C’est une romance qui a défrayé la chronique à son époque et dont l’histoire a été portée sur grand écran. Tombé amoureux de la très libérale princesse Katia Dolgorouky, le tsar autocrate Alexandre II va nourrir une passion tragique pour cette descendante des Rurikides. La Revue Dynastie revient sur le destin de ce couple et de leurs enfants.
Lorsqu’il monte sur le trône en 1855, Alexandre II porte en lui tous les espoirs d’un peuple. Il a 37 ans. Toute sa vie, il a baigné dans une ambiance conservatrice, élevé dans la plus grande tradition autocratique qui sied à un héritier au trône. Il est athlétique, cultivé, polyglotte, professe des idées libérales. Il est peu intéressé par les affaires militaires, ce qui désespère son père, le tsar Nicolas Ier. Son mariage en 1841 avec Marie de Hesse-Darmstadt (Maria Alexandrovna ) est la conséquence directe de sa germanophilie. Un coup de foudre pour cette princesse qui ne figurait sur aucune liste de la cour de Russie. Ils auront ensemble huit enfants avant que la passion ne s’étiole doucement.
Les Dolgorouky, des princes Rurikides
C’est en 1859 qu’il rencontre pour la première fois une jeune fille qui va bouleverser sa vie sentimentale. Il participe alors à des manœuvres organisées dans le cadre du 150ème anniversaire de la bataille de Poltava, une victoire russe sur la Suède de Charles XII. Invité au domaine du prince Michel Dolgorouky, ce dernier lui présente sa fille Catherine. C’est une adolescente de douze ans au pedigree éloquent. Elle descend des Rurikides, cette dynastie fondatrice de la Russie, et des Romanov par la princesse Anastasia, tante paternelle du tsar Michel Ier. Sa famille a même donné des ministres et des militaires de renom à l’État impérial. Sa branche a perdu sa fortune et son père l’a placé au sein du célèbre institut Smolny chargé d’éduquer les « filles bien nées de la noblesse ». Le tsar sera marqué par la prestance de Catherine qui ne cesse de s’embellir en grandissant. Un de ses contemporains décrit la petite princesse comme « de taille moyenne, avec une silhouette élégante, une peau ivoire soyeuse, les yeux d’une gazelle effrayée, une bouche sensuelle et des tresses châtain clair ». La description est flatteuse, loin de celle qui sera faîte plus tard par les membres de la maison impériale des Romanov.
Une véritable histoire d’amour
L’empereur Alexandre II ne va pas oublier sa « Katia ». L’histoire est en marche. Au cours de l’automne 1864, il visite l’institut Smolny. Une pure formalité pour le souverain qui n’ignore pas que son regard va croiser celui de la princesse Dolgorouky. Privilège suprême, il décide de l’emmener avec lui pour une promenade en calèche. Alexandre II est conquis par le charme naturel de la jeune fille, sa liberté de ton. Il va s’arranger pour qu’elle soit nommée auprès de la tsarine Maria Alexandrovna comme dame d’honneur. L’impératrice a la santé fragile. Elle n’ignore rien des relations extra-conjugales de son époux sans que cela n’entame la solidité du couple. Elle soutient le tsar dans toutes ses réformes, parfois le conseille. Alexandre II apprécie cette proximité avec l’impératrice qu’il sait condamnée. Catherine continue de voir l’empereur mais refuse d’être une de ses maîtresses. Ce n’est qu’en juillet 1866 qu’ils deviennent intimes. L’affaire vient aux oreilles de Maria Alexandrovna qui n’ en accorde aucune importance. Du moins en apparence. Femme trompée, la tsarine accepte son sort avec résignation.
Une union décriée par les Romanov
Alexandre II et Katia feront tout leur possible pour cacher leur relation, usant de codes dans leurs longs échanges. Il jure qu’une fois libre, il l’épousera. Ils se voient trois ou quatre fois par semaine, une romance passionnée qui va accoucher de trois enfants. George né en 1872, Olga née en 1873 et Catherine en 1878. Un quatrième, Boris, ne survivra pas à la naissance en 1876. La persistance de cette relation agace les Romanov. Ils accusent Katia de comploter pour devenir impératrice. Lorsque le 1er mars 1880, une bombe éclate sous le parquet du palais d’Hiver, Alexandre manque de perdre la vie. Dans sa précipitation, Alexandre II court aux étages en criant « Katia, ma chère Katia », oubliant au passage son épouse et irritant son beau-frère le prince Alexandre de Hesse. Le tsar décide de ramener Catherine et ses enfants près de lui. Un scandale pour la cour. Pourtant Maria-Alexandra ne rejettera pas les enfants de sa dame de compagnie, les recevant même dans ses appartements. La tsarine décède en juin 1880. Alexandre II ne tarde pas à épouser Catherine Dolgorouky, lui accorde des titres (Yourievsky) et légitime leurs enfants, les excluant de la lignée de succession. Le mariage sera condamné par les Romanov, les amis du tsar, l’église. « Je prie pour que moi-même et mes frères cadets, qui étaient particulièrement proches de maman, puissions un jour te pardonner » lui écrit la grande-duchesse Maria Alexandrovna de Russie. Sa sœur- sa belle-fille, la princesse Cécile de Bade, déclare « Je ne reconnaîtrai jamais cette aventurière intrigante. Je la hais ! (…) ».
