Il a une vie haute en couleur : ouvrier sur des chantiers d’appartement, chauffeur, cascadeur et chef de piste pour le cirque de Noël Bouglione, officier en opex. Du haut de ses 49 ans, les aventures du futur chef de la maison Murat sont dignes d’un roman. Mais celles de son aïeul, le Maréchal de Napoléon, mériteraient une épopée : Il nous la raconte.

Dynastie : Vous êtes le descendant de Joachim Murat, maréchal du Premier Empire, roi de Naples, dont vous êtes également un des héritiers au trône. Mais bien avant cela, il était un modeste fils d’aubergiste ?

Murat fils d’aubergiste, c’est une légende. Elle sert à lui donner une allure de « soudard » entretenue par les opposants au régime impérial dès la chute du Premier Empire en 1814-1815, lorsqu’on a cherché à décrédibiliser les proches de l’empereur Napoléon Ier. Joachim Murat n’y a pas échappé. En réalité, les parents de mon aïeul, tout juste sortis de la paysannerie, géraient les biens communaux et ecclésiastiques de La Bastide-Fortunière. Ils possédaient également un relais-poste, où ils recevaient parfois afin de compléter leurs revenus. On dirait aujourd’hui qu’ils dirigeaient une maison d’hôtes.

D. : Joachim Murat était le cadet d’une grande fratrie. Pourquoi choisit-il la cavalerie comme arme de prédilection ?

Il était le onzième enfant de la famille Murat. Quand sa mère a accouché de cette future bête de guerre en 1767, elle avait 46 ans. Enfant, il s’occupait des chevaux au relais de poste. Il était destiné à une carrière ecclésiastique qui ne correspondait manifeste- ment pas à son tempérament. C’est donc tout naturellement qu’il a décidé de rejoindre un régiment de chasseurs, pendant sa dernière année au séminaire de Toulouse. C’était un vrai passionné. Il avait une relation avec les chevaux tout à fait exceptionnelle.

D. : Il rencontre Caroline Bonaparte, la sœur du futur Napoléon Ier : ce fut un coup de foudre entre ces deux forces de caractère ?

La première fois que Joachim Murat rencontre Caroline Bonaparte, c’est en 1797. Elle a 15 ans, ils se regardent, discutent, marchent ensemble puis se quittent très naturellement. C’est durant la première campagne d’Italie qu’elle tombe véritablement sous le charme de Murat, qui avait cette réputation d’être un bel homme, très vivant, très cultivé. Il parlait parfaitement le latin, qu’il devait aux lazaristes chez qui il avait étudié. Ce fut un vrai mariage d’amour, même si ce n’était pas le choix de Napoléon, qui régentait la vie amoureuse de ses frères et sœurs. Elle était d’ailleurs courtisée par le maréchal Lannes mais c’est bien grâce à l’intervention directe de Joséphine de Beauharnais, l’épouse de Napoléon, que les deux amoureux purent s’unir en 1800.

D. : Caroline Murat avait un tempérament de feu. L’histoire affirme qu’elle tempête pour avoir un trône comme ses frères et sœurs. Napoléon décide de lui donner Naples alors que son frère Joseph y est déjà installé. Pourquoi ce choix ?

On connaît peu Caroline Murat et ce sont surtout les Mémoires des témoins de l’époque qui évoquent son caractère. Il faut tempérer la perception que l’on a de la sœur de Napoléon. N’oublions pas que Joachim et elle suscitaient beaucoup de jalousie. Dans ses Mémoires, la duchesse d’Abrantès décrit Caroline de manière épouvantable. Pour avoir une description de son caractère proche de la réalité, il faut lire l’historienne Florence de Baudus, qui a réalisé un très bon travail sur le sujet. Talleyrand disait d’elle que c’était « le cerveau de Cromwell dans le corps d’une jolie femme ».Caroline était déjà grande-duchesse de Berg et princesse du Saint Empire romain germanique quand Napoléon a décidé de mettre son frère Joseph Bonaparte sur le trône d’Espagne, occupé par les Bourbons. Joseph était alors roi de Naples et Napoléon désigna Murat pour le remplacer en 1808.

