« Elle se prend pour la reine de Saba peut-être ? ». Qui n’a pas entendu, au moins une fois dans sa vie, cette expression passée dans le langage de tous les jours ? On lui a attribué tout au long des siècles divers noms, genres et on la cite dans tous les livres saints. Coran, Bible, Talmud, tous évoquent à leur manière cette fabuleuse et riche souveraine qui aurait vécu une romance passionnée avec le roi Salomon et donné naissance à une dynastie millénaire qui va régner sur l’Éthiopie jusqu’en 1974. Mais derrière cette belle histoire reprise par le génie hollywoodien, la reine de Saba a-t-elle réellement existé où est-ce le produit d’un mythe chrétien qui continue de nous fasciner ?

Salomon et la reine de Saba, vue d’artiste (La Légende de la Vraie Croix), par Piero della Francesca, v. 1460.

De toutes les traditions antiques, celle de la reine de Saba surpasse toutes les autres. Présente dans le panthéon religieux, c’est dans le Livre de Rois, au chapitre X, du verset 7 à 13, que l’on évoque le passage de cette souveraine en Israël, venue rencontrer en grande pompe le roi Salomon afin de constater sa sagesse et « l’éprouver par énigmes ». Une entrevue qui ne repose sur aucun texte crédible puisque l’on ne trouve pas trace de l’existence de la reine de Saba « qui combla Salomon et fut comblée en retour ». Pourtant, une histoire similaire que l’on peut retrouver dans le Coran, plus complète dans la « sourate de la fourmi » et écrite plus de dix siècles après dans laquelle on a savamment glissé l’aide des djinns chargés de vérifier que « Balqis » (son nom) n’était pas le diable incarné. Un évènement qui fixe les bases de la légitimité des Salomonides, la maison impériale d’Éthiopie puisque selon les textes coptes du Kebra Nagast, des amours de la reine et du roi, le prince Ménélik Ier en est issu. Fondateur de cette dynastie christique, il aurait emporté (volé) l’Arche d’alliance et l’aurait mise en sécurité en Abyssinie. Pour le Talmud, point de femme mais un homme venu faire du négoce à contrario du Livre d’Esther plus prolixe sur cette visite royale de la reine de Saba.

Une réalité moins romanesque

Tant de versions contradictoires sur lesquelles Joseph Halévy s’est justement penché en 1904 et dont il donne une version moins romanesque. « À en juger d’après l’analogie d’autres voyages anciens de prince à prince, on devine facilement qu’il s’agissait, en première ligne, d’un traité de commerce entre les deux royaumes. […] Le pays de Saba, richement pourvu de mines d’or, de gemmes et d’aromates les plus recherchés, produisant des céréales et de l’huile d’olive en quantité insuffisante pour nourrir sa nombreuse population. Le Yémen manque aussi de tissus de lin de diverses couleurs et spécialement de ces étoffes de pourpre qui servaient à l’habillement des rois et des chefs. La Palestine produisait abondamment les premières denrées et servait d’intermédiaire pour le commerce de la pourpre tyrienne. Cet échange de denrées et de produits industriels était avantageux aux deux gouvernements, et il paraissait nécessaire d’en régler les transactions par des tarifs bien fixés. » écrit l’orientaliste qui détricote la légende biblique afin de mieux la recontextualiser historiquement.

A la recherche du royaume de Saba

Rencontre de Salomon avec la Reine de Saba . Peinture Giovanni De Min.

Son royaume serait situé au Yémen. De sérieux doutes subsistent sur la localisation exacte de Saba. Des missions archéologiques se sont déplacées sur la péninsule arabique afin de vérifier si la monarchie sabéenne avait existé. Un site religieux a été découvert et que l’on daterait entre moins 1200 et 500 avant Jésus-Christ, laissant penser qu’un royaume antique s’est bien formé ici. D’ailleurs, le temple serait situé à proximité de Marib, la capitale du royaume de Saba selon les textes bibliques et du Coran et que l’on situe aussi parfois dans le sud de l’Arabie. En 2008, des archéologues ont même affirmé que le royaume de Saba se trouverait en Éthiopie après avoir retrouvé des vestiges du supposé palais du roi Ménélik Ier en raison de son orientation vers l’étoile de Sirius dont la reine de Saba et son fils seraient devenus des adorateurs d’après la Bible. Il est vrai que le Kebra Nagast (qui l’appelle « reine du Sud ») affirme qu’elle est native de cette partie de l’Afrique de l’Est.  Mais c’est à Axoum, un site qui regorge de témoignages de cette époque, que des traces du royaume de Saba sont mentionnées. En 2012, l’ancienne conservatrice du British Muséum, Louis Schofield, a mis au jour une stèle en pierre sur laquelle est gravée un soleil et un croissant de lune correspondant à ce qui serait considéré comme la preuve de l’existence de Saba, sa « carte de visite » qui se lit comme la composition musicale d’Haendel qui lui a justement dédié une de ses oeuvres.

Qu’elle ait été un mythe ou une vraie souveraine, la reine de Saba n’en demeure pas moins une femme de pouvoir, une mère dévouée et la fondatrice d’une nation. Et c’est bien finalement la véritable clé de sa popularité et de ce qu’elle incarne au plus profond de nous à travers nos croyances spirituelles personnelles. Le mystère demeure toujours autant que la présence de l’Arche d’alliance, cachée quelque part, en Éthiopie. Mais cela est encore une autre histoire.

Frederic de Natal.