Elizabeth II a été la dernière princesse d’un Empire disparu avec les affres de l’Histoire. Joyau de la couronne britannique, c’est en 1947 que l’Inde a obtenu son indépendance. L’annonce du décès de la souveraine du Royaume-Uni a été diversement appréciée par les Indiens. Si les drapeaux ont été mis en berne sur l’ensemble des bâtiments gouvernementaux, des voix se sont rapidement élevées afin de réclamer la restitution du Koh-i-Noor, le fameux diamant qui orne la couronne royale, à ses propriétaires légitimes.

Avec le décès de la reine Elizabeth II, survenu le 8 septembre 2022, les différents pays du Commonwealth dont elle a été le chef d’État, ont annoncé qu’ils mettaient leurs drapeaux en berne. Parmi lesquels l’Inde, ancien fleuron de l’Empire britannique, que la souveraine a visité trois fois au cours de ses 70 ans de règne. Dernière princesse impériale, elle a 21 ans quand l’Inde accède à l’indépendance en mai 1947. Un long combat mené par le Mahatma Gandhi qui ne pourra pas empêcher la partition du pays en deux états distincts (hindou et musulman) et dont il sera la victime malheureuse. C’est dans ce contexte difficile qu’elle va prononcer son discours à l’attention de ses futurs sujets, depuis le Cap en Afrique du Sud. « Je déclare devant vous que ma vie entière, qu’elle soit longue ou brève, sera vouée à votre service et à celui du grand Commonwealth impérial auquel nous appartenons (…). » déclare celle que l’on surnomme affectueusement « Lilibeth ».

Un Empire qui se meurt sous ses yeux

La princesse a toutes les raisons de suivre les événements qui se succèdent à une vitesse folle. Son père a nommé Lord Louis Mountbatten au poste de vice-roi des Indes et il l’a chargé de négocier la fin de la présence britannique sur le sol indien au mieux de leurs intérêts. C’est aussi l’oncle du jeune Philip Mountbatten, l’homme de sa vie dont elle est tombée amoureuse et qu’elle va épouser. Dès l’annonce de leurs fiançailles officielles en juillet suivant, le Mahatma Gandhi n’hésite pas à envoyer une étoffe de coton tissée par le héros de l’indépendance lui-même. La séparation entre Londres et New Delhi a été actée et l’Empire commence à se déliter un peu partout dans le monde où l’Union Jack a été planté au cours des siècles précédents. C’est en tant que souveraine qu’Elizabeth II va revenir en Inde. Nous sommes en 1961, elle est accompagnée de son époux. Elle va visiter quelques villes et se rendre au Taj Mahal, le célèbre temple de l’amour. « La chaleur et l’hospitalité du peuple indien, ainsi que la richesse et la diversité de l’Inde elle-même ont été une source d’inspiration pour nous tous. » déclare la reine devant des milliers de personnes rassemblées à New Delhi. Le couple royal assistera même au défilé organisé pour la fête de l’indépendance et rendra hommage à Gandhi. Tout un symbole.

