Il repose dans la cathédrale de Canterburry depuis six siècles. Fils du roi Edouard III et de la reine Philippa de Hainaut, Édouard de Woodstock est un personnage indissociable de la guerre de Cent Ans. Chevalier anglais redouté, il a dirigé la principauté d’Aquitaine d’une main de fer entre 1362 et 1372. Durant des mois, une équipe de chercheurs a sondé son tombeau. En novembre 2021, ils ont publié les conclusions d’un rapport qui a finalement mis fin aux derniers mystères entourant le gisant du « Prince Noir ».

Classée au patrimoine mondial, la cathédrale de Canterburry est un monument d’architecture médiévale. C’est ici que repose, dans le silence de l’éternité, le prince Edouard de Woodstock, fils aîné du roi Edouard III et de la reine Philippa de Hainaut. Né en juin 1330, il a été éduqué selon les préceptes de son époque. Choyé par son père, il excelle dans les tournois, fait la fierté d’une maison, les Plantagenêts, qui occupe le trône d’Angleterre et revendique la couronne de France. Sur les champs de bataille, il est impitoyable et redoutable, acquiert une réputation de stratège qui le fait craindre des Français. Il a 32 ans quand il est nommé prince d’Aquitaine par son père qui a agrandi ses possessions grâce au traité de Brétigny-Calais. Il fixe sa capitale à Bordeaux, entretient une cour aux côtés de son épouse Jeanne de Kent qui est luxueuse et extravagante. Les nombreux impôts finissent pourtant par mécontenter une partie de la noblesse locale qui se révolte. Les « chevauchées » du prince Noir, qui doit son surnom à la couleur de son armure comme nous l’apprend les Chronicles of England (bien que cela soit une version contestée par divers historiens), tranchent les soulèvements dans le vif. Toute révolte est jugulée sans pitié.

Sceau du Prince Noir représenté avec son blason @Dynastie

Prince d’Aquitaine 

Malade, il rentre en Angleterre en janvier 1371, accompagné de son fils, le futur Richard II. Il laisse son frère, Jean de Gand, duc de Lancastre, en charge de la principauté. Deux branches qui ne devaient par tarder à s’affronter au cours des décennies suivantes. Il doit finalement renoncer à son titre et meurt d’hydropisie en 1376, un an avant son père. Son gisant a été conçu afin de rappeler qu’il fut une des fines fleurs de la chevalerie et à cette particularité d’être composée en métal rare. Une des rares sculptures ayant traversé les siècles sans avoir été endommagée par les affres du temps. Une équipe de l’Institut Courtauld, spécialisée en histoire de l’art, a décidé de sonder le gisant de l’intérieur grâce à « des techniques d’imagerie médicale et chimique comme la spectroscopie de fluorescence des rayons X » nous indique le magazine Sciences et Avenir qui s’est penché sur cette étude inédite. « Jusqu’à présent, le manque de sources sur le tombeau du « Prince Noir » limitait notre compréhension de l’œuvre. Notre étude scientifique est donc l’occasion tant attendue de réévaluer ce gisant comme l’une des sculptures médiévales les plus précieuses du pays » a déclaré Jessica Barker, experte en sculpture médiéval au Burlington Magazine.

Le gisant du Prince Noir @JessicaBaker/Dynastie

Les mystères de son gisant révélés

Que nous apprend cette étude ? Jusqu’ici, on croyait que le gisant avait été créé au décès du « Prince Noir » conformément aux éléments distillés dans son testament. Il semble que ce ne soit pas le cas et qu’il ait été achevé presque des années plus tard, comparé à celui de son père constitué du même alliage.  Il est même possible que ce soit une commande du roi Richard II qui souhaitait redorer le blason terni de sa lignée. « Nous supposons que cette coïncidence n’est pas fortuite. Si les deux monuments ont été faits – et payés – en même temps, ils auraient été enregistrés dans les mêmes documents qui auraient pu être perdus ensemble » pense Jessica Barker. Il est aussi probable que la sculpture qui orne le gisant ait été réalisée par un armurier. « Ce n’est pas n’importe quelle armure – c’est son armure, la même armure qui pend vide au-dessus de la tombe, reproduite avec une fidélité totale jusque dans les moindres détails comme la position des rivets » explique Jessica Barker. « Cette sculpture montre à quel point la société du XIVe siècle était extrêmement sophistiquée sur le plan technologique » renchéri Emily Pegues, doctorante en histoire de l’art médiéval à l’Institut Courtauld. « Il y a quelque chose de profondément émouvant dans la façon dont son armure est représentée sur la tombe » ajoute-t-elle.

Les détails sont très précis et il est difficile d’imaginer que ce travail d’orfèvre ait pu être réalisé par un simple sculpteur affirme le rapport. Une sonde vidéo insérée à travers les encoches d’ouverture a d’ailleurs permis de confirmer cet état de fait, mettant à mal les caricatures qui affirment que l’art du Moyen-Âge étaient « archaïque ». Un mystère vieux de six siècles qui a achevé de livrer ses derniers secrets historiques. Un gisant qui n’aura pas porté chance à Richard II. En 1399, il est destitué de son trône par Henri de Lancastre, fils de Jean de Gand, et enfermé à la Tour de Londres où il y passera de vie à trépas un an plus tard.

Frederic de Natal