Ce 17 juillet 2011, c’est l’excitation au sein de l’abbaye bénédictine de Pannonhalma. Ce site religieux, classé au patrimoine de l’UNESCO, s’apprête à recevoir le cœur de l’archiduc Otto de Habsbourg-Lorraine. Face à l’autel, les dignitaires de toutes les confessions du pays prennent place. A leurs côtés, divers membres du gouvernement, parmi lesquels, le Président Pál Schmitt, le Premier ministre Viktor Orbán ou encore le vice-Premier ministre Zsolt Semjén. Des dizaines de personnes, certaines ont revêtu les anciens uniformes militaires du royaume de Hongrie. Tous sont venus rendre un hommage à cette figure européenne qui aurait pu être monarque sous le nom de Otto II si les affres de l’histoire n’en avaient pas décidé autrement. Depuis le retour au pouvoir des conservateurs, l’ancienne dynastie a été réhabilitée et associée au gouvernement. De quoi redonner de la vigueur au mouvement Légitimiste qui souhaite que la Hongrie retrouve les éclats de son institution royale défunte.
Otto de Habsbourg-Lorraine, source d’espoirs en Hongrie soviétique
C’est un retour qui a marqué les esprits à Budapest. Le 13 juillet 1988, à bord de sa Mercédès verte, le député Otto de Habsbourg-Lorraine passe la frontière hongroise et se dirige vers la ville de Szombathely. C’est un jour historique pour le fils de l’empereur-roi Charles IV. Nul n’a été mis au courant, encore moins les pouvoirs communistes voisins qui sont furieux lorsque cette visite est révélée au monde entier. Pour la première fois depuis 1921 et depuis la chute de la monarchie un quart de siècle plus tard, un Habsbourg est de retour dans sa patrie. A Budapest, une foule se presse autour du prétendant. La chaîne nationale multiplie les reportages et la photo d’Otto devant la couronne de Saint-Etienne fait le tour du pays. Le gouvernement du Parti socialiste ouvrier hongrois (PSOH) est nerveux, cette publicité autour du prétendant au trône pourrait provoquer une nouvelle intervention armée de Moscou. Otto de Habsbourg-Lorraine tient à rassurer, il ne vient pas « pour provoquer une restauration mais une union paneuropéenne dans laquelle les peuples d’Europe centrale peuvent exercer leur droit à l’autodétermination ». Pour les hongrois, c’est le signe d’un espoir, d’un renouveau et sans qu’ils le sachent, le début des premières fissures du Mur de Berlin.
Le 2 janvier, un film sur la vie d’Otto de Habsbourg-Lorraine est projeté dans les salles de cinéma du pays. Il va briser un tabou et rencontrer un succès inattendu. Plus de 70 000 personnes vont visionner ce documentaire qui évoque le passé habsbourgeois de la Hongrie, toutes ses actions entreprises en faveur du pays, entrecoupé d’images d’archives jusqu’ici interdites par le pouvoir prosoviétique. La Habsbourg-mania s’empare alors de la Hongrie et continue encore de la fasciner aujourd’hui. Avec l’effritement du communiste, le PSOH commence à lâcher du lest et autorise le multipartisme. On voit ainsi renaître de ses cendres un parti monarchiste qui va battre la campagne et avoir même ses spots télévisés. Otto de Habsbourg-Lorraine devient une alternative crédible, le symbole vivant d’un passé glorieux et celui de la démocratie retrouvée. Il va même jusqu’à organiser un « pique-nique européen » aux abords du Rideau de fer, cette immense clôture barbelée qui sépare l’Est de l’Ouest et qui va connaître un écho médiatique retentissant avec la fuite de milliers est-allemands vers la Hongrie. A l’automne 1989, une initiative populaire recueille plus de 100 000 signatures et réclame que l’archiduc devienne président de Hongrie. Le député européen est l’objet de toutes les spéculations par la presse et confesse que deux partis politiques sont venus lui proposer ce poste qu’il va toutefois refuser pour se consacrer à la construction de l’Europe.
Un monarchisme influent durant l’Entre-deux-guerres
Le mouvement monarchiste hongrois a été un des plus puissants partis de Hongrie durant l’Entre-deux-guerres. Passé la brève parenthèse républicaine et l’éphémère république des Conseils, la Hongrie est alors un royaume sans roi, doté d’un régent, l’amiral Miklós Horthy qui a remplacé l’archiduc Joseph de Habsbourg-Lorraine suite aux pressions exercées par les Alliés et les pays frontaliers qui craignent la restauration sur son trône de l’empereur-roi Charles. Aux élections de janvier 1920, les partis sensibles à la cause monarchiste ont le vent en poupe mais tous ne sont pas forcément d’accords sur le choix du souverain. Pour le Parti chrétien national ou le Parti national légitimiste, c’est indubitablement un Habsbourg, pour celui des Petits propriétaires, ce sera un autre souverain issu d’une maison aristocratique hongroise et enfin pour d’autres, Horthy ferait tout aussi bien l’affaire. C’est dans les campagnes que la nostalgie des Habsbourg est perceptible et Charles ne s’y trompera quand il tentera par deux fois de reprendre son trône au cours de l’année 1921.
