Premier des châteaux de la Loire depuis l’océan, à mi-chemin entre Tours et Le Mans, le Lude n’est pas seulement un vestige historique, témoignage de quatre siècles d’architecture française, mais surtout un foyer vivant, habité aujourd’hui encore par une famille qui se consacre à son rayonnement.
Placé à un carrefour stratégique, aux marches de l’Anjou, non loin du Maine et de la Touraine, le Lude a depuis toujours dû se prémunir contre les envahisseurs. Son château fort, édifié du XIIIe au XVe siècle, verra se succéder des personnages hauts en couleur, tels Foulque Nerra, comte d’Anjou, le roi de Jérusalem Jean de Brienne, les seigneurs de Beaumont et de Vendôme. Au cours de la guerre de Cent Ans, en 1425, le comte de Warwick s’empare du Lude, avant d’en être délogé par les compagnons de Jeanne d’Arc, dont Gilles de Rais, le légendaire Barbe-Bleue…
Tandis que l’Anjou fait son entrée dans la Renaissance avec le « bon roi René », le Lude aborde une nouvelle destinée avec Jehan de Daillon, chambellan de Louis XI et gouverneur du Poitou, qui fait l’acquisition du château et des terres en 1457. Sept membres de sa famille s’y succéderont de père en fils jusqu’en 1685. Tous occuperont de hautes charges à la Cour et aux armées. La stupéfiante métamorphose de la forteresse en un magnifique palais traduit leur irrésistible ascension. Car si le Lude n’est pas un château royal, il n’en demeure pas moins un lieu proche du pouvoir. Le fils de Jehan, Jacques de Daillon, se distingue aux côtés de François Ier à Fontarabie et à Pavie. Ses descendants occuperont tour à tour les charges de gouverneur du Poitou, sénéchal d’Anjou, lieutenant général de Guyenne. Henri, dernier du nom, accède aux fonctions les plus brillantes : lieutenant général des armées, gouverneur de Versailles, grand maître de l’artillerie. À la cour du Roi-Soleil, son esprit vif et ses reparties sont réputés. En 1675, la terre du Lude est érigée par Louis XIV en duché-pairie. Par héritage, le domaine échoit ensuite aux Roquelaure puis aux Rohan, qui s’en défont au profit d’un armateur malouin d’origine hollandaise, Joseph-Julien Duvelaër, directeur du comptoir français de Canton pour la Compagnie des Indes. Ce « nabab » étant mort sans descendance, ses biens passent à sa nièce, la marquise de La Vieuville. Depuis 1785, le Lude est resté entre les mains de ses descendants. Tandis que son mari périt sur l’échafaud, en 1792, Mme de La Vieuville sauve le château avec l’aide des villageois. Sa fille et héritière épousera Louis-Céleste de Talhouët, d’origine bretonne. Une nouvelle famille va présider aux destinées du Lude durant un siècle et demi. Louis-Céleste devient l’un des premiers présidents du conseil général de la Sarthe et son épouse dame du palais des impératrices Joséphine et Marie-Louise. Leur fils, Auguste-Frédéric, colonel, participe aux grandes batailles napoléoniennes, d’Iéna à la Moskowa. À son tour président du conseil général, il épouse Alexandrine, fille du comte Antoine Roy, avocat et industriel. Leur fils, Auguste, marquis de Talhouët-Roy, député puis sénateur, sera ministre des Travaux Publics dans le gouvernement d’Émile Ollivier en 1870. Avec son épouse, Léonie Honnorez, riche héritière belge, il entreprend d’ambitieuses rénovations dans son château du Lude.
