille qui règne sur un gigantesque empire. Fille du prince Alfred d’Édimbourg (lui-même fils de la reine Victoria) et de Marie Alexandrovna de Russie, dans ses veines coulent des décennies d’Histoire dans lesquelles elle va forger son propre caractère et qui va faire d’elle, une « personnalité complexe, une femme fascinante et courageuse (…) ». Son père est un marin reconnu qu’elle adule mais c’est sa mère qui va assurer principalement l’éducation de la princesse Marie. La mort brutale de son grand-père en 1881, le Tsar Alexandre II, est l’occasion de visiter un pays qui est aussi le sien. La petite fille se mue en une petite « Alice au pays des merveilles », fascinée par la beauté des paysages, le luxe des palais impériaux. La petite anglaise est une Romanov et son impulsivité le rappelle à tous ceux qui la côtoient. Ce voyage va la marquer et lors des événements de 1917, elle ressentira une profonde douleur pour la tragédie vécue par ses cousins.
De ses parents, elle en gardera le souvenir d’un couple heureux mais séparés, vivant des moments de joie teintés d’amertume pour sa mère qui se réfugie dans le mysticisme, la foi orthodoxe qu’on lui a autorisé à conserver. Blonde aux yeux bleus, elle-même croit qu’elle est appelée à un certain destin et celui-ci va bientôt la mener vers les Carpathes. Elle est très rapidement courtisée et à commencer par son propre cousin, le futur George V, qui est en pamoison devant-elle. On parle mariage, leurs pères respectifs donnent leur accord mais sa mère qui déteste Alexandra de Danemark, et réciproquement, oppose son véto à cette noce qu’elle juge inconvenante au regard de sa religion. De cette romance adolescente, Marie écrit au prince George qu’ils doivent rester « des amis bien-aimés ». Entre alors en scène, Guillaume II d’Allemagne. Le Kaiser a jeté son dévolu sur la princesse. Non pour lui mais pour le prince Ferdinand de Hohenzollern-Sigmaringen qui est appelé à monter sur le trône de Roumanie. Le pays a été créé par Napoléon III et c’est un prince allemand qui a été placé sur le trône de Moldavie et de Valachie réunis en un seul état. Le roi Carol Ier n’a pas d’enfants et a désigné son neveu qui n’est pas marié, comme héritier. La question de la succession est sur toutes les lèvres. Il se rencontrent la première fois en 1891. On la place aux côtés de Ferdinand, son aîné de 10 ans de plus qu’elle. La soirée est un fiasco, Marie s’ennuie, Ferdinand est d’une grande timidité. Sa mère est furieuse, sa cousine Charlotte de Saxe-Meiningen qui a joué les entremetteuses, atterrée. Convoqué à Postdam, Guillaume II met «les points sur les i » à Ferdinand qui ne dit rien.
Derrière ce « complot matrimonial », une affaire politique. Il s’agit aussi d’apaiser les tensions entre la Roumanie et la Russie concernant le sujet de la Bessarabie. On récidive en mars 1892 au cours d’une rencontre familiale aux airs d’imprévus mais qui a été organisée de main de maître par sa mère. Cette fois-ci, Ferdinand craque et lui avoue son amour. Marie cède, confesse dans son journal intime que la timidité du prince lui donne « des traits attirants ». Le mariage sera célébré le 10 janvier 1893 à Sigmaringen. Quelques voyages en Europe et là voilà qui pose le pied dans son nouveau royaume, accueillie chaleureusement par les roumains qui sont éblouis par sa grâce et sa beauté. Mais derrière ce conte de fée, se cache une autre réalité. Marie n’est gère épris de Ferdinand et confiera plus tard qu’elle lui « inspire du dégout qui grandit en répulsion ». Y compris jusque dans le lit face à un époux très demandeur charnellement. Le mariage, qui donnera 6 enfants [Carol (1893-1953), Elizabeth (1894-1956) , Marie (1900-1961), Nicolas (1903-1978), Ileana (1909-1991) et Mircea (1913-1916) ] n’est guère heureux. Ils s’éloigneront l’un de l’autre mais leur union demeure empreinte de respect et de cordialité, chacun restant dans son rang sans faire de l’ombre à l’autre.
