Princes du rythme, maîtres de la clef de sol, empereurs du solfège, le nom des Strauss raisonne de concert avec celui des grandes heures de l’empire austro-hongrois. La Revue Dynastie revient sur l’histoire de ces musiciens qui continuent de faire valser le monde entier et dont l’œuvre se poursuit encore aujourd’hui sous une forme plus Rock ‘n Roll.
C’est une histoire qui commence au bord du Danube, ce fleuve qui traverse Vienne, la capitale de l’Autriche. Johann Strauss nait le 14 mars 1804, l’année où Napoléon Ier se fait sacrer Empereur de la République française. Il n’aura pas le temps de connaître son père, tavernier de profession. Un an après sa naissance, celui-ci met fin à ses jours. A 7 ans, il perd sa mère, Barbara Dolemann, victime de fièvres. Désormais orphelin, Johann Strauss est confié à la garde de son beau-père, un certain Golder, qui va la placer comme apprenti chez un relieur. C’est à cette période qu’il va apprendre le violon et la viole avant de voler de ses propres ailes. La musique est une révélation pour Johann Strauss qui oublie les vicissitudes de la vie et qui ne se lasse pas de jouer dans des groupes. Lorsque son quatuor à cordes, qui se produit dans des bals, jouant des valses viennoises et des danses rustiques allemandes, devient un véritable orchestre en 1832, il ne tarde pas en prendre le leadership.
Une valse étourdissante
Il multiplie les tournées en Europe. Des voyages qui mettent à mal son mariage avec Maria Anna Streim célébré en 1825. Le couple aura six enfants mais Johann Strauss enchaîne les relations extra-conjugales et les enfants adultérins. Il sera tout aussi prolifique avec sa maîtresse avec laquelle il aura 8 autres enfants. Johann et Maria Anna finissent par divorcer en 1844, tambour battant. Avec sa progéniture, Johann Strauss est un père implacable qui leur interdit de faire de la musique. Depuis un voyage en France en 1837, il est devenu un chef d’orchestre reconnu. En regardant et écoutant jouer des quadrilles à Paris, l’idée lui est venue d’adapter ce style à la sauce autrichienne et d’avoir l’honneur de jouer au couronnement de la reine Victoria l’année suivante. Il ne va pas tarder à entrer en conflit avec son fils Johann Strauss II. Les rapports entre les deux Strauss sont électriques. Johann Strauss père a découvert que son aîné apprend le piano et le violon en secret avec des membres de son orchestre. Le garçon sera violemment fouetté et prié de se consacrer à ses futures études de banquier. Difficile de savoir si Johann Strauss Ier voyait déjà dans ce fils un potentiel rival ( il a déjà composé une valse à l’âge de 10 ans en 1835) où s’il tentait de le préserver des incertitudes liées à ce métier ?
Des rapports conflictuels entre le père et le fils
Il faudra attendre l’abandon du domicile conjugal par son père en 1842 pour que Johann Strauss II puisse pleinement se consacrer à sa passion au sein d’une école privée. Son talent est remarqué, sa seule œuvre sacrée (Tu qui regis totum orbem ) en 1844 est un succès. Il obtient très rapidement un permis lui autorisant de donner des concerts en dépit de sa minorité et forme même un orchestre de 24 musiciens. Les débuts sont difficiles mais les tournées à l’étranger s’accélèrent. On s’arrache ce prodige de la musique classique qui crée déjà de petites valses. Les Strauss font l’actu people de l’époque. En 1846, le père est nommé directeur des bals de la Cour d’Autriche, son fils chef de la musique municipale de Vienne. Le premier est un fidèle des Habsbourg-Lorraine (il va composer la célèbre Marche de Radetzky jouée à chaque nouvel an, encore aujourd’hui), le second décide de soutenir les révolutionnaires de 1848 et va même jusqu’à jouer la Marseillaise en public, lui valant quelques jours de prison. L’empereur François-Joseph ne lui en tiendra pas rigueur et lorsque Johann Strauss I meurt d’une scarlatine en 1849, Johann Strauss II réunit les deux orchestres en une seule entité. Il consacrera deux marches au nouveau souverain.
Johann Strauss II, le roi de la la valse
Composée en 1866, le « Beau Danube bleu » est la valse par excellence qui est associée à Johan Strauss II. Elle sera jouée dans toutes les cours d’Europe. Sa popularité est à son paroxysme avec ce poème symphonique. Il est devenu entretemps directeur de la musique de bal de la Cour. Une revanche pour ce fils mal-aimé qui a fait une priorité de son métier. Des heures passées à composer, jouer, qui mettent à mal ses relations conjugales brisées par le sort. La cantatrice Henrietta Treffz sera sa muse de 1862 à son décès en 1879. Avant qu’il ne se console dans les bras de l’actrice Angelika Dittrich. Un second mariage catastrophique qui le met en conflit avec l’Église catholique qui lui refuse le divorce. Furieux, il décide de se convertir au protestantisme et devient citoyen du duché de Saxe-Cobourg-Gotha en 1887. Puis épouse dans la foulée Adèle Deutsch qui va l’aider à composer un autre de ses succès, les « Valses de l’Empereur » deux ans plus tard. « C’est étrange mais votre musique reste aussi jeune que vous. Après tant d’années, elle n’a pas pris une ride » lui dira François-Joseph. Sa dernière œuvre puisqu’il décède en 1889 d’une pneumonie, auréolé du titre de « roi de la valse » et encensé par ses amis musiciens, de Wagner à Verdi en passant par ses rivaux comme Brahms.
