L’histoire de Monaco est indissociable de celle de la France et des Napoléon. Annexée, restituée, placée sous protectorat, la principauté a su transformer les bouleversements en opportunités. Les Grimaldi, loin d’être de simples spectateurs, ont consolidé leur souveraineté grâce à ces liens, comme l’a récemment rappelé une exposition consacrée à ce pan méconnu de l’histoire franco-monégasque.

Honoré III face à la Révolution française
En 1789, un vent révolutionnaire souffle sur toute la France qui ne va pas tarder à emporter la monarchie Française. Depuis les fenêtres de son prestigieux et luxueux hôtel parisien, le prince Honoré III, 69 ans, regarde les événements se succéder avec rapidité. Monté sur le trône de la principauté de Monaco en novembre 1733, le duc de Valentinois a pourtant l’esprit tranquille. Il refuse de quitter Paris afin de rejoindre son « Rocher ».
La fuite et l’arrestation à Varennes de Louis XVI, la chute des Bourbons en août 1792 vont pourtant contraindre le prince Honoré III à se réfugier à Blois. Il n’est pas encore inquiété par la Convention qui va envoyer le monarque français à la guillotine en janvier 1793. Il n’est pas dépossédé de ses biens, car n’ayant pas émigré comme tant d’aristocrates qui ont quitté précipitamment la France devenue République. Finalement, sa qualité de chef d’Etat souverain ne va pas le sauver longtemps. Monaco est bientôt annexée par les armées révolutionnaires qui s’en emparent sans grande résistance. Honoré III est alors embastillé en juillet suivant à la Conciergerie. Il va y rester 5 mois, attendant un procès dont l’issue ne fait pas de doutes : la prison à vie. La chute de Maximilien de Robespierre (1794), initiateur de la « Terreur » qui s’est abattue sur toute la France prise en étau par deux guerres, le sauve du rasoir national. La France est alors secouée par la révolte des chouans et des Vendéens qui tentent de restaurer le roi Louis XVII, le fils de Louis XVI, emprisonné au Temple, par les monarchies européennes qui se sont coalisées contre cette République qui a sombré dans tous les excès.
Honoré III finit sa vie dans son hôtel particulier, préalablement vidé de tous ses meubles par la Révolution française et décède d’une attaque cardiaque en mars 1795, à l’âge de 74 ans.
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Honoré V, entre armées impériales et réformes sociales
Le destin de la principauté de Monaco va prendre un nouveau tournant avec la figure du futur Honoré V (1178-1841), petit-fils du précédent souverain. Devenu un simple citoyen français qui s’est engagé dans les armées de la République française, le prince se distingue à Hohenlinden (1800), sous les ordres du général Grouchy, futur maréchal d’un empire à venir. Blessé, il obtient un grade de lieutenant. Sa carrière militaire le mène vers le maréchal Joachim Murat, futur roi de Naples dont il devient l’aide de camp. Un destin princier qui se mêle à l’histoire d’un empire qui va rapprocher les Grimaldi des Napoléon. Il s’illustre dans la campagne de 1807, suit Joachim Murat en Espagne, devient Premier écuyer de l’Impératrice Joséphine en 1808 (il y restera peu de temps n’étant pas un comptable et mis en cause dans une affaire scabreuse de détournement de fonds), un intime de la maison impériale, côtoyant Napoléon Ier, brillant général corse de la Révolution devenu souverain d’un empire européen. Ce dernier l’a décoré de la Légion d’honneur après la bataille d’Eylau où le prince de Monaco n’a pas démérité et l’a gratifié du titre de baron de Monaco.
L’abdication de Napoléon Ier en 1814 à Fontainebleau signe aussi le retour des Grimaldi à Monaco dont l’avenir est entre les mains des monarchies coalisées. Le traité de Paris restitue son trône à Honoré IV, père du prince du même nom. Ils doivent leur régalia à Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ancien ministre des Affaires étrangères de Napoléon Ier, rallié à la monarchie française restaurée. Mais c’est le futur Honoré V, qui lui succède en 1819, qui reste le personnage central des liens entre les deux dynasties. Lors du retour de l’Aigle en France en mars 1815, Honoré V est en route vers sa principauté lorsqu’il se retrouve nez à nez avec l’Empereur déchu. Une rencontre dont le récit est principalement dû à l’écrivain Alexandre Dumas, le futur auteur des « Trois mousquetaires », et qui aura le don de mettre en colère le principal protagoniste de l’histoire. Le rendez-vous a été arrangé, loin d’être aussi fortuit que l’Histoire l’affirme, puisque sa calèche fut interceptée sur ordre de Napoléon. Un retour qui se terminera cent jours plus tard à Waterloo. Mais suffisamment pour entraîner l’envoi de troupes anglaises à Monaco, commandées par le colonel Burke. À la vue des troupes, un garde ferma les portes de la forteresse au nez des Britanniques. Il en résulta une occupation de Monaco qui dura trois mois.
Monaco passe alors sous protectorat de la Sardaigne. Mais Honoré V va s’employer à réformer son état, en « monégasquisant» les codes napoléoniens qui vont rester inchangés jusqu’en 1880. Féru d’économie sociale, Honoré V est un visionnaire. On lui doit un manifeste publié en 1839 : « Du paupérisme en France et des moyens de le détruire » qui n’est pas sans rappeler le livre « De l’extinction du paupérisme » que fera éditer en 1844 le futur Napoléon III.
