Les hommages officiels du gouvernement se multiplient depuis l’annonce du décès du prince Sharif Ali Ben Al-Hussein. Héritier du trône d’Irak, il avait fait un retour discret dans son pays en 2003 à la chute du dictateur Saddam Hussein. Ultime témoin d’une révolution sanglante organisée au son de la Marseillaise, il faisait consensus parmi les partis politiques et son nom avait été à diverses reprises cité pour occuper divers postes importants au sein du gouvernement d’union nationale. Membre de la famille royale des Hachémites, le prince Sharif Ali Ben Al-Hussein avait 64 ans. La Revue Dynastie revient sur le destin de son ultime prétendant.
Invasion orchestrée sous de fallacieux prétextes, il aura fallu à peine un mois, entre mars et avril 2003, pour que les Américains et leurs alliés ne renversent le régime baasiste du président Saddam Hussein, en place depuis 1979. Pour les États-Unis, il s’agit alors de redonner ses lettres démocratiques à une république qui, depuis sa proclamation en 1958, n’a jamais connu un seul président civil élu tout en s’assurant la signature de contrats pétroliers pour son propre bénéfice. C’est avec le Congrès national irakien (CNI), une opposition hétéroclite qu’elle finançait depuis 1992, que l’administration du président Georges W. Bush va négocier les termes d’un nouveau gouvernement de transition, permettant l’organisation des premières élections libres en Irak. Parmi ces nombreux partis qui se disputent déjà la fonction suprême, celui du prince Sharif Ali Ben Al-Hussein, héritier à la couronne, semblait alors être une option sérieuse et prometteuse.
La chute du régime de Saddam Hussein : l’occasion manquée des monarchistes
Sharif Ali Ben Al-Hussein, issu de la lignée du Hedjaz, n’a que deux ans quand la révolution éclate en 1958. La veille, son père appelait encore le roi Faysal II au téléphone. Il avait refusé une protection armée et la demeure qu’il occupe avec sa famille lui permet d’échapper à un terrible assassinat organisé par les officiers de haut-rangs. Alors que la monarchie vacille,, à peine jeune de trois décennies, réfugié dans l’ambassade d’Arabie Saoudite, il prend le chemin de l’exil au Liban puis en Angleterre avec sa famille. Le prince Sharif deviendra banquier et opposant politique. Il rencontre des émissaires américains en octobre 2002, tentant devant de vagues promesses, de les convaincre de l’opportunité de restaurer la monarchie légitime. Il débarquera finalement le 10 juin 2003 à Bagdad peu de temps après la chute de Saddam Hussein. Les chefs bédouins se sont réunis pour l’accueillir. Ils sont peu nombreux sur le tarmac de l’aéroport où flotte un drapeau américain. Ironie de l’histoire quand on sait que ce fut un autre drapeau anglo-saxon que le premier souverain d’Irak avait aperçu à son arrivée dans la capitale irakienne. Dans sa poche, un programme : le rétablissement de la sécurité, du système de santé et de la justice. Après s’être recueilli dans le mausolée royal, parfaitement entretenu, le prince rencontre le ministre des Affaires étrangères. Il s’agit de négocier le retour de la monarchie via un référendum. Les Américains en décideront finalement autrement, contraignant le prince à se diriger seul avec son parti vers les urnes.