Des visites historiques en Inde

Lors de sa deuxième visite en 1983, elle rend tour à tour visite à la Première ministre Indira Gandhi (1917-1984) puis à Mère Teresa (1910-1997) qui œuvre à Calcutta en faveur des plus démunis. Une foi intense habite cette albanaise d’origine qui raconte avoir entendu un appel de Dieu, lui demandant d’aider les pauvres d’Inde. Elle était alors en route vers les plantations de thé de Darjeeling (1946). Elizabeth II, impressionnée par son travail, lui remettra l’Ordre du Mérite. Son ultime voyage, en octobre 1997, sera encore plus marquant. Lors de son discours officiel, elle n’hésitera pas à faire référence à des « épisodes difficiles » de l’histoire coloniale, en particulier le massacre de Jallianwala Bagh. En 1919, effrayés par un important rassemblement pacifiste des partisans de Gandhi, les soldats, déjà épuisés par trois jours d’émeutes, répondent à l’ordre du brigadier-général Reginald Dyer et ouvrent le feu, laissant derrière eux plus de 400 de morts, 1100 blessés. L’événement fut condamné dans le monde entier et bien qu’il fût convoqué pour s’expliquer, Reginald Dyer ne fut pas relevé de ses fonctions, accueilli comme un héros à Londres. « Ce n’est un secret pour personne qu’il y a eu des épisodes difficiles dans notre passé – Jallianwala Bagh en est un exemple affligeant. Mais l’histoire ne se réécrit pas, même si l’on souhaite parfois le contraire. (…). » avait déclaré la reine Elizabeth II. Des excuses en demi-teinte qui n’avaient cependant pas convaincu les Indiens. En marge de ce discours, Philip Mountbatten avait provoqué un tollé en minimisant le nombre de tués mentionnés sur une plaque dévoilée en mémoire de cet événement (2000 personnes selon l’histoire indienne). « C’est un petit peu exagéré » avait affirmé lors de la cérémonie le duc d’Édimbourg à Partha Sarathi Mukherjee, un scientifique renommé, présent dans la délégation. Embarras du gouvernement. C’est désormais devenu une étape obligée pour tous les premiers ministres où les membres de la famille royale. Comme en 2017, lorsque le prince William et son épouse se sont rendus en Inde.

L’Inde se joint à l’émotion mondiale

Le décès de la reine Elizabeth II est survenu alors que l’Inde est secouée par une vague anticolonialiste. Le 7 septembre, le Premier ministre Narendra Modi s’était félicité publiquement du déboulonnage de la statue du roi George V à New Delhi et son remplacement par une autre représentant Subhas Chandra Bose, chantre du nationalisme indien et soutien de l’Allemagne nazie durant la Seconde Guerre mondiale. L’avenue des rois où est située la statue a même été rebaptisée « Kartavya Path » afin de faire oublier qu’elle a été synonyme d’esclavage pour les Indiens comme nous le rappelle le quotidien Ouest France dans une de ses récentes éditions. Histoire commune oblige, le premier ministre Narendra Modi a pourtant ordonné que les drapeaux soient mis en berne sur tous les édifices gouvernementaux, qualifiant la souveraine de « guide inspirant pour sa nation et son peuple, (qui) symbolisait la dignité et la pudeur dans la vie publique » dans un tweet avant de partager une anecdote personnelle où il rappelait que lors de sa dernière visite, elle était venue avec l’étoffe offerte par Gandhi. Une contradiction que n’ont pas manqué de relever les internautes indiens.

Les Indiens réclament la restitution du Koh-i-Noor

Une décision moyennement appréciée en Inde où on attend toujours des excuses officielles du gouvernement de Sa Majesté pour les « crimes commis durant la colonisation ». Interrogée par le Times of India, Ananya Bhardwaj s’est indignée de l’émotion suscitée par ce décès dans son pays. S’identifiant comme « postcoloniale », « je ne comprends pas les gens qui affirment pleurer la reine et non l’Empire. Mais le titre que nous lui connaissons vient justement de cette institution impériale. Cela n’a aucun sens pour moi » a affirmé cette doctorante à l’Université George Washington. Sur les réseaux sociaux, de nombreux utilisateurs ont également réclamé que le diamant figurant sur la couronne royale que va ceindre le roi Charles III soit rendu à l’Inde. Le Koh-i-Noor (Montage de lumière) a été aux mains des empereurs Moghols puis des shahs de Perse avant de tomber dans l’escarcelle des rois afghans. Il faudra attendre 1814 avant que celui-ci ne soit rendu à un souverain sikh pour services rendus. 34 ans plus tard, son héritier, le Maharaja Duleep Singh, ne peut endiguer le tsunami britannique qui submerge son état. Confisqué, le diamant est remis à la reine Victoria, mais ne sera installé sur la couronne qu’en 1936 pour le sacre du roi George VI. Estimé à plus de 300 millions d’euros, la question de sa restitution est un sujet récurrent. En 2016, l’Inde avait exigé le retour du diamant, et même tenté une action judiciaire. En vain. Le Royaume-Uni avait argué que le diamant avait été cédé très légalement et que toutes demandes ne seraient pas à l’ordre du jour. Ni maintenant, ni demain. Dont acte !

Frederic de Natal