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Les alliances et l’héritage impérial
Au décès d’Honoré V en 1841, c’est son frère Florestan (1785-1856) qui lui succède. Peu préparé à sa tâche, le nouveau souverain préfère plus les planches d’un théâtre que celui de la politique. C’est son épouse, Marie-Louise Charlotte Gabrielle Gibert (1793-1879), qui tient les cordons de la bourse d’une principauté à l’économie rendue fragile depuis qu’elle est passée sous le contrôle sarde. Excellente gestionnaire, elle assainit les finances de la principauté. Monégasques, les villes de Menton et de Roquebrune aspirent à plus de démocratie, se soulèvent lors du Printemps des Peuples de 1848 tout en restant dans l’ombre de Monaco. Pour Florestan Ier et Marie-Louise, temps de lâcher du lest et de confier les rênes du pouvoir à leur fils Charles III qui lie une fois de plus son avenir aux Napoléon.
Louis Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon Ier, devenu président de la Seconde République, opère un coup d’état afin de conserver le pouvoir (1851) et proclame le Second Empire. Son règne va se caractériser par une profusion de réformes qui vont permettre à la France de s’imposer industriellement, politiquement et militairement sur la scène internationale. Charles III et son épouse, Antoinette de Merode, sont souvent invités aux fêtes de la Cour. Les deux souverains s’apprécient. Ensemble, ils vont signer un traité d’alliance en 1861 qui consacre la pleine indépendance de la principauté. C’est le début d’une nouvelle ère qui va transformer le Rocher. La principauté va largement copier les réalisations du Second Empire jusque dans la livrée de son personnel. Le style haussmannien s’impose rapidement comme une évidence que l’on peut encore apercevoir aujourd’hui (comme son opéra qui doit son « design » à un certain Charles Garnier). La création de Monte Carlo et de ses casinos va achever de rendre sa fortune aux Grimaldi et à leur principauté, les derniers feux d’une fête impériale qui disparaît tragiquement dans la poudre de la bataille de Sedan contre la Prusse (1870).
Manquait plus qu’une alliance matrimoniale pour entrecroiser les deux destins de ces maisons prestigieuses. Ce sera le cas avec le mariage du prince Albert Ier (1848-1922) et de Marie-Victoire Douglas Hamilton (1850-1922), petite-fille de Stéphanie de Beauharnais, fille adoptive de Napoléon Ier er future grande-duchesse de Bade. Un mariage, favorisé par l’impératrice Eugénie de Montijo, qui ne fut guère heureux. Napoléon et Grimaldi ont conservé de bonnes relations comme l’a démontré l’inauguration de l’exposition consacrée à » Monaco et les Napoléon(s), destins croisés ».
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Une exposition pour témoigner d’un siècle d’histoire
Réalisée « grâce à la collaboration des plus grands musées français et monégasques, de collections privées prestigieuses et au soutien précieux du Palais de Monaco, qui donne accès à de nombreux trésors issus de ses collections et de ses archives, près de 200 œuvres d’un intérêt historique et artistique uniques », cette exposition retrace un siècle d’histoire entre deux familles que le destin a su réunir pour faire leurs fortunes.
Ouverte conjointement par Pierre Branda, Directeur scientifique de la Fondation Napoléon (commissaire-général), Thomas Fouilleron, Directeur des Archives et de la Bibliothèque du Palais princier de Monaco et Thomas Blanchy, Adjoint au directeur des Archives et de la Bibliothèque du Palais princier de Monaco. (Commissaire-adjoints), Louis Ducruet (ambassadeur et neveu du prince Albert II), les milliardaires et mécènes David et Mikhail lakobachvili (organisateur de cette exposition), c’est au prince Albert II qu’est revenu le droit d’inaugurer l’exposition le 11 juillet 2025, aux côtés du prince Jean-Christophe Napoléon VII (actuel prétendant au trône de France), le prince Joachim Murat (descendant du maréchal) et son épouse la princesse Yasmine Murat, présidente de l’association du Rayonnement français.
Dès les premiers pas, le visiteur est accueilli par une rétrospective vidéo de la rencontre entre Honoré V et Napoléon Ier, donnant le «La « d’une exposition divisée en plusieurs salles climatisées et qui permettent à tous de virevolter chronologiquement entre toutes les (180) œuvres, costumes, médailles, traités, tableaux exposés. Plus d’une heure de découverte « inédite et passionnante » au sein du nouveau Forum Grimaldi où le temps semble s’être arrêté. « Sans les Napoléon, la principauté ne serait sans doute pas ce qu’elle est aujourd’hui », rappelle fort à propos Thomas Blanchy à Monaco Hebdo. Une plongée dans l’Histoire, une aventure humaine qui ne laisse pas insensible, une fois la visite terminée.
Cette exposition, qu’il ne fallait pas rater, a fermé ses portes le 31 août. Avec un certain succès. Plus de 80 000 personnes ont marché sur les traces de ce chapitre fabuleux et méconnu de l’histoire croisée entre les Napoléon et les Grimaldi.
Du tumulte révolutionnaire aux fastes du Second Empire, Monaco a traversé les épreuves en s’appuyant sur son habileté diplomatique et ses liens privilégiés avec les Napoléon. L’exposition récemment organisée illustre combien ces deux dynasties, loin d’être de simples partenaires de circonstance, ont partagé une destinée commune qui a façonné l’identité politique et culturelle de la Principauté. Héritage vivant, ce chapitre de notre histoire continue de nourrir le prestige des Grimaldi sur la scène européenne.
Frédéric de Natal
Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.