Le prince Sharif Ali Ben Al-Hussein, héritier du trône d’Irak
Tout au plus, obtient-il la tête de la représentation de la délégation du CNI, le 28 octobre 2003, chargée de négocier avec le ministre des Affaires étrangères de Syrie qui joue les médiateurs. Sa participation aux élections sera constellée d’échecs répétés. Ainsi, lors des législatives du 30 Janvier 2005, son mouvement est crédité de 0,16 % (13 740 voix) en dépit d’une forte distribution d’affiches avec son portrait et ce slogan : « Un espoir pour l’Irak ». Le 3 Avril suivant, il échoue à se faire élire au poste de vice–Président de la nouvelle République et n’obtient pas d’élus aux nouvelles élections parlementaires de décembre 2005. Amère, le prince déclare lors d’un entretien accordé au Figaro : « Bien avant la guerre, j’ai suggéré aux Américains d’organiser des élections au plus vite dès que le régime tomberait. Ils se sont malheureusement fiés à leurs propres copains en exil et ont complètement échoué dans la reconstruction du pays. Dès le départ, l’erreur a été de créer un Conseil de gouvernement transitoire sous la coupe de Paul Bremer, le proconsul américain ». Qualifiant le gouvernement irakien élu de « trop proche des Américains, trop opportuniste » il assurait que « le retour de la monarchie peut se présenter comme le remède idéal aux maux de l’Irak. Je suis convaincu que seule une monarchie constitutionnelle pourra assurer la diversité des partis politiques et éviter que l’un d’entre eux cherche à dominer les autres ».
Vaines chimères ?
En 2010, son mouvement participe de nouveau aux élections législatives au sein de la liste « Bloc Chiite ou Alliance Nationale Irakienne », occupant la 11e place sans pouvoir compter d’élus. Il reste cependant encore un poids, même mineur, capable de fédérer. On lui confie différentes missions diplomatiques comme celle de représenter son pays en Iran, en Turquie ou auprès de la Ligue arabe. Cet homme de consensus est même l’objet de tractations en mars 2016 lorsque le Premier ministre Haider Al-Abadi propose son nom au Parlement comme ministre des Affaires étrangères. Craignant que les Hashémites ne reviennent au pouvoir par la petite porte et d’irriter le voisin jordanien , les partis s’accordent pour lui refuser le titre convoité. Rien n’entame ses convictions. Il a l’oeil des pétromonarchies. Tant et si bien qu’on lui donne la présidence de la délégation pour la Conférence de la paix dans le pays en 2018. Il y a deux ans, alors que l’Irak s’enfonçait dans l’anarchie politique, il s’était proposé au poste de candidat à la présidence de la République. L’appel avait été entendu sur les réseaux sociaux , dans la presse mais non par les partis politiques plus préoccupés par leurs intérêts personnels et qui n’avaient pas daigné écouter ses doléances. Malgré le soutien affiché de la tribu Bani Hassan, extrêmement influente et dont les ramifications s’étendaient bien au-delà de l’Irak.
Un trône contesté
Selon l’édition de Skynewsarabia, le prince est décédé le 14 mars à Amman de problèmes pulmonaires dont il souffrait depuis longtemps. Le premier ministre Moustafa al-Kazimi a rendu hommage à un homme qui fut « une personnalité nationale qui a toujours lutté pour un Irak libre, démocratique et uni ». Père de 4 enfants, la succession devrait échoir à son fils Faisal III ( né en 1992). Toutefois, ce dernier est inconnu des irakiens et il ne devrait pas revendiquer un trône sur lequel il a peu de chances de monter et dont il est d’ors et déjà contesté, En effet, une partie des monarchistes (réunis au sein de l’Alliance démocratique monarchique) ne reconnait pas de droits au trône à cette branche de la maison royale et estime que le prince Ra’ad bin Zeid est mieux placé pour prendre la couronne. Né à Berlin en 1936, son père a été un vice–régent du royaume irakien, cousin du premier roi iraquien et reconnu comme chef de la famille royale en 1958 par la seule cour de Jordanie. Le prince Ra’ad bin Zeid a repris les prétentions paternelles arguant que le prince Sharif n’était pas le premier des fils de son père et que seule la loi de succession au trône autorise les aînés à ceindre la couronne. Etant né avant la révolution, il possède la nationalité irakienne. Son fils Zeid, prince royal, a occupé une poste de Haut-commissaire aux Nations unies pour les droits de l’Homme entre 2014 et 2018.
Frederic de Natal