La partition asséchée
L’histoire des Strauss ne s’arrête pas ici. Johann Strauss II a deux autres frères. Joseph (1827-1870) qui était loin d’être destiné à la musique. Son père le voyait dans l’armée, il sera finalement ingénieur et présente même un projet avant-gardiste : une voiture de nettoyage de rues. Pourtant l’amour de la musique le rattrapera. Il remplacera son frère au pied levé en 1853 alors que Johann Strauss II traverse une forte dépression. On doit à Joseph un nombre important de polkas très en vogue à l’époque. Malade toute sa vie, on le retrouve un jour, inanimé sur le sol, peu de temps après un concert donné en Pologne. Des rumeurs affirmeront qu’il avait été battu à mort par des soldats russes, saouls, qui n’avaient pas apprécié que Joseph leur refuse un concert privé. Poète, peintre, dramaturge, chanteur, violoniste, ce cadet des Strauss était prometteur, à certains égards aussi talentueux que Johann Strauss II. Edouard Strauss (1835-1916) n’a pas démérité non plus. Il va créer son propre style de polkas rapides, connues sous le nom de « polka-schnell ». La rivalité fraternelle amuse les gazettes de Vienne qui se délectent des conflits entre les frères-compositeurs et d’autres musiciens. La mort de Johann Strauss II laisse les caisses de la famille vide. La fortune familiale a été dilapidée par le créateur du Beau Danube bleu sans que personne ne s’en aperçoive.
Valse brune
Edouard Strauss décide de partir vers New York en 1899 avec sa famille et met fin aux activités de l’orchestre Strauss en 1901. Ses dernières tournées achevées, il repart à Vienne et se retire de toute activité musicale, témoin de la chute d’un empire. Ironie de l’histoire, il décède un mois après l’empereur François-Joseph, en décembre 1916, tournant la page d’une XIXème siècle haut en couleurs. Amer à la fin de sa vie, il avait détruit une partie de ses documents personnels dans un autodafé resté unique en son genre. Son fils Johann Strauss III (1866-1939) n’arrivera pas à la cheville de ses prédécesseurs. Quelques œuvres notoires, des valses (dont celle jouée au couronnement du roi Edouard VII en 1907), des mazurkas, des opérettes, il n’a pas laissé de traces mémorables dans les annales de la musique. Il regardera avec passivité le nazisme monter en puissance en Autriche, une idéologie qui raffolait des créations de sa famille jusque dans la cruauté. A Buchenwald, les chemises brunes obligent les juifs à valser, les battant s’ils ne démontrent pas leur habileté à la danse. Ou encore au camp de Madjanek, 17000 juifs seront exécutés au son des Valses de l’Empereur en 1943, au cours d’une opération baptisée cyniquement « fête des moissons ». Le Reich attribua un certificat d’aryanité au premier des Strauss (cachant bien aux allemande les origines juives et hongroise de la famille, convertie au christianisme par la suite) et ne se privent pas de piller les collections personnelles de la famille.
Rock ‘n Roll Strauss
Edouard Strauss II (1910-1969) recueille l’héritage familial. Neveu de Johann Strauss III, il suit la tradition musicale et prend des cours de violons dès l’âge de 6 ans. Toute sa vie va tourner autour du nom de la dynastie, du poids que cela représente pour ses épaules. Professeur et répétiteur au Conservatoire de Vienne entre 1946 et 1956, il est contacté par la Société Johann Strauss de Vienne afin de conduire un orchestre reprenant toutes les partitions des membres de sa famille. Le début d’une nouvelle vie en 1949 et qui va lui permettre de voyager dans le monde entier, de rencontrer un succès inédit au Japon. Parallèlement, il joue les rôles de son grand-père, son arrière-grand-père et son grand oncle dans des films consacrés aux Strauss. Il tente lui-même de fonder un orchestre mais ce sera un échec. Aujourd’hui, c’est son fils Edouard Strauss III qui est à la tête du legs dynastique. Il est âgé de 67 ans et s’il a coordonné les activités de la Fondation Strauss de 1987 à 1991, il n’a pas versé dans la musique. Après des études de droit, ce père de deux enfants (dont un est décédé) a été nommé juge à Vienne. Président du Sénat au Tribunal régional supérieur de Vienne entre 2006 et 2020, il est désormais à la retraite.
La musique plus à l’honneur chez les Strauss ? Pas si sûr que cela car une descendante directe de Johann Strauss II s’est faite connaître dans un autre registre très étonnant. Nita Strauss est une guitariste hard-rockeuse américaine qui a été révélée avec son cover-band féminin The Iron Maidens. A 35 ans, elle a déjà connu l’honneur de la scène aux côtés du chanteur Alice Copper et s’est dernièrement hissée à la première place des tubes de rock en mars 2022 avec son tube « Dead Inside » . Bon sang ne saurait mentir.
Frederic de Natal