L’île de la Barbade a proclamé la République, ce 29 novembre. C’est en solo que le prince Charles est venu acter la fin de l’institution royale dont sa mère, la reine Elizabeth II, est la souveraine. C’est au cours d’un long processus controversé, dont a été exclu la vox populi, que le parlement barbadien a décidé de couper les ponts avec le Royaume-Uni tout en restant dans le Commonwealth. Une décision qui pourrait faire tache d’huile à l’aube d’une fin de règne que tous les britanniques redoutent.
Située dans les Caraïbes, l’île de la Barbade est baignée par un océan aux eaux cristallines et turquoises, un confetti de l’empire britannique qui a été un des centres du commerce triangulaire et au cœur de la guerre civile qui a opposé royalistes et cromwelliens au XVIIème siècle. Lorsque l’esclavage est aboli en 1838, les planteurs trouvent rapidement une solution de rechange afin de rester au pouvoir en imposant un cens très élevé. Un impôt qui va exclure de facto 70% de la population de l’île. Il faut attendre les années 1930 pour que naissent les premiers mouvements d’émancipation des afro-barbadiens et deux décennies de plus pour que ces derniers puissent enfin voter au suffrage universel. Leader du parti travailliste, Sir Grantley Herbert Adams est élu chef du gouvernement en 1953. C’est la première fois qu’un descendant d’esclave accède à un tel poste. Bien que le fondateur de la gauche barbadienne ait été un monarchiste convaincu, la ligne du parti sur le sujet va progressivement bouger vers une adhésion aux principes républicains (manifeste de 1994). C’est encore pourtant le système monarchique qu’elle retiendra lors de la proclamation de son indépendance en 1966.
Les « barbadiens ont le droit d’avoir leur propre chef d’état »
En février 2005, le gouvernement de la Barbade annonce à Buckingham Palace qu’elle a l’intention de mettre en place un référendum sur cette question bien que la population reste pourtant attachée à la reine Elizabeth II. En témoigne le succès de ses nombreuses visites. Et de voter dans la foulée, le « Referendum Bill » qui stipule que tout changement de régime doit passer par la volonté populaire. Owen Arthur, qui est alors Premier ministre, ne cache pas son irritation vis-à-vis de la famille royale. « Si la reine devait subitement mourir, tout comme les princes Charles ou William, je ne pourrais vraiment pas prêter serment au prince Harry » déclare-t-il publiquement après les révélations de la presse sur la soirée costumée du second petit-fils aîné d’Elizabeth II, grimé en uniforme nazi. Vice Première ministre, Mia Mottley va plus loin et affirme que les « barbadiens ont le droit d’avoir leur propre chef d’état ». C’est encore elle qui va être à la manœuvre pour conduire l’île vers l’indépendance complète. Le Black Lives Matter ( « La vie des noirs compte »), qui a essaimé sur l’île, va achever la monarchie .
En septembre 2020, lors du discours du trône, devenue Première ministre, elle déclare que « le moment est venu de laisser complètement derrière nous notre passé coloniale » et annonce que la Barbade deviendra une république lors du 55ème anniversaire de son indépendance. Exit le référendum, c’est sous les dorures du parlement que les députés votent la destitution de la reine Elizabeth II. Le palais royal est informé de la décision et ne conteste pas le choix des élus barbadiens qui ont agi au mépris du « Referendum Bill ». D’autant que selon le dernier sondage en date sur la question de l’institution royale, 69% des habitants de l’île se prononçaient pour son maintien (2015). Pis, lors de la dernière visite du prince Charles (2019), l’héritier de la couronne britannique avait reçu l’assurance de la part de la Gouverneur-générale, Dame Sandra Mason (72 ans), que l’ile de la Barbade resterait dans le giron de la monarchie britannique. Celle-là même qui est aujourd’hui devenue présidente de la nouvelle république, élue aux deux tiers de l’assemblée dominée par les travaillistes.
« La famille royale britannique est une source d’exploitation dans cette région »
Prochain monarque du Royaume-Uni, Charles a été désigné par sa mère pour acter de la fin du régime monarchique. Un voyage qui n’a pas été du goût de tous. Face à la statue de l’Emancipation qui représente Bussa, un esclave qui a mené une des plus grandes rébellions d’esclaves en 1816, le secrétaire général du Mouvement des Caraïbes pour la paix et l’intégration a déclaré que la participation aux cérémonies du prince Charles était une « insulte au peuple barbadien ». « Sois-vous rompez avec la monarchie, soit vous ne rompez pas avec la monarchie. Et si vous rompez avec la monarchie, vous ne pouvez pas les inviter à faire partie de ce processus » précise même David Denny qui a organisé une manifestation à l’arrivée du prince. « La famille royale britannique est une source d’exploitation dans cette région et, pour l’instant, elle n’a pas présenté d’excuses formelles ni aucune sorte de réparation pour les préjudices passés » estime Firhaana Bulbulia, fondatrice de la Barbados Muslim Association. Elle envisage même de demander une compensation financière au Royaume-Uni.
Dans la Barbade, cette proclamation laisse un sentiment très mitigé. Certains se demandent pourquoi maintenant alors qu’il y a d’autres urgences ( pandémie de covid, chômage qui caracole à 16% de la population) quand d’autres se disent que cela arrive bien tard. Mais pour Sandy Deane, rédactrice en chef du site d’information Barbados Today, c’est un certain enthousiaste palpable. Selon elle, « faire ses adieux à la reine ne consiste pas à déconstruire le passé, mais plutôt à construire un avenir ». « Je ne pense pas que les gens s’opposent à la République. La monarchie britannique, ce n’est pas comme si elle était impliquée dans nos affaires quotidiennes. C’est une belle famille que l’on admire de loin ; nous savons que vous prêtez serment et que vous devez allégeance à la reine, mais vraiment et véritablement, ils ne font en aucun cas partie dynamique de la Barbade » affirme-t-elle. « En vieillissant, j’ai commencé à me demander ce que cette reine signifie vraiment pour moi et pour ma nation. Cela n’avait aucun sens. Avoir une femme présidente de la Barbade sera formidable » renchérit Mia Mottley .
La reine Elizabeth II a simplement fait part de « sa tristesse »
« Alors que votre statut constitutionnel change, il était important pour moi de me joindre à vous pour réaffirmer ces choses qui ne changent pas .Par exemple, le partenariat étroit et de confiance entre la Barbade et le Royaume-Uni en tant que membres essentiels du Commonwealth ; notre détermination commune à défendre les valeurs que nous chérissons tous les deux et à poursuivre les objectifs que nous partageons ; et la myriade de liens entre les peuples de nos pays – à travers lesquels coulent l’admiration et l’affection, la coopération et les opportunités – nous renforcent et nous enrichissent tous » a déclaré le prince de Galles dans son discours avant d’être décoré de l’Ordre de la Liberté et de l’indépendance. La reine Elizabeth II a simplement fait part de « sa tristesse » et constaté les « temps qui changent ».
La Barbade est désormais le quatrième pays des Caraïbes à rompre ses liens avec la monarchie, ne laissant que huit autres anciennes colonies britanniques qui restent fidèles à la couronne. Pour trouver un pays qui a récemment destituer la reine, il faut remonter à 1992 quand l’île Maurice a pris son indépendance. Certains dirigeants (comme ceux de la Jamaïque) espère que la décision barbadienne fera tâche d’huile.
Frederic de Natal