Chef de la dynastie Kadjar en exil, le prince Sultan Hamid Mirza (1918-1988) a vécu une vie marquée par les soubresauts de l’histoire iranienne et les illusions d’une restauration monarchique. Figure discrète mais emblématique d’un Iran révolu, il a incarné la mémoire d’une dynastie déchue et la destinée tragique de l’exil.

Empire prestigieux mais fragilisé, un pays tiraillé entre tradition et modernité, riche d’une culture ancienne, la Perse est victime de sa position stratégique dès la fin du XIXe siècle, convoitée par les monarchies européennes et la Russie pour les trésors que son sol recèle.

D’une dynastie à une autre

C’est dans cette atmosphère que Sultan Hamid Mirza Kadjar voit le jour à Tabriz, le 23 avril 1918. Son père est nul autre que le prince Mohammad Hassan Mirza (1899-1943), le frère d’Ahmad Shah, souverain de Perse. Le trône du Paon est sur le point de vaciller. Dans ses langes, le jeune Sultan Hamid Mirza n’a pas conscience de l’agitation qui secoue le Palais du Golestan, le siège du pouvoir de sa dynastie. Mis sous pression par les Soviétiques qui tente d’imposer un contre-pouvoir dans le pays, le monarque est bientôt contraint de signer un accord avec les Britanniques qui met littéralement la Perse sous la coupe de sa Gracieuse Majesté.

Les complots succèdent aux complots. Y compris au sein des Kadjar qui jugent Ahmed Shah comme un souverain incompétent et indolent.  Survient alors le coup d’état du colonel Reza Khan en mars 1921, à la tête du régiment des Cosaques. Le ministre de la Guerre est le nouvel homme fort de la monarchie constitutionnelle qui conserve encore un semblant de regalia au profit des Kadjar. Si devant son frère, le prince Mohammad Hassan Mirza lui assure de sa fidélité, il tente en parallèle de convaincre Londres de destituer le Shah et de le placer sur le trône à sa place.  Le Royaume-Uni ne daigne pas lui répondre. Les jours de l’Empire sont comptés, celui de la dynastie également. Ahmad Shah décide de quitter la Perse en 1923 avec sa famille. Il faudra encore deux ans avec que Reza Khan ne se décide de se débarrasser des Kadjar et inaugure une nouvelle dynastie, la sienne, celle des Pahlavi.

La vie d’un officier britannique au nom d’emprunt

Pour Sultan Hamid Mirza, c’est déjà le chemin d’un exil sans espoirs de retour. Trop jeune pour comprendre les événements en cours, le petit prince fut confié à son grand-père, l’ex-souverain Mohammad Ali Shah, d’abord à Constantinople puis à San Remo, où ce dernier mourut en 1925, quelques mois avant la fin du règne des Kadjar.  De villes en villes, Paris, puis Londres, où il s’installe avec son père et son frère aîné Hossein ( futur architecte au Canada), l’héritier présomptif du trône perse n’est plus qu’un prince sans royaume, partagé entre nostalgie des origines et intégration à l’Occident.

Élevé en Angleterre, formé à la rigueur maritime du Thames Nautical Training College, Sultan Hamid Mirza choisit une carrière de marin. En 1942, alors que la Seconde Guerre mondiale embrase l’Europe, il réussit à s’engager dans la Royal Navy après un premier refus. Mais, pour servir, il doit dissimuler son identité : sur l’insistance du ministre britannique des Affaires étrangères Anthony Eden, il adopte le pseudonyme de David Drummond, nom emprunté à un personnage de roman d’aventures bien que le prince affirma toute sa vie que ce nom était simplement tiré d’un annuaire téléphonique.

Sous ce nom britannique, il combat à bord du HMS Duke of York et du HMS Wild Goose, traversant la guerre avec honneur. Pendant ces années troublées, Londres envisage même — un temps — de restaurer la dynastie Kadjar après la destitution de Reza Shah en 1941. Hamid Mirza, tout comme son père, fut évoqué comme candidat au trône, mais son éloignement culturel et son incapacité à parler persan jouèrent contre lui. Le rêve de restauration s’évanouit aussitôt.

Un retour contrarié en Iran

Après la guerre, Hamid Mirza reprit sa carrière civile, travaillant pour la très américaine Mobil Oil. Ce n’est qu’en 1957 qu’il revint en Iran. L’accueil fut mitigé : bien que prince d’une dynastie encore respectée dans certains cercles, il fut surveillé de près par le régime du Shah et même arrêté à deux reprises par la redoutée SAVAK. En 1971, il quitta définitivement son pays natal, regagnant Londres.

À la mort de son cousin, le prince Fereydoun Mirza, en 1975, Hamid Mirza devint le chef de la dynastie Kadjar Ce rôle essentiellement symbolique fit de lui le gardien d’une mémoire, plus qu’un acteur politique. Lorsqu’il s’éteignit en 1988 à Londres, son fils, le prince Mohammad Hassan Mirza II (79 ans), devint héritier présomptif, perpétuant une tradition dynastique désormais inscrite dans l’histoire plus que dans l’avenir.

Prince cosmopolite, marié deux fois, officier britannique et héritier d’un trône disparu, Sultan Hamid Mirza aura incarné durant sa vie, à la fois la fragilité des destins royaux et la permanence de l’idée dynastique. Pour les monarchistes iraniens, il symbolise un fil historique reliant l’Iran contemporain à son passé royal glorieux, celui d’une maison devenue souveraine au cours du XVIIIe siècle. Mais pour l’histoire, il restera surtout le témoin discret d’un siècle où l’Iran passa de la tradition dynastique aux bouleversements modernes.

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Frédéric de Natal

Rédacteur en chef du site revuedynastie.fr. Ancien journaliste du magazine Point de vue–Histoire et bien d’autres magazines, conférencier, Frédéric de Natal est un spécialiste des dynasties et des monarchies dans le monde.

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