Un assassinat, une disgrâce immédiate
Les tensions sont vives au sein de la famille impériale, donnent lieu à des scènes mélodramatiques. Malgré les critiques, Alexandre et Katia vivent leur bonheur. « Elle a préféré renoncer à tous les amusements et plaisirs sociaux tant désirés par les jeunes filles de son âge… et a consacré toute sa vie à m’aimer et à prendre soin de moi. S’ingérant dans toutes les affaires, malgré les nombreuses tentatives de ceux qui utiliseraient malhonnêtement son nom, elle ne vit que pour moi, dédiée à l’éducation de nos enfants » écrit-il à sa sœur Olga, reine du Wurtemberg. Au Palais, on craint que le tsar ne veuille placer ses enfants sur le trône. Lors d’un dîner de famille, il demande à George, sept ans, s’il aimerait devenir grand-duc. « Sasha, pour l’amour de Dieu, laisse tomber ! » s’énerve Catherine. Elle craint pour la vie de son mari. Il a pourtant promulgué une série de réformes dont la plus célèbre reste l’abolition du servage. Il songe même à mettre en place une constitution au grand dam des absolutistes. Il n’en aura pas le temps. Le 13 mars 1881, alors que Katia l’a imploré de ne pas sortir, il est victime d’un attentat. Ramené au palais, elle est avertie. Quittant précipitamment sa chambre, elle s’écroule de douleur sur le corps du tsar en criant « Sasha! Sasha ! ». Les derniers mots entendus par le tsar qui s’apprêtait à annoncer le prochain couronnement de Katia.
Les Dolgorouky- Yourievsky, la branche morganatique des Romanov
Lors de ses funérailles, Catherine et ses trois enfants sont contraints de se tenir debout dans une entrée de l’église, sans recevoir la moindre place dans le cortège impérial. Alexandre III, nouveau monarque, s’empresse d’expulser Katia et sa famille hors du palais. Dotée d’une rente, les Dolgorouky partent vivre à Paris et sur la Côte d’Azur. Le tsar les fera espionner, réclame des rapports sur leurs activités. Catherine survit pendant quarante et un ans à son mari, sa fortune en diminution. George fera ses études au Lycée Condorcet et sera diplômé de l’Université de la Sorbonne en 1891. Il est autorisé à rejoindre deux ans plus tard la marine impériale russe mais se révèle un très mauvais aspirant-officier. Il s’endette. Nicolas II, qui est monté sur le trône en 1894, se montre bienveillant et finit par l’incorporer à la garde des Hussards. Un régiment qu’il quitte pour épouser en 1900 la comtesse Alexandra Constantinovna de Zarnekau dont il aura un fils, Alexandre (1900-1988). Le mariage sera malheureux et les deux époux se séparent en 1909 avec fracas. Le fils d’Alexandre II meurt finalement en 1913, d’une longue maladie.
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Olga a épousé le comte George-Nicholas von Merenberg (1871-1948), petit-fils d’Alexandre Pouchkine et dont la famille est prétendante légitime au trône du grand-duché de Luxembourg (cette lignée en sera exclue en 1907 après un vote du parlement). Elle a vécu une partie de sa vie à Nice avant d’émigrer en Allemagne. Elle assiste à la chute de l’empire russe avec émoi. Elle avait demandé au tsar Nicolas II d’être le parrain de l’un de ses trois enfants mais l’impératrice douairière, Maria Feodorovna, choquée par cette requête, avait exigé de son fils qu’il refuse cette proposition. Elle décèdera en 1951. Reste Catherine. Le 18 octobre 1901, elle épouse à Biarritz le prince Alexandre Vladimirovitch Baryatinsky (1870-1910). Ils auront deux fils : Andrei (1902-1931) et Alexandre (1905-1992). Secondes noces avec le prince Sergei Platonovich Obolensky (1890–1978), elle incarnera la survivance d’un empire qu’elle devra fuir en 1917, « marchant des kilomètres à pied sans manger » de son propre aveu. Son mariage va battre de l’aile. Forcée de vendre les maisons de sa mère, son époux la quitte pour les beaux yeux d’Alice Astor, la fille d’un milliardaire américain. Ils divorceront en 1923 et Catherine deviendra une chanteuse à succès. Elle finira sa vie (1959) en Angleterre, protégée par la reine Mary, veuve du roi George V, presque ruinée.
Aujourd’hui, c’est le petit-fils de George, le prince Hans-Georg Yourievsky (né en 1961), qui est le chef de famille de cette branche morganatique des Romanov. Défenseur du patrimoine russe, il est issu d’une école de commerce et a obtenu un MBA en droit à Zurich. Il est également membre du conseil d’administration de l’Université européenne de Saint-Pétersbourg (EUSP) selon son site officiel. Deux films à succès (en 1938 avec Danielle Darrieux et en 1959 avec Romy Schneider) ont été consacrés aux amours de Katia et d’Alexandre II.
Frederic de Natal