Fondée par l’ingénieur Louis Renault à la fin du XIXᵉ siècle, la famille Renault a accompagné l’essor de l’une des plus importantes entreprises industrielles françaises. Si ses descendants vivent aujourd’hui en retrait, ils demeurent les porteurs d’un héritage technique, historique et mémoriel unique.

La saga Renault n’est pas celle des trônes et des couronnes, mais elle possède tout des grandes dynasties : un fondateur visionnaire, une lignée, un drame, une renaissance.

Les trois frères Renault : Marcel, Louis et Fernand @wikicommons

Les origines : Louis Renault, un inventeur industriel

Il fut l’un des visages les plus emblématiques de l’industrialisation française. Louis Renault, autodidacte de génie, va bâtir en quelques décennies un empire industriel qui continue encore de façonner durablement l’histoire économique de la France.

Louis Renault naît le 12 février 1877 à Paris, dans une famille bourgeoise aisée. Son père, Alfred Renault, est commerçant prospère en tissus, ce qui permet à ses enfants de bénéficier d’une éducation confortable. Très tôt pourtant, le jeune Louis manifeste une singularité : il passe des heures à démonter et remonter montres, moteurs, pièces métalliques et jouets articulés. Une passion dévorante.

À 14 ans, l’adolescent au caractère timide et solitaire dispose déjà dans le jardin familial d’un petit atelier avec forge, tour et étau. Ce laboratoire improvisé deviendra le berceau de ses premières inventions. Il n’a guère de goût pour l’école ou les études classiques. Il est même médiocre selon certains historiens qui ont décortiqué ses bulletins de notes . Au lycée Condorcet, il fréquente un certain André Citroën, qui deviendra son principal concurrent.  Le Baccalauréat est une futilité pour Louis Renault qui ne prend même pas le temps de le passer. Son esprit est happé par le bruit du métal, l’odeur de l’huile, les engrenages qui tournent. En 1897, il conçoit seul un moteur monocylindre à soupapes commandées, amélioration majeure des modèles existants.

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D'une usine à une autre @wikicommons

L’empereur de Billancourt (1918–1939)

Le 24 décembre 1898, tout bascule. Louis, âgé de 21 ans, réalise sa première Voiturette Type A. Un premier succès qu’il n’hésite pas conduire afin d’ébahir sa famille et la foule rassemblée, curieuse de cette invention.  Dotée d’une boîte de vitesses à prise directe, qui permet de gravir les côtes sans effort , il défie ses amis en grimpant la rue Lepic à Montmartre avec son engin. Exploit insolent, presque impensable pour l’époque mais qui suscite l’admiration. L’épisode attire l’attention. Des commandes affluent dès le premier soir. Soutenu financièrement par ses frères Marcel (1872-1903, accident de voiture) et Fernand (1864-1909) qui gèrent la firme textile familiale, Louis fonde l’année suivante Renault Frères à Billancourt. Ce modeste atelier deviendra bientôt , en quelques années, une usine gigantesque.

Le début du XXᵉ siècle est celui des conquêtes et l’esprit d’innovation et d’aventure. Louis Renault s’impose comme un industriel audacieux, un pionnier qui entend révolutionner son époque : Il développe des taxis, camions, autobus, moteurs d’avion, remporte plusieurs courses automobiles, sa vitrine technique et commerciale, et comprend avant presque tous les autres le potentiel du moteur à explosion.

En 1905, les taxis Renault circulent déjà à Paris et s’imposent face aux carrosses. Lors de la Première Guerre mondiale, ces mêmes taxis — les fameux Taxis de la Marne — deviennent symbole national en transportant 4000 soldats français vers le front de l’Ourcq. Louis Renault, patriote industrialiste, met son entreprise au service de la Nation sans hésitation.

Au sortir de la guerre, Louis Renault est porté aux nues. Décoré, célébré, Président de la Chambre syndicale des constructeurs automobiles, il transforme ses ateliers en une véritable ville-usine (il installe sa première chaine de montage sur l’île Seguin). Son entreprise s’internationalise (rebaptisée Société des automobiles Louis Renault), compte jusqu’à 40 000 ouvriers, et s’associe avec plusieurs grands noms devient le premier constructeur français, rivalisant avec Ford lui-même. Il introduit la chaîne de production, développe la fabrication en série, finance des logements ouvriers, crée cantines et infrastructures sociales (il introduit des réformes comme des indemnités en cas de maladie, des allocations familiales et des congés payés). Mais, il interdit les syndicats, refusant toute cogestion au sein de ses usines craignant que le socialisme naissant ne vienne contrecarrer ses ambitions. Ce paternaliste autoritaire est autant admiré pour sa vision qu’il est craint pour sa fermeté.

