Lorsque la République démocratique allemande est proclamée en 1949, les communistes s’empressent d’exproprier sans ménagement les familles aristocrates locales. Obligées de s’enfuir vers l’ouest en attendant des jours meilleurs, trois décennies après la chute du mur de Berlin, elles peinent encore à récupérer leurs biens laissés en mauvais état.
Le baron von dem Knesebeck était fier de son pédigrée. Un arbre qui compte quelques illustres ancêtres dont un maréchal de renom, diplomate et militaire de qualité, qui n’a pas démérité pas face à Napoléon, sauvant même le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse des griffes de l’empereur des Français à la bataille d’ Iéna (1806). Son portrait trône toujours sur le dessus d’une cheminée du « château » familial, une simple maison à l’espace réduit. « Ce n’est pas un véritable château » s’en amusait le baron, décédé en2020, en pleine crise de covid . Le château des von dem Knesebeck a été détruit par les communistes qui ont occupé cette partie de l’Allemagne durant un demi-siècle. Sa famille est l’exemple même des difficultés auxquelles fait toujours face l’aristocratie est-allemande.
Des familles dépossédées par les communistes
Comme d’autres aristocrates allemands, dont les parents ou les grands-parents ont fui l’est dans les derniers jours chaotiques de la guerre pour se réfugier dans l’ouest de l’Allemagne, la famille von dem Knesebeck a décidé de rentrer chez elle. Elle a adhéré au Parti nazi mais leurs relations avec le chancelier Adolf Hitler ont été chaotiques. Jürgen Gustav Paridam von dem Knesebeck (1888- 1980), député au Reichstag, a fini par quitter le NSDAP en 1933. Détenteur de la croix de fer durant la Première Guerre mondiale, trop méfiants à son égard, les nazis ont fini par lui interdire tout accès à des postes, lui interdisant même de réintégrer le NSDAP. Mis à la retraite, il introduit une demande de restitution de ses propriétés en 1946. La mise en place de la République démocratique allemande (RDA) ne permettra pas au dossier d’aboutir. Peu importe, l’important pour les von dem Knesebeck, c’est d’être rentré dans leurs terres historiques et d’avoir été réhabilités dans leurs droits par un tribunal.
Les « barons des bottes en caoutchouc » sont de retour en ex-RDA
Ils sont nombreux à être revenus en Allemagne de l’Est, frappée par la crise sociale. Aristocrates désargentés, ils ont déposé des centaines de dossiers pour récupérer ce qu’ils estiment leur revenir de droit. Quand leurs biens sont déjà occupés par d’autres, c’est tout un parcours du combattant pour prouver qu’ils n’ont pas participé à la montée du nazisme. Ils rachètent aux agences gouvernementales des terres, bâtiments, châteaux qu’ils auraient dû hériter légitimement si l’histoire n’avait pas modifié le cours de leur existence. En ex-RDA, où l’idéologie socialiste est encore très prenante, on les surnomme les « barons des bottes en caoutchouc » car ils versent des millions d’euros dans la restauration des fermes, la réparation des structures historiques et le démarrage de petites sociétés, générant du plein emploi. C’est ainsi que le baron von dem Knesebeck a racheté, avec ce qui lui restait d’argent, 1 600 acres d’anciennes terres familiales (la moitié du domaine d’origine,) à une ferme collective qui était en dépôt de bilan. La briqueterie a été alors transformée en appartements. Loués aux écotouristes, ils sont désormais gérés par ses descendants.
Une dette de sang envers l’Histoire
Les privilèges et avantages de la noblesse allemande ont été abolis en 1919 avec la proclamation de la République de Weimar. Les aristocrates ont pourtant conservé propriétés et titres et ont été autorisés à les léguer à leur descendance. Hitler s’en méfiait et bien que beaucoup d’entre eux l’ont rejoint par haine du républicanisme ou par antisémitisme, ils sont ceux aussi qui ont tenté de le renverser en juillet 1944 lors de l’Opération Walkyrie. Ils affirment détenir une dette de sang envers des lieux et des personnes dont l’histoire est intimement liée à la leur. « J’ai une profonde obligation envers cet endroit et envers ces gens » déclare le baron Helmuth von Maltzahn. Il habite le village d ‘Ulrichshusen, situé au nord de Berlin. L’histoire de sa famille se confond avec celle du Reich des Hohenzollern et de la Croix-Rouge qu’ils ont dirigé. Parmi tous les membres de cette dynastie, un ministre des Finances du Kaiser Guillaume II, un ministre du grand-duc de Mekclembourg-Schwerin, la Comtesse Maria von Maltzahn, baronne de Wartenberg et Penzlin (1909-1997), célèbre biologiste et opposante à Hitler ou encore Vollrath von Maltzan, qui sera ambassadeur de l’Allemagne de l’Ouest entre 1955 et 1958 (il a été décoré par la France). En 1945, sa famille a fui l’invasion de l’Armée rouge avec « le peu de choses qu’ils pouvaient mettre dans un sac à dos » se souvient-il. Ancien directeur de cosmétiques, avec sa femme et leurs deux petites filles, le baron von Maltzan a abandonné une vie confortable en Allemagne de l’Ouest en 1993, pour un mobile home à peine chauffé garé à côté des ruines de l’ancien château familial qui date du XVIème siècle. Depuis, la partie habitable du château a été transformée en hôtel de 30 chambres « Les communistes sont venus et ne sont pas restés, ma famille a toujours habité ici depuis huit siècles. La terre est mon passé, mon présent et mon futur. Elle abrite les tombes de mes ancêtres et sera l’héritage de mes filles » explique avec fierté le baron Helmuth von Maltzahn.
Excepté quelques grandes familles qui ont su exploiter leurs domaines forestiers, la majorité des aristocrates allemands occupent de simples postes au sein d’entreprises. Les affres de l’Histoire ont fondu leur immense fortune comme « neige au soleil ». On estime à 70 000 le nombre de personnes issues de ces dynasties qui ont contribué à forger les frontières de l’Allemagne. « L’aristocratie allemande est très discrète, elle n’aime pas la publicité » déclare Rolf Seelmann-Eggebert, journaliste. En vertu de la loi de réunification allemande, les propriétaires qui ont perdu leurs biens, au profit des occupants soviétiques, n’ont plus aucun droit légal sur leurs anciennes demeures.
Frederic de Natal