Repêchée du canal berlinois de la Landwehr par un policier zélé le 17 février 1920, la jeune fille est d’abord conduite au poste de police puis à l’hôpital. Murée dans un profond silence, elle a le regard vide, c’est à peine si elle confesse qu’elle a un fiancé qu’elle ne veut, de toute façon, pas voir. Elle va rester ainsi durant un an à l’asile d’aliénés de Dalford jusqu’au jour, où sa voisine, employée de blanchisserie, feuilletant un magazine, n’en revient pas. Clara-Marie Peuthert a en face d’elle la grande-duchesse Tatiana Romanov. Se tournant alors vers l’inconnue, elle lui dit : « Je sais qui tu es ! ». Aussitôt, la jeune fille lui met un doigt sur la bouche et lui dit, très calmement, « Ne dit rien ! ». Une fois sortie de l’asile, Clara-Marie Peuthert affirme qu’elle a retrouvé la fille survivante du tsar Nicolas II, rescapée du terrible massacre qui a été perpétré en juillet 1918 dans une des caves de la maison Ipatiev d’Ekaterinbourg. L’affaire ne va pas tarder à faire le tour des russes blancs qui refusent de croire que la famille impériale a été assassinée. Le début d’une énigme, officiellement résolue, mais qui continue de fasciner les passionnés d’histoire.
Pour les médecins, bien qu’elle s’exprime en allemand, son accent tend à laisser penser qu’elle est russe. Fraülein Unbekannt (« Mademoiselle Inconnue ») est couvertes de cicatrices avec une plaie au pied qui ressemble à un coup de baïonnette. Clara-Marie Peuthert part à la rencontre du baron Nicolas von Schwabe et lui rapporte qu’elle sait où se trouve Tatiana Romanov. Ils se rendent ensemble à l’asile et le baron russe va rapidement confirmer que c’est bien la seconde fille du tsar et invitent les autres russes blancs à venir vérifier son identité. La baronne Buxhoevden, qui a été dame d’honneur de la tsarine entre 1913 et 1918, se précipite à Dalford et jette un froid. Elle dément avoir en face d’elle la grande -duchesse Tatiana qui était plus petite que l’inconnue de Berlin. L’affaire aurait pu s’arrêter ici mais connaît un nouveau rebondissement quelques jours plus tard avec une simple déclaration de l’inconnue. « Je n’ai jamais dit que j’étais Tatiana ».
Anastasia Romanov, Tatiana Romanov ou Anna Tchaïkovsky ?
Depuis 1922, elle est désormais hébergée par le baron Arthur von Kleist qui ne tarde pas à se remplir de russes blancs venus saluer la grande-duchesse. En confiance, elle finit par déclarer qu’elle est bien la fille du tsar Nicolas II mais en lieu et place de Tatiana, elle est Anastasia. « Je me suis cachée derrière le dos de ma sœur Tatiana qui a été tuée immédiatement. Ensuite je reçus quelques coups et je perdis connaissance. Lorsque j’ai repris mes sens, je me trouvais dans la famille d’un soldat qui m’avait sauvée » explique-t-elle, en précisant qu’elle a fini par épouser Alexandre Tchaïkovsky, polonais de son état, née en 1896 (la fille du tsar étant née en 1901). Une rapide enquête va confirmer son état civil et son prénom, Anna, son veuvage, sa fuite vers Berlin, sa folie, sa volonté de suicide. Elle a encore l’esprit fragile quand elle décide de quitter la maison de ses protégés, erre chez un ingénieur, un docteur, puis chez Franz Grünberg, le policier qui l’a sauvé du canal. C’est désormais à qui reconnaît Anna Tchaïkovsky comme étant la grande-duchesse. Aucun des témoignages ne permet de déterminer la vérité. Le valet de chambre de Nicolas II, Alexis Volkov, affirme que c’est une usurpatrice qui ne fait que répéter ce qu’elle a lu dans la presse et qui ne parle qu’allemand (langue que refusait d’apprendre la fille du tsar). Même le précepteur du tsarévitch, Pierre Gilliard, venu deux fois, a du mal à reconnaître une femme avec lequel il a vécu 12 ans (il fera paraître un livre intitule : « La fausse Anastasia »). Dans le doute, le prince Valdemar du Danemark va payer ses frais médicaux, son cas divise profondément les proches et les membre de la famille impériale. Olga Romanov, sœur du tsar comme le prince Félix Yossoupov repartent dépités et furieux.
