À plusieurs centaines de kilomètres de Monaco et d’Andorre, une étrange monarchie d’opérette a vu le jour en France, il y a une décennie. Fondée grâce à une ambiguïté historique, la principauté d’Aigues-Mortes, située dans le Gard, s’est dotée d’un prince et d’une princesse qui n’ont rien à envier aux élus de la Présipauté du Groland. Dans cette micro-nation devenue très populaire, on voit la vie en rosé.

Renommée pour ses remparts médiévaux et ses arènes, la ville d’Aigues-Mortes est située dans le département du Gard, dans le sud de la France. Dirigée par un maire Union des Démocrates et indépendants (UDI), Pierre Mauméjean a pourtant un concurrent qui a pignon sur rue, sa garde d’honneur, qui frappe sa monnaie, possède un drapeau, émet des passeports et qui s’est doté d’un gouvernement hétéroclite. C’est au cours d’une soirée arrosée, discutant des derniers mariages royaux en date, que va naître l’idée de créer une monarchie parodique, inspirée de celle de Seborga en Italie, basée « sur le droit le plus ancestral de tous, proclamée par la grâce de notre bon rosé, le fameux vin des sables dont la ville est la capitale incontestée » explique le site officiel de la principauté d’Aigues-Mortes. À cette monarchie d’opérette, il faut une histoire cohérente dont les racines se doivent de plonger dans celle de la France afin de lui donner ses lettres de noblesse. En 1240, Louis IX obtient la ville et toutes les terres grâce à un échange de propriété avec les moines de l’abbaye qui dirigeaient la cité. C’est d’ici, que le roi de France partira pour ses deux croisades. La dernière lui étant fatale en 1270. Sur son lit de mort, le monarque aurait décidé « de récompenser son fidèle écuyer, Pierrot Pitchoun, comme prince d’Aigues-Mortes ». La légende est belle, paraît même crédible. Assez pour que le 22e « descendant » de l’écuyer Pitchoun revendique aujourd’hui ce prestigieux titre. Flanqué d’un uniforme rutilant, juriste de son état, faux airs de Lambert Wilson, Jean-Pierre IV Pichon est devenu une star locale en quelques années.

La principauté d’Aigues-Mortes, un projet ludique et décalé

Tout prince qui se respecte à sa princesse. L’humour étant de mise, chaussée de ses haut-talons, c’est un ami du prince, Olivier Martinez, qui fera office d’épouse. Le succès est au rendez-vous à la plus grande surprise de cette bande d’amis qui ne rechigne pas à trinquer au rosé avec les habitants d’Aigues-Mortes. Cette intrusion au sein des micro-nations va même déclencher une guerre virtuelle avec d’autres « nations » qui ne goûtent guère à la plaisanterie encore moins au caractère princier du pseudo-couple formé par « la princesse Olivia-Eugénie et le prince Jean-Pierre IV Pichon » . Une bouffonnerie royale qui n’aurait  pas déplu à Coluche et Thierry Le Luron, deux comiques célèbres pour avoir pastiché le mariage d’une vedette de la télévision. Le couple a même son portrait officiel accroché dans certains commerces et a développé une boutique en ligne de souvenirs.

Plus de 500 habitants composent désormais cette principauté devenue une attraction touristique. Pour postuler, il faut avoir 21 ans, résider dans la ville (ou sur le continent européen, exceptionnellement au Québec) et parler impérativement le français. En 2016, la principauté a accueilli un sommet francophone des micro-nations durant deux jours. L’événement a attiré l’œil de la presse française. Le souverain, qui a décidé de prendre le chiffre romain IV en hommage au numéro de la licence permettant aux bars de distribuer de l’alcool, a depuis décidé d’en faire un « projet, un outil tout aussi ludique et décalé qu’utile et solidaire pour la ville ». Car derrière le burlesque de la situation, sa fameuse soirée du « Godet d’Or » , défendre le patrimoine de la ville est le véritable credo de la principauté qui « n’existe que pour servir sa cité en créant davantage de solidarité et d’initiatives citoyennes ». So royal !

Frederic de Natal