D. : Quel est le bilan du règne de Joachim Murat entre 1808 et 1815 ?

Quand il récupère Naples, le royaume est dans un état désastreux. Joseph n’est pas arrivé à faire ses réformes, pris en otage par l’Église catholique et l’aristocratie locale. Joachim va faire le choix de gouverner avec des ministres italiens et va ainsi transformer considérablement cette partie de l’Italie. Il abolit les droits féodaux, redistribue les terres aux paysans et établit le cadastre, in- troduit le Code civil, aide les entreprises à se développer économiquement, réorganise la marine et l’armée, réalise d’importants travaux d’urbanisme et d’assainissement, fait installer des réverbères dans toutes les rues des villes du pays, crée une police moderne, éradique le banditisme et la mafia, il assainit les finances, crée une banque centrale, une cour des comptes, une inspection du Trésor, met en place le principe de la carte d’identité, l’école gratuite pour les enfants, ouvre de nombreux collèges et lycées, développe l’enseignement supérieur, institue l’École polytechnique et un observatoire astronomique, fait fouiller la ville antique Pompéi, etc. Il fait de Naples un État moderne. Il songeait même à l’instauration d’une monarchie constitutionnelle qui sera le ferment du Risorgimento et de la lutte pour plus de libéralisme au sein des monarchies.

D. : Quel regard les Italiens portent-ils sur votre ancêtre ?

Murat avait compris le principe de l’éveil des nationalités provoqué par le développement de l’Empire napoléonien. Il l’a constaté en Pologne, en Espagne, en Russie et bien sûr en Italie. Joachim Murat est devenu la référence politique d’une mouvance libérale qui entendait promouvoir une monarchie constitutionnelle et parlementaire, garante des libertés individuelles et fondée sur la souveraineté de la nation. Il a été le champion et le symbole de la lutte pour l’unité italienne. Après sa mort il a existé un parti muratiste qui s’est éteint après avoir atteint son objectif : l’unité de l’Italie. Les Italiens le considèrent toujours comme un martyr de cette lutte.

D. : Que doit Napoléon Ier à Joachim Murat, réputé grand cavalier ?

Joachim Murat a été, certes, un fantastique cavalier mais, il a été surtout un immense chef de guerre à la tête de nombreuses divisions comme à la bataille d’Austerlitz en 1805 où il commande toute l’aile gauche de la Grande Armée. C’est autant un formidable sabreur qu’un excellent meneur d’hommes, un très bon tacticien qui a un sens aigu du terrain et de la vitesse d’exécution, clef des victoires de Napoléon. Bonaparte n’aurait probablement pas été Napoléon sans Murat. Leur première rencontre date de l’insurrection royaliste du 13 Vendémiaire [ndlr : 5 octobre 1795], que le général Bonaparte va mater avec l’aide de Murat. À partir de cette date leurs destins seront définitive- ment liés et ils ne se quitteront plus. Ils font toutes les campagnes du Consulat et de l’Empire ensemble. Lors du 18 Brumaire [ndlr : 9 novembre 1799], c’est Murat qui sauve Napoléon en faisant expulser par la garde tous les parlementaires qui menacent le vainqueur des Pyramides. On le sait peu mais c’est aussi un très bon diplomate durant tout le Consulat. Napoléon lui confiera un certain nombre de missions en ce sens, comme les négociations du Concordat avec le Vatican. Napoléon sait ce qu’il doit à Murat et le couvre d’honneurs et de responsabilités, mais à partir de 1808 l’attitude de l’Empereur vis-à-vis de Murat va beaucoup se durcir. Pourtant, Murat restera fidèle à l’Empereur jusqu’à la fin. On sait maintenant grâce au travail des historiens que Murat, après un bref renversement d’alliance avec l’Autriche, a participé activement à préparer l’évasion de l’île d’Elbe. Sa fidélité à l’Empereur lui coûtera son trône et sa vie.

