Repoussé à diverses reprises, le voyage des souverains Belges en République démocratique du Congo (RDC) était très attendu. Un fois le pied posé en Afrique centrale, le roi Philippe a de nouveau exprimé ses profonds « regrets » pour les « blessures, les souffrances et les humiliations » causées par son pays durant la période coloniale. Un passé omniprésent pour la dynastie des Saxe-Cobourg-Gotha et dans les esprits en Belgique.

Le roi Philippe est arrivé ce 7 juin à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC) pour un séjour de six jours. Accompagné de son épouse, la reine Mathilde, de son premier ministre Alexander de Croo et de deux ministres du gouvernement royal, le souverain des Belges a été accueilli par le président Félix Tshisekedi à l’origine de ce voyage. Prévue initialement pour le soixantième anniversaire de l’indépendance de l’ancien Congo-Léopoldville en 2020, cette visite du couple royal avait été repoussée deux fois, en raison de la pandémie de covid-19 et du déclenchement de la guerre en Ukraine. Un déplacement historique qui intervient néanmoins dans un contexte de relations difficiles entre les deux pays depuis plusieurs années et marqué par une violente remise en cause du passé colonial belge par le mouvement Black Lives Matter (« La vie des noirs compte »).

Un passé colonial en demi-teinte

L’aventure coloniale belge doit son impulsion au roi Léopold II qui a su, grâce à ses liens diplomatiques et quelques explorateurs de renom, se tailler une part du lion sur le continent africain. Possession personnelle du souverain avant qu’il ne le lègue à son pays, le Congo a été la pièce maîtresse d’un empire auquel sera adjoint, après la Première Guerre mondiale, le protectorat du Ruanda-Urundi. Une vaste exploitation de ces terres est mise en place, au détriment des populations locales employées sans aucune rémunération et dans des conditions épouvantables. Même à cette époque, la presse fustigera les méthodes des sociétés privées. Parallèlement, la Belgique pose les fondations du futur Zaïre en développant les infrastructures du pays, en mettant fin aux pratiques esclavagistes (les razzias arabes étant fréquentes), multipliant les écoles et dispensaires de médecines. La décolonisation sera brutale, émaillée par des affrontements ethniques sanglants, des crimes d’état (assassinats des premiers ministres Patrice Lumumba (Congo) en 1960 et du prince Louis Rwagasore (1962) pour le Burundi), l’émergence de deux provinces sécessionnistes (Katanga et Kasaï) avec l’accord des Belges et par une confrontation raciale entre africains et colons blancs.

Le roi Baudouin au Congo@Dynastie/Wikicommons

Dans les pas de Bwana Kitoko 

Tous les monarques, ou presque, ont effectué des visites au Congo. Si Léopold II (1835-1909) n’a jamais pris le temps de se déplacer dans ses possessions africaines, son neveu Albert Ier (1875-1934) va faire trois voyages. Le premier en avril 1909, parcourant près de 4000 kilomètres à pied et en bateau baleinier, véritable exploit, le second en 1928 pour inaugurer la capitale Léopoldville et une statue géante équestre de Léopold II, (aujourd’hui sortie de son socle et mise au centre d’un parc de Kinshasa) et enfin en 1932 pour traverser tout le pays en hydravion dans un but scientifique. Léopold III (1901-1983) inaugure la série des longs voyages. Neuf mois au Congo en 1925 puis aux côtés de son épouse la princesse Astrid en 1933 pour ne plus jamais y revenir. La palme revient indubitablement au roi Baudouin (1930-1993), surnommé affectueusement « Bwana Kitoko » (le nouveau roi) qui va venir 5 fois au Congo, colonie dont il appréciait le charme.  Une lune de miel et de fiel entre le souverain et ses colonisés qui se poursuivra tout au long du régime du maréchal Mobutu Sese Seko (le roi fut le parrain de l’un de ses enfants) entre 1965 et 1997. Des relations qui se dégradèrent avec l’arrivée au pouvoir des Kabila, père et fils. Le roi Albert II n’a effectué que deux voyages. Un en 1969, un autre en 2010  où le frère de Baudouin évitera soigneusement de prendre la parole afin de sauvegarder l’héritage laissé par son prédécesseur.

Le roi Philippe réitère ses regrets 

Sur l’esplanade du Palais du Peuple, siège du parlement congolais, le roi Philippe a condamné publiquement « le régime colonial, basé sur l’exploitation et la domination (…) » basé sur  «une relation inégale, en soi injustifiable, marqué par le paternalisme, les discriminations et le racisme ». Avant d’exprimer de nouveau ses « profonds regrets » au peuple congolais. C’est la troisième fois que le neveu du roi Baudouin Ier, celui-là même qui avait loué «  le génie colonisateur de Léopold II » lors d’un discours prononcé le jour de l’indépendance, présente de telles excuses. Déjà au plus fort des manifestations du BLM en 2020 et mis sous pression par certains membres de sa famille, le roi Philippe avait évoqué ses regrets, accepté que soit mis en place la création d’une commission parlementaire chargée de « faire la clarté » sur les « souffrances et humiliations » infligées aux colonisés et une autre chargée de restituer les objets dérobés à ses anciennes possessions africaines (un masque géant appartenant à l’ethnie Suku a été rendue lors de cette visite par le roi Philippe). Des excuses qui avaient provoqué un vaste débat en Belgique.

Une visite qui ne fait pas l’unanimité

Si le gouvernement a appelé les congolais « à réserver un accueil chaleureux » aux souverains belges, c’est une visite qui ne fait pourtant pas l’unanimité. Sur les réseaux sociaux, des habitants de Kinshasa ont manifesté leur agacement reprochant au roi Philippe de ne pas assez faire « acte de repentance et d’éluder la question des réparations financières pour les exactions commises sous la colonisation ». « La Belgique a colonisé notre pays, et vous savez les résultats de la colonisation. On n’attend rien de son arrivée ici » déclare Augustin, interrogé par un quotidien Kinois.  « Plus jamais ça. Nous aimons et respectons bien sa Majesté le Roi des Belges et nous lui souhaitons la bienvenue en RD Congo mais à bas les pratiques coloniales » a twitté la sénatrice Francine Muyumba. « Décidément, il faudra conter l’Afrique autrement à nos enfants. Voir ces genres d’appels de la supposée élite d’ex-colonisés est juste à vomir ! Révoltant ! Rendons au moins au peuple et aux ancêtres une once de dignité bon sang » s’est indigné le chanteur Alesh, star locale du rap. Exit donc la remise de médailles par le souverain au Caporal Albert Kunyuku, le dernier soldat congolais encore en vie, engagé durant la Seconde Guerre mondiale, symbole de réconciliation entre les deux pays.

Le séjour du roi Philippe comprend une intervention devant les étudiants de l’Université de Lubumbashi dans la partie sud du pays, et une visite particulièrement délicate dans l’est de la RDC, dans un contexte de résurgence d’une rébellion armée, où le couple royal rencontrera le Docteur Dénis Mukwege, prix Nobel de la paix en 2018.

Frederic de Natal