Sa fougue tranche avec le comportement de l’aristocratie roumaine. « Je n’ai pas été amenée en Roumanie pour être adorée et gâtée ; je suis venue pour faire partie de la mécanique créée par le roi Carol. J’ai été importée pour être adaptée, éduquée et dressée en fonction des conceptions du grand homme » écrit celle qui va être couronnée en grande pompe en 1922. Avec les années qui se succèdent, elle a appris à aimer ce pays à la politique tumultueuse. Elle le personnifie entièrement et fait de sa vie un véritable spectacle. Dès lors l’avenir de la Roumanie se confond avec le sien. A tous les niveaux. A commencer par sa vie familiale. Princesse héritière, elle s’agace de ce rythme quasi militaire que lui impose son beau-père, Carol Ier, qui va jusqu’à gérer ses relations personnelles. Elle reproche à son mari, son manque d’indépendance face au vieux prussien. La lassitude la porte vers les aventures, dans les bras du lieutenant Gheorghe Cantacuzène, descendant illégitime de la maison impériale byzantine du même nom. Une liaison passionnée, dévorante à l’image de son tempérament qui prend fin brutalement dès qu’elle sera connue du grand public. La rumeur lui attribuant même la paternité des deux derniers enfants de Marie et de Ferdinand. On va lui prêter de nombreuses relations mais celle que l’histoire va retenir reste sa romance avec le ténébreux prince Barbu Stirbei descendant de la maison princière de Valachie, son confident, son plus grand amour.
Elle apprend le roumain avec une rapidité qui surprend (elle qui a toujours détesté parler en français, langue diplomatique par excellence) et les coutumes du pays sur lequel elle doit régner un jour, se bat pour améliorer la condition de vie des paysans. Une première car ni Carol, ni Ferdinand ne parle vraiment la langue de leurs sujets. Les canons vont rompre la paix de l’Europe en 1914. Année ou meurt également Carol Ier. La voilà reine d’un pays en pleine tourmente. Elle troque ses robes pour des habits plus militaires. C’est elle qui va pousser son mari à faire entrer son pays dans cette guerre mondiale. Ce sera le camp de l’Entente contre les empires centraux. Le comte de Saint-Aulaire écrit d’ailleurs que la reine Marie « est entrée en guerre comme une autre serait entrée en religion ». Un sacerdoce sur fond de nationalisme. Marie de Saxe-Cobourg-Gotha s’est muée en souveraine de Roumanie, la poigne de fer derrière le trône de son mari qui brille par ses indécisions. Elle est « vraiment le seul homme de Roumanie », fait corps avec l’idée de Grande Roumanie qui est créée au lendemain de l’armistice ( elle écrit en 1918 : « Le rêve de la Grande Roumanie semble devenir une réalité … tout est tellement incroyable que j’ose à peine le croire »), s’implique dans les affaires politiques, militaires et devient volontaire pour la Croix Rouge. C’est grâce à elle que cette dynastie étrangère devient véritablement roumaine aux yeux des moldaves et des valaques. La foule est en liesse lorsque le couple royal regagne Bucarest, la capitale, à cheval. Pour Marie de Roumanie, du haut de son équidé, elle peut gérer son monde. C’est d’ailleurs encore elle qui fait office de diplomate alors que la France et la Roumanie sont à couteaux tirés à Versailles, n’hésitant pas à malmener ses propres ministres et le président du Conseil Georges Clémenceau.
