C’est l’étape cruciale de leur tour des Caraïbes. Arrivés ce mardi dans l’île de la Jamaïque pour un séjour de trois jours, le duc et la duchesse de Cambridge ont été accueillis par les représentants officiels de ce confetti de l’empire. Loin des manifestations réclamant que la monarchie britannique présente des excuses officielles pour son rôle dans le commerce triangulaire et paie des compensations aux descendants d’esclaves. Plusieurs partis exigent désormais que l’île natale de Bob Marley coupe définitivement ses liens avec Londres.
Fraîchement débarqués du Bélize où leur séjour a connu un raté, le duc et la duchesse de Cambridge sont arrivés sur l’île de la Jamaïque ce mardi, accueillis par la ministre des Affaires étrangères et la chef du département des Forces de défense de la Jamaïque. Un déplacement de trois jours considéré à haut risque pour le prince William et la princesse Kate. Une visite qui coïncide aussi avec le soixantième anniversaire de l’indépendance de cet état situé dans les Caraïbes dont la reine Elizabeth II est toujours la dirigeante. A Kingston, la capitale, plusieurs manifestations ont été organisées afin de protester contre cette visite royale. Selon l’Advocates Network – une coalition qui regroupe différents activistes jamaïcains et d’organisations de défense de l’égalité – le couple royal doit profiter de cette occasion pour présenter des excuses officielles à la Jamaïque pour avoir introduit le commerce de l’esclavage. Une pratique qui a enrichi les colons britanniques et la Couronne.
Repaire de boucaniers, c’est au milieu du XVIIème siècle que la Jamaïque est prise par les Anglais. Olivier Cromwell souhaite en faire une colonie de peuplement et c’est très rapidement que des huguenots français arrivent aux côtés des prisonniers irlandais et des aristocrates anglais sans le sou afin de cultiver ce nouvel eldorado. En dépit des raids espagnols, l’île va rapidement prospérer grâce au commerce de l’esclavage qui devient très intense. Mais c’est sous la Restauration que la Jamaïque connaît un véritable boom économique et ses premières révoltes d’esclaves (la plus importante aura eu lieu en 1760, parfaitement organisée avec l’espoir de faire de l’île, le premier état noir libre). En 1700, on estime que 40000 africains sont présents dans cette partie des Caraïbes, répartis dans toutes les plantations de sucre de la Jamaïque. Malgré l’abolition de cette pratique en 1833, après un long processus (qui aura accouché de la naissance de la Sierra Léone), les afro-jamaïcains resteront le plus souvent les obligés des planteurs renforçant leur sentiment de frustration.
Avec l’esclavage, apparait aussi une classe créole qui va conduire l’île vers son indépendance et la diriger pleinement jusqu’en 1992, date à laquelle les Jamaïcains portent au pouvoir, pour la première fois, un afro-jamaicain de naissance. L’Angleterre « a mal agi en s’enrichissant grâce à l’esclavage et au colonialisme», déclare Nora Blake, une des coorganisatrices de ces manifestations. Une lettre a même été publiée, expliquant en 60 points pourquoi le duc et la duchesse de Cambridge n’étaient pas les bienvenus, signée par différentes personnalités issues de la société civile, artistique et politique. « Vous avez donc l’occasion unique de redéfinir les relations entre la monarchie britannique et le peuple jamaïcain » demande l’Advocates Network au petit-fils de la Queen. Si le prince William n’ignore rien de ces demandes, certains mouvements politiques n’ont pas hésité à s’engouffrer dans la brèche et réclamé que la question de la pleine indépendance soit abordée durant cette visite.
A great walkabout in Trenchtown, Jamaica the birthplace of Bob Marley with Prince William and Catherine Duchess of Cambridge #RoyalVisitJamaica #Royals #DuchessofCambridge #PrinceWilliam #Jamaica #Kingston pic.twitter.com/3Nw8zmEa4M
— Rookie (@royalfocus1) March 23, 2022
La proclamation de la république est d’ailleurs devenue un enjeu central pour les deux principaux partis de l’île, le People’s National Party et le Jamaïca Labour Party, qui l’ont inscrit dans leurs programmes politiques respectifs. Si un sondage a révélé que 55% des jamaïcains souhaiteraient la fin des relations avec Londres, jusqu’ici aucun de ces partis, arrivés tour à tour au pouvoir, n’a pu mettre en œuvre un tel référendum qui nécessite qu’un quorum des 2/3 de la majorité parlementaire soit réuni. Une situation qui contraste avec les photos des nombreuses manifestations de joie publiées par Kensington Palace sur ses réseaux sociaux ou par divers organes de presse. Toutefois, conscient des revendications et dans un souci d’apaisement, selon le quotidien The Independant, dans son édition de ce jour, le prince William devrait prononcer un discours ce soir qui doit « reconnaître l’héritage de l’esclavage ». Et même faire une allusion au chanteur de reggae Bob Marley. Une demande de pardon dans le plus grand art de la diplomatie britannique : parler sans blesser afin de garder ses amis. Un moyen habile pour la monarchie de rappeler très discrètement l’importance des liens entre l’institution royale et la Jamaïque qui devraient se poursuivre malgré le changement prochain de monarque.
Frederic de Natal