Le cas Habsbourg va déchirer l’Europe mais en Hongrie, ses principaux partisans portent des noms illustres comme le Comte Gyula Andrássy de Csíkszentkirály, le comte Albert Apponyi de Nagyappony ou encore le prince István Rakovszky de Nagyrákó et Nagyselmecz. Avec le comte Antal Sigray, qui va représenter le roi Charles, puis après son fils Otto, ils vont animer les débats parlementaires et faire face au régent qui s’agace du lobby monarchiste contraint de temporiser. Le gouvernement est nerveux. Preuve en est, que lorsqu’une rumeur affirme que le roi Otto II va débarquer en août 1930, il met l’armée en alerte. Même le dirigeant tchèque , Edouard Benès, demande au roi d’Espagne de sermonner l’archiduc.
De divisions en fusions, d’espoirs en déception (notamment avec la France) le Parti Agrarien et les légitimistes s’allient pour former une coalition en vue de la restauration de la monarchie (1937). Un rapprochement est même fait avec les Légitimistes autrichiens qui entrevoient dans l’archiduc Otto le dernier rempart crédible à la montée du nazisme. A un tel point que le chancelier Hitler va baptiser son plan d’annexion de l’Autriche du nom du prétendant au trône qui doit fuir vers les Etats-Unis où il va devenir une voix de la résistance au Führer. En Hongrie, les monarchistes sont harcelés par les partisans du régent qui laisse entrevoir qu’il souhaite mettre en place une dynastie lorsqu’il nomme son fils à la vice-régence en 1940. Désigné Premier ministre en mars 1942, Miklós Kállay de Nagykálló a pris contact avec Otto et Winston Churchill, premier ministre britannique, se montre favorable à la création d’une Confédération des états danubiens (une idée soumise à la France en 1930 par l’entremise de l’ambitieux archiduc Albert de Habsbourg-Lorraine, refusée mais reconsidérée en 1933 face à la montée du nazisme). Mis sous pression par Berlin, le régent fait interdire les activités du mouvement Légitimiste, certains leaders (comme Sigray) envoyés à la déportation. La libération par les troupes soviétiques signe le glas des espoirs monarchistes. Le cardinal Mindszenty (1892-1975), Primat de Hongrie, n’arrive pas à fédérer un pays déstabilisé. Les communistes imposeront la république. En exil, les Légitimistes rejoignent le Front Chrétien fondé par Otto de Habsbourg qui se payera le luxe de participer et de se faire entendre lors du soulèvement de Budapest en 1956.
46% des personnes interrogées souhaitent un Habsbourg à la tête de l’état
En 1992, le parlement pense à remettre en place une régence dans l’attente qu’Otto de Habsbourg-Lorraine se décide mais faute d’obtenir son adhésion au projet, la Hongrie va finalement opter pour la République parlementaire. Il y a eu plusieurs tentatives de formation de mouvements monarchistes (Parti hongrois légitimiste ou Parti monarchiste constitutionaliste hongrois) en faveur des Habsbourg ou encore le Parti du Royaume Hongrois qui préféreraient l’élection d’un magnat (noble) à la tête de l’état. Tous ont eu peu de succès électoralement. Divers politiciens se sont prononcés pour la restauration de la monarchie comme le vice-Premier ministre Zsolt Semjén ou encore Gábor Vona Zázrivecz, l’ancien député fondateur du Parti Jobbik. Associés au gouvernement ( Les archiducs Georges et Edouard ont été respectivement nommés ambassadeurs de France et du Vatican) qui a fait adopter une constitution, mentionnant la Sainte Couronne comme symbole de la continuité constitutionnelle de l’État (le mot république a été supprimé), les Habsbourg sont désormais régulièrement invités à des cérémonies officielles et restent très proches de la politique du Premier ministre Viktor Orbán.
Regnum reste aujourd’hui l’association monarchiste la plus visible avec un magazine catholique, « Miles Christi », qui n’a pas hésité à se déclarer en faveur de l’actuel prétendant au trône, Karl (Charles V) de Habsbourg-Lorraine. Les hongrois souhaitent-ils la restauration de la monarchie ? Lors d’un sondage réalisé en mai 2021, 46% des personnes interrogées souhaitaient qu’un Habsbourg soit élu à la tête de l’état, plaçant un membre de la maison royale en tête d’autres potentiels candidats. « La nation a besoin d’un roi qui soit supranational et indépendant des luttes partisanes et soit un symbole de continuité qui rassemble » indiquait dans un entretien János Pánczél. Fondateur d’un blog royaliste il estime que l’idée est encore victime de ses caricatures en dépit d’une nostalgie palpable. Preuve en est, « Le royaume sans roi » (Trónfosztott királyság), une docu-fiction consacrée aux tentatives de restaurations de la monarchie par Charles IV a totalisé près de 100 000 vues sur le seul réseau social You Tube.
Frederic de Natal