Il est pourtant un homme qui résiste et déçoit « Missy ». Son fils Carol multiplie les scandales, les frasques nocturnes, les aventures avec les femmes. Notamment celle avec Zizi Lambrino qui accouche d’un garçon. Les disputes entre Marie et Carol font trembler les boiseries néo-gothiques du palais royal. Rentré dans le rang, Carol récidive avec Madga Lupescu, sulfureuse rousse d’origine juive. C’est la crise ouverte et le prince héritier tient tête à ses parents, renonce à la succession au trône en 1925. Marie de Roumanie est frappée par cette épreuve qu’elle affronte avec dignité. Elle reporte ses espoirs sur son petit-fils Michel, entoure sa bru trompée, la très jolie princesse Hélène de Grèce, de son affection. Ferdinand s’enferme dans la tristesse, meurt deux ans après cette crise, à 61 ans. Son « Nando » a renoncé à se battre contre la maladie. Sur son lit de mort, il se souvient de son couronnement, mis en scène dans un style théâtral, rappelant celui des basileus de Constantinople. Un jour de consécration pour Marie de Roumanie qui voit s’éteindre sous ce yeux ce mari à qui elle doit son triomphe.
Ferdinand Ier mort, Michel Ier monte sur le trône. C’est un enfant de 6 ans que l’Europe a découvert bébé sautant sur les genoux de sa mère dans les actualités Pathé. Carol réclame subitement de recouvrer ses droits, soutenu par le parti carliste qui apprécie peu la mainmise du pouvoir par un conseil de régence tripartite (dans lequel figure le prince Nicolas). Marie reste dans l’ombre, craint que la jeunesse de son petit-fils ne provoque la remise en cause des frontières si chèrement acquises. En juin 1930, Carol rentre en Roumanie et opère un coup d’état spectaculaire. Il est roi sous le nom de Carol II. Pour Marie, c’est une catastrophe d’autant que quelques mois plus tard, c’est au tour du prince Nicolas de provoquer un scandale en s’enfuyant avec Ioana Doletti, une femme divorcée. Elle est meurtrie par ces échecs matrimoniaux répétitifs qui ne font pas oublier ceux plus prestigieux qu’elle a réussi à contracter pour ses filles. Marie s’éloigne de la cour au fur et à mesure que les tensions politiques s’accroissent dans le pays. La montée en puissance de la Garde de fer, mouvement d’extrême-droite fascisant, dessine déjà l’avenir d’un régime qui devient très dictatorial et qui reste jaloux de la popularité de la reine Marie. Elle décide de se retirer au château de Bran, la demeure d’un certain Vlad Tepès, devenu sous la plume de Bram Stoker, le comte Dracula.
A cours de l’été 1937, elle tombe malade. De régimes en régimes, de sanatoriums en sanatoriums, de la Suisse à Dresde, son état de santé ne cesse de s’aggraver. Elle veut mourir en Roumanie. Son fils lui refuse le moindre avion, lui fait payer cette relation qu’elle a eu avec Barbu Stirbei. C’est le chancelier Hitler qui tente de venir à son secours. Il est très prévenant envers la « Reine-soleil », envoie l’épouse du ministre Goebbels à son chevet et ordonne que sa chambre soit fleurie chaque jour, n’hésitant pas à lui proposer une assistance médicalisée aéroportée. Mais Marie n’a que faire de ces attentions. Elle a souffert de la révolution Bolchévique, elle a pleuré au moment de l’Anschluss en mars 1938. Elle rentre en train en Roumanie et se réfugie au château de Pelișor. C’est là qu’elle va vivre ses derniers instants en juillet suivant. Ses funérailles seront grandioses, symbole d’une nation orpheline de sa souveraine, qui va se lèver et qui lui va rendre un hommage unanime.
« Il y’avait une communion entre elle et le peuple, elle avait le contact facile » n’hésite pas dire la princesse Margareta de Roumanie, invitée spéciale de l’émission Secrets d’Histoire, consacrée à la reine Marie de Roumanie. « Mama Regina ». comme l’appelle encore les roumains aujourd’hui « Elle avait un amour pour la Roumanie » ajoute la curatrice du trône. La France n’a jamais oubliée cette reine qui a marqué l’histoire des Balkans et à qui on doit d’avoir imposé son pays d’adoption, carrefour entre Orient et Occident, sur une carte géopolitique. A Paris, non loin de la Tour Eiffel, la capitale s’enorgueillie d’une promenade à son nom depuis 2019.
Frederic de Natal