Leur fils René de Talhouët-Roy leur succède, tant sur le plan de la politique régionale que dans la conduite du domaine de Lude. Maire du Lude pendant cinquante-six ans, il préfère sa demeure sarthoise à la vie parisienne, comme bon nombre de ses prédécesseurs. En 1927, il fait classer le château aux monuments historiques. Passionné de vénerie, il crée l’équipage Talhouët, qui chasse le chevreuil sur ses terres. À sa mort en 1948, le château devient la propriété de son petit-fils, le comte René de Nicolaÿ, marié à la princesse Pia-Maria d’Orléans-Bragance, cousine d’Isabelle, feu la comtesse de Paris. Pia-Maria, prématurément veuve, puis son fils, le comte Louis-Jean de Nicolaÿ, l’actuel propriétaire, sauront assurer un avenir à leur patrimoine familial en l’ouvrant au tourisme.
C’est ainsi que, dès 1957, le Lude accueille le premier « son et lumière » de France. À cette époque, seuls Versailles et Chambord s’étaient déjà lancés dans ce spectacle historique d’un genre nouveau. Au départ, il ne s’agit pour les Nicolaÿ et leurs amis que d’animer une kermesse et de réunir des fonds pour l’école libre du Lude. On loue des costumes Grand Siècle dans un théâtre d’Angers et l’on joue devant la façade XVIIIe. Par la suite, le spectacle se déroulera dans les jardins à la française, en contrebas, sur les bords du Loir. L’assistance est placée sur des gradins, de l’autre côté de la rivière, dans le Maine, alors que le château est en Anjou. Les Tableaux successifs miment les grands événements qui se sont déroulés au château, de la guerre de Cent Ans au Grand Siècle, de Jeanne d’Arc à Louis XIV, en passant par la visite du Vert Galant. L’entreprise occupera jusqu’à 350 bénévoles, en comptant les acteurs et figurants, les cavaliers, les machinistes, les placiers, etc. Pendant près de quarante ans, jusqu’en 1996, ce spectacle, premier du genre, a accueilli plus de cinq millions de spectateurs. Oscar du Tourisme français, lauréat du Prestige de la France, le Lude a servi d’archétype à de nombreux spectacles du même genre, y compris le Puy du Fou. Philippe de Villiers avouera avoir fait ses premières armes au Lude. Quand on lui demandait la différence entre les deux concepts, Louis-Jean de Nicolaÿ répondait que le Lude était plus « Comédie-Française » et le Puy du Fou plus « Châtelet » ! « Nous sommes restés plus aristocratiques, parce que le Lude est un château habité, qui a sa propre histoire. »
Avec son épouse, Barbara, d’origine belge, fille du comte Michel d’Ursel, et leurs quatre enfants, Louis-Jean de Nicolaÿ, maire du Lude et sénateur de la Sarthe depuis 2004, veille à la conservation et à l’animation du château et de ses jardins. Depuis plus de vingt-cinq ans, le son et lumière a cédé la place à une « fête des Jardiniers », au seuil de chaque été, rendez-vous incontournable des amateurs d’horticulture et de beaux livres, subtile association d’élégance et de simplicité. « J’ai vécu mon enfance dans un petit village flamand où ma mère rassemblait dans son jardin féerique une collection de roses anciennes, explique Barbara de Nicolaÿ. Je me destinais à l’archéologie, quand mon mari m’a entraînée dans la Sarthe où j’ai passé désormais plus de la moitié de ma vie, en développant des activités très différentes, la plupart dédiées au patrimoine inouï que représente le château. Mère de quatre enfants, je suis aujourd’hui une grand-mère comblée. »
À l’initiative de la châtelaine du Lude, l’Association des Parcs et Jardins du Maine a créé, en 2000, le prix Pierre-Joseph Redouté – du nom du célèbre peintre botaniste –, dédié aux meilleurs livres de jardin parus dans l’année. Aujourd’hui, Barbara de Nicolaÿ se préoccupe davantage de transmettre sa passion de la nature, par le biais de la formation de stagiaires et d’apprentis, d’animations pour les enfants. « Il me semble urgent de sensibiliser les jeunes générations à la beauté, à l’histoire et à l’environnement. »
Catherine Anaëlle