Le Cecilienhof est un des derniers châteaux construit par les Hohenzollern, une maison royale qui a achevé l’unité de l’Allemagne en 1870. C’est l’un des sites-phares de la ville prussienne de Postdam. Mais c’est aussi une demeure de prestige que souhaite récupérer le prince Georges-Frédéric de Prusse, prétendant au trône d’Allemagne. Depuis une décennie, l’arrière-arrière-petit-fils du Kaiser Guillaume II, contraint de renoncer à son trône en novembre 1918, tente de récupérer, meubles, tableaux, objets divers, propriétés,… dont sa famille a été exproprié à la fin de la Seconde guerre mondiale. Un enjeu de taille puisque cette fortune (dont une partie est exposée dans les musées) est estimée à plusieurs millions d’euros.
Une guerre de mémoire qui divise l’Allemagne
L’information a été révélée par le magazine « Der Spiegel » durant l’été 2019 et a soudainement bénéficié d’un écho imprévu dont se seraient bien passés les Hohenzollern. Le satiriste Jan Böhmermann, qui a une émission hebdomadaire sur la chaîne de télévision publique ZFD-Neo, s’en est emparée et a vertement critiqué le prince Georges-Frédéric de Prusse. Il lui a même dédié un hashtag #princestupide qui a eu son succès sur les réseaux sociaux. Avant d’aller plus loin puisqu’il a créé un site où il a déposé un rapport relativement à charge, co-écrit par quatre historiens. Selon ces derniers, il ne fait aucun doute que les Hohenzollern sont coupables d’avoir aidé les nazis à prendre le pouvoir. Or selon la loi votée en 1994, toute personnes reconnues complices d’adhésion au nazisme ne peut prétendre à une quelconque indemnisation de la part du gouvernement.
Colère du prince Georges-Frédéric de Prusse qui s’est empressé de mettre en ligne ses propres arguments sur son site officiel. Une batterie d’avocat se chargeant de déposer plainte contre tous journalistes dont les articles seraient trop partiaux. « La demande des Hohenzollern est une insulte à la république » pouvait-on lire en guise de réponse dans le « Der Spiegel » et sous la plume de Stefan Kuzmany qui s’attaque à « cette aristocratie, en particulier les Hohenzollern, qui sont une plaie pour [l’Allemagne-ndlr] ». L’affaire n’a pas tardé à devenir nationale, divisant profondément les allemands jusqu’aux plus hautes sphères politiques. Au Bundestag, les échanges ont été particulièrement intenses et retransmis à la télévision. Du côté de la droite allemande (CDU, FDP et AfD), on assure le prince de son soutien quand du côté de celui de la gauche (SPD, Die Linke et les Verts), on souhaite que Berlin et le Land du Brandebourg cessent immédiatement toutes négociations avec le rejeton impérial, invoquant le devoir de mémoire.
Les Hohenzollern, partisans ou résistants au nazisme ?
Ce n’est pas la première fois que ce dossier agite la république fédérale allemande. Déjà en 1926, une violente passe d’armes entre conservateurs monarchistes et communistes avait provoqué la tenue d’un référendum sur le sujet. Après accord, les Hohenzollern avaient pu récupérer leurs biens nationalisés au lendemain de la Première guerre mondiale. Une époque propice à la montée des extrêmes et un national-socialisme en pleine ascension dont entend se servir le Kronprinz Guillaume afin de remonter sur le trône. Lui comme d’autres membres de sa famille n’hésiteront pas à arborer un uniforme kaki orné d’une croix gammée, au grand dam du Kaiser à la fois admiratif et agacé par le succès d’Adolf Hitler avec lequel il ne partage pas la moindre idée. Plusieurs fois, il doit rappeler à l’ordre ses fils et petit-fils, tous animés par le même esprit de revanche. Même au sein des mouvements monarchistes, on pense que la restauration permettra de contrôler les nazis et prévenir toute prise du pouvoir. Finalement Hitler sera nommé chancelier du Reich (1933), se débarrassera de ses alliés, priés de regagner leurs châteaux avant de promptement les exclure de tous les postes de l’administration et de l’armée où ils étaient présents. Télégramme de félicitations au Führer, Guillaume II meurt peu de temps après l’invasion de la France. Il faudra attendre 1944 pour voir le nom des Hohenzollern réapparaitre dans l’histoire. Mais cette fois-ci du côté des comploteurs de l’opération Walkyrie où le prince Louis-Ferdinand, son petit-fils, jouera un rôle non négligeable.
Un prince « ébranlé par les révélations »
Afin de couper court au débat qui empoisonne les négociations où chaque partie campe sur ses positions, l’héritier au trône a finalement accepté d’ouvrir les archives des Hohenzollern à Lothar Machtan. L’historien-conférencier, spécialiste d’Hitler, a eu accès à des « documents inédits ». « Ma principale préoccupation est de clarifier une fois pour toutes à quoi correspond toutes mes demandes » a expliqué Georges- Frédéric de Prusse. Pourtant et malgré lui, Lothar Machtan est arrivé à la conclusion que le prince Guillaume de Prusse, fils du Kaiser et principal accusé, avait bien aidé les nazis à s’emparer du pouvoir. « Entre 1931 et 1932, il apparaît que le Kronprinz a bien soutenu le futur führer du Troisième Reich » a déclaré l’historien à la ZDF. « Il a été une figure de proue royale pour Hitler » poursuit l’écrivain qui précise que « non seulement, il n’a pas seulement flirté avec les nazis, mais il les a également soutenus (…) ». Toutefois, il apporte également un degré de nuances et rappelle qu’à cette époque, les « Hohenzollern étaient obnubilés par la fin de la république [de Weimar-ndlr] tout comme une partie de la droite conservatrice ». Rien qui ne prouve donc que cette aide ait été motivée par une adhésion au nazisme en tant qu’idéologie raciale. Ses conclusions, qui pourraient changer la donne dans les mois à venir, ont été publiées en août dernier dans un livre intitulé « Le Kronprinz et les nazis », une des meilleures ventes en librairie actuellement en Allemagne.
A la lecture du livre, Georges- Frédéric de Prusse s’est dit « ébranlé par les révélations » et a déclaré qu’il allait devoir, avec l’aide de sa famille, gérer de ce chapitre sombre inhérent aux Hohenzollern ».
Frederic de Natal