D. : Quelles sont les qualités que vous admirez le plus chez votre ancêtre ?

Le courage, l’énergie, le refus de la médiocrité, le panache. Murat était la définition même de l’homme d’action, un sport de contact à lui tout seul. Plus encore, c’est sa capacité à remettre sur le tapis tout son confort et toute sa gloire par fidélité pour sa patrie qui m’impressionne le plus. Il a 45 ans, et il est roi de Naples depuis 4 ans, quand il part avec enthousiasme pour la campagne de Russie.

D. : On lui a reproché d’avoir abandonné Napoléon Ier pour sauver son trône de Naples et de l’avoir trahi. Quel est votre avis sur ce point de la vie du maréchal Murat ?

Je ne suis évidemment pas d’accord avec cette image qu’on donne de lui et qui vient principalement d’un Mémorial de Sainte-Hélène publié en 1823, soit deux ans après la mort de l’Empereur, et écrit par Las Cases, qui invente bien des choses dans ce livre magistral, affirmant que les fautes de la guerre d’Es- pagne ou de Russie sont de la responsabilité de Murat. Napoléon est décrit comme un personnage messianique et le judas désigné reste le maréchal Murat. Grâce aux travaux du professeur Jean Tulard et de la Fondation Napoléon, ceux de l’historien-écrivain Pierre Banda, on sait aujourd’hui quel a été réellement le rôle de Murat à la fin du Premier Empire. S’il a signé un traité d’alliance avec les Autrichiens en janvier 1814, c’était bien après avoir tenté de faire changer d’avis Napoléon sur la politique qu’il menait. Il va continuer à entretenir une relation écrite avec l’Empereur, qui est sur l’île d’Elbe, alors qu’il est roi de Naples, pour l’aider à s’évader. Il lui demeure fidèle et l’Autriche ne lui pardonnera pas d’avoir rejoint Napoléon lorsque celui-ci revient en France en 1815.

D. : Que deviennent ses enfants après sa mort ?

Ses filles vont épouser des aristocrates italiens, ses deux fils Achille et Lucien, vivront en Italie et aux États-Unis. Achille s’installe aux États-Unis, épouse la nièce de George Washington, combat les Indiens Séminoles et gère des plantations. Il crée même la Légion étrangère belge, qui aura une courte existence. Mort sans enfants, il est enterré en Floride. Son frère Lucien rentre en France sous le Second Empire comme membre de la famille de l’Empereur. Il aura une carrière politique sous le Second Empire en tant que député. Son fils, Joachim, militaire de renom, sera d’ailleurs le meilleur ami du Prince Impérial, fils de Napoléon III, mort au Zoulouland en 1879.

D. : Comment les générations suivantes de Murat ont-elles réussi à faire vivre cet héritage ?

Les Murat n’ont pas été frappés par la loi d’exil de 1886. Restés en France ils ont toujours défendu la mémoire des deux Empereurs. Ils se sont tous engagés dans l’armée, donnant leur vie pour la France, comme mon grand-père en 1944, ou dans la politique, notamment sous la IIIe République en tant qu’élu de l’Appel au Peuple, parti bonapartiste. J’ai moi-même décidé de faire mon service militaire à Saint-Cyr puis chez les parachutistes avant d’aller sur des théâtres d’opérations extérieures, ce qui m’a permis de m’inscrire dans la continuité de l’héritage familial et de porter dignement mon nom. Aujourd’hui, comme mon père, je défends la mémoire de Napoléon et de mon ancêtre, symboles de ce qu’a été la Grandeur française et que je considère comme deux vitamines pures qui devraient être remboursées par la Sécurité sociale.

D. : Comment souhaitez-vous transmettre cette histoire à votre fils et futur prince de Pontecorvo ?

Je vais d’abord essayer de lui offrir une existence heureuse et paisible de petit garçon sans avoir trop tôt à porter son héritage familial. Mais, assurément, il pratiquera l’équitation dès que possible et il devra apprendre l’italien, avoir une expérience militaire et le sens de la patrie. Comme c’est le cas pour moi, qui ai toujours guidé mes choix personnels comme professionnels en ce sens. Mon fils sera élevé dans cette idée : l’exceptionnelle beauté de la France et l’infinie richesse de son Histoire.

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Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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