Parallèlement, Renault exporte dans le monde entier : la marque devient synonyme de robustesse et d’ingénierie française  en Asie ou en Afrique. Les modèles 6CV, Primaquatre, Juvaquatre marquent l’ère tandis que l’entreprise s’étend à la métallurgie, à la chimie, à l’aéronautique.

Louis Renault en 1940 @wikicommons

La tourmente de la guerre, l’accusation et la chute (1940–1944)

La Seconde Guerre mondiale met Louis Renault face à un choix tragique.  Louis Renault avait rencontré en 1935 le chancelier Adolf Hitler de sa propre initiative. Pacifiste, il croyait qu’il pourrait persuader le Führer de préserver la paix par le bais d’une entente économique entre Berlin et Paris. Un échec qui va le secouer.

Lors de l’invasion de la France (1940), il décide de multiplier la production de chars de combat afin de résister à l’avancée allemande pour découvrir à son retour des États-Unis que ses usines ont été occupées par les Nazis. Refusant l’exil, il décide de maintenir l’activité de ses usines malgré les pressions internes. L’armée allemande, puis le régime de Vichy, exigent la production de camions pour la Wehrmacht. Louis Renault accepte sous contrainte, officiellement pour préserver ses ouvriers des déportations et éviter la confiscation pure et simple des usines. Ses ennemis parleront de collaboration industrielle ; ses défenseurs d’obéissance forcée.

En 1942, les bombardements alliés détruisent une partie des installations. L’homme de fer a vieilli. il s’isole d’un monde qui ne lui appartient déjà plus. À la Libération, il devient un bouc émissaire idéal. Arrêté le 23 septembre 1944, emprisonné à Fresnes sans procès, il meurt quelques semaines plus tard, le 24 octobre, dans des circonstances jamais totalement élucidées. Certains parlent de maladie, d’autres de mauvais traitements, voire d’assassinat.

En janvier 1945, sans qu’un jugement ait établi sa culpabilité, l’État confisque son entreprise et fonde la Régie Nationale des Usines Renault. La marque survivra pourtant, deviendra fleuron industriel, symbole du renouveau français. Mais derrière le losange et les succès ultérieurs — 4CV, R4, (Super) R5 — demeure l’ombre du fondateur. Aujourd’hui encore, Louis Renault divise : génie ou tyran ? patriote ou collaborateur forcé ? Il fut sans doute les deux — l’incarnation même des contradictions du XXᵉ siècle.

Affiche des voitures Renault @wikicommons

La descendance : qui sont les héritiers aujourd’hui ?

Louis Renault s’est marié avec Christiane Boullaire et a eu un fils, Jean-Louis Renault (1920–1982). On aurait pu s’attendre à ce qu’il reprenne les rênes familiales mais la nationalisation brise net toute montrée en puissance de l’héritier. Si l’essentiel de l’empire industriel est entre les mains du gouvernement, la famille a conservé et reconstitué, au fil des décennies, des propriétés résidentielles et foncières. Ces éléments immobiliers alimentent une mémoire familiale et sont parfois Toute sa vie, lui comme ses enfants vont tente d’obtenir une réhabilitation de leur nom. En juillet 1967, ils obtiennent enfin une indemnisation partielle.

Aujourd’hui encore, leur combat continue. «  Nous sommes nombreux, sûrs de nous et pleins d’énergie pour laver la mémoire de notre famille », affirmait récemment Hélène Renault-Dingli, citée par France 24. La famille Renault  contemporaine n’a peut-être plus d’empire industriel à diriger, mais elle reste une grande famille française, soudée autour d’un héritage. Une quinzaine de petits-enfants, parfois engagés dans les arts, l’entrepreneuriat ou l’immobilier, gère aussi de manière concertée biens patrimoniaux familiaux, notamment autour d’Herqueville ou d’anciennes propriétés historiques.

Rarement une famille aura laissé une empreinte si profonde sur le paysage industriel français. Elle vit aujourd’hui dans une discrétion presque aristocratique, loin du tumulte médiatique, portant un patronyme qui évoque à la fois la gloire industrielle, la tragédie historique et la vigueur d’un fleuron national devenu mondial.


Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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