Pourtant, d’autres sont persuadés de son identité comme Tatiana Botkine-Melnik, la fille du médecin des Romanov, le capitaine des Dragons Félix Dassel qui va passer son temps à tenter de la piéger, la duchesse de Leuchtenberg qui va l’héberger ou encore le grand-duc André qui n’hésite pas à écrire une lettre en ce sens. Le frère de Tatiana Botkine va même jusqu’à tenter de récupérer l’héritage des Romanov, donnant lieu à la fameuse légende du trésor Romanov. La principale intéressée voyage aux frais de tous ses soutiens et de tous les événements mondains. Face à cette situation en 1928, les Romanov font publier une lettre (déclaration de Copenhague) affirmant qu’elle n’est pas Anastasia. Cette notoriété la déstabilise moralement. Elle se fait désormais appeler Anna Anderson afin d’échapper aux photographes avant de sombre dans la folie poussant les uns et les autres à la faire interner. Parallèlement, un détective prive du nom de Martin Knopf va révéler le pot aux roses. La grande-duchesse présumée n’est autre qu’une ouvrière polonaise du nom de Franziska Schanzkowski, fort de témoignage de sa famille qui la décrit physiquement dans les moindres détails. Son retour en Allemagne est largement médiatisé. Elle reçoit même l’attention d’une partie de l’aristocratie allemande dont le prince Frédéric-Ernest de Saxe-Altenbourg qui la prend en charge après qu’elle a échappé à une tentative de procès par les nazis qui ne la croyaient pas. Installée dans une maison, elle va vivre recluse avec ses 60 chats, prise d’un délire de persécution.
Le mystère est résolu grâce à l’ADN
Les années ont passé. Elle continue de recevoir les journalistes et après avoir été un temps hospitalisé, finit par rompre avec son protecteur qui a fait euthanasier tous ses animaux en son absence. Direction Charlottesville où elle épouse pour des raisons pratiques le professeur John Eacott Manahan, son cadet de 20 ans, ce qui lui permet de rester aux Etats-Unis. La suite de sa vie est une litanie de procès pour récupérer une fortune inexistante, un train de vie dispendieux qui contraste avec une vie domestique frisant l’insalubrité, des internements en hôpitaux psychiatrique (son mari l’enlève durant trois jours avant qu’ils soient rattrapés par la police) et finalement de rendre l’âme en février 1984, emportant dans la tombe un secret qui va continuer à alimenter les passions autour de ce mystère. Avec la découverte des restes de la famille impériale en 1991, grâce un morceau de son côlon préservé, on procède à des analyses ADN avec des descendants des Romanov (comme prince Philip, duc d’Édimbourg,) et des Schanzkowski. Les résultats sont sans appels. Anna Anderson n’est pas la grande-duchesse Anastasia mais bel et bien Franziska Schanzkowski. Aujourd’hui encore, certains historiens remettent en question ces analyses. Ainsi Marc Ferro dans son ouvrage « La vérité sur la tragédie des Romanov » publié en 2012, va affirmer que « la tsarine et les grandes-duchesses ont été secrètement sauvées « pour que Guillaume II ne reprenne pas la guerre » contre les Soviets . Involontairement, il fait foi des affirmations d’un certain Alexis Brimeyer ( qui se fait appeler de son vivant … duc de Durazzo Durassov Romanov Dolgorouki de Bourbon-Condé) qui ira affirmer qu’il est lui-même le fils de la grande duchesse Tatiana, également sauvée. Pure affabulation mais qui a le mérite de démontrer quelque chose. Jamais autant de livres et de films n’auront été produits sur ce mystère qui a fasciné des générations de passionnés de la famille impériale
Frederic de Natal