C’est une des plus vieilles familles aristocratiques d’Ancien Régime. Originaires de Normandie, les d’Aboville comptent des chevaliers, des officiers militaires, des comtes d’Empire, des Pairs de France et des députés dans leur arbre généalogique. Monarchistes, bonapartistes, anti-dreyfusards, aujourd’hui, c’est un célèbre navigateur qui continue de faire l’histoire de cette dynastie qui se conjugue, au passé comme au présent, avec celle de notre roman national.
Gérard d’Aboville n’est pas un inconnu pour les Français, pour tous les passionnés de Thalassa (« mer ou océan » en grec). Ce marin, qui a successivement traversé l’Atlantique (1980) et le Pacifique (1991), à la rame en solitaire, a inscrit son nom dans le panthéon des grands navigateurs de son siècle. Né à Paris en 1945, il porte un nom prestigieux qui plonge ses racines dans le Cotentin, en Normandie. C’est au XVe siècle que l’on retrouve les premières traces de la famille d’Aboville, anoblis par un arrêt de la Cour des Aides de Normandie après diverses turpitudes, seigneurs de Ruvilly. Un anoblissement source de disputes entre généalogistes qui ne sont pas d’accord sur la date et les raisons de ce changement soudain de statut dont peu de détails nous sont parvenus. En effet, il faudra que les d’Aboville se fassent reconnaître à diverses reprises comme étant d’essence noblesse, taxes comprises, pour jouir de leurs privilèges (comme en 1666).
François-Marie d’Aboville, héros des Amérique
Les d’Aboville traversent les décennies sans véritablement les marquer, occupant le poste d’écuyer du roi ou des charges d’officier militaire. C’est François-Marie d’Aboville (1730-1817) qui va faire entrer de plein pied sa famille dans l’Histoire de France. Il est le fils d’un officier militaire dont la lignée est issue de cadet. Celle de Thomas d’Aboville, seigneur de Ruvilly, décédé en 1475. François-Marie naît au même moment où son géniteur meurt. Il va être élevé par son oncle, le général Julien d’Aboville, au service du célèbre Maréchal de Saxe. Le jeune homme va naturellement se destiner à une carrière militaire fulgurante. Devenu l’aide de camp de son protecteur, il participe à la guerre de Succession d’Autriche et se distingue à la bataille de Lauffeld (1747). Monté rapidement dans les grades, François-Marie d’Aboville brûle de se faire un nom. Il part aux Amérique entrées en rébellion contre l’Angleterre. Il sera intégré aux régiments du comte de Rochambeau et s’illustre à la bataille de Yorktown, reconnu pour sa valeur sur le champ de bataille tant par son camp que celui adverse. Lorsqu’il revient en France, il trouve un royaume en ébullition. Monarchiste, devenu maréchal de Camp, il propose des réformes de l’armée notamment dans l’artillerie, sa spécialité.
De la monarchie à l’Empire
L’heure des choix ne tarde pas à venir lorsqu’éclate la Révolution française. Il suit les événements avec intérêt sans y adhérer pour autant. La fuite à Varennes de Louis XVI le déçoit et il décide alors de rejoindre l’Assemblée nationale et de lui prêter serment de fidélité. Un basculement que la future République va mettre à profit. La bataille de Valmy (1792) n’aurait pas été gagnée sans François-Marie d’Aboville qui commande l’artillerie sous les ordres du général Kellermann. Nommé à la tête de l’Armée de Moselle, il a abandonné la monarchie à son sort. Le régime de Terreur qui suit, le suspecte très rapidement de comploter. Sa particule a suffi pour le rendre coupable aux yeux du Tribunal révolutionnaire qui l’embastille immédiatement. Il échappe à la guillotine grâce au 9 Thermidor qui met fin au règne de Robespierre. Réintégré dans l’armée, il va greffer son destin à celui de Bonaparte qu’il soutient lors de son coup d’État de Brumaire. Sénateur (il sera vice-président de la Chambre), c’est lui qui escortera Pie VII, emmené vers Paris afin de couronner Napoléon Ier, Empereur. Gouverneur de Brest, comte d’Empire, c’est aussi un légitimiste institutionnel. Lorsque le sénat décide de déchoir l’Empereur (1814), il suit le vote sans résistance et rallie Louis XVIII, qui en retour le nomme Pair de France. Le début de la fin de sa carrière que certains jugeront opportuniste. Au retour d’Elbe, il rallie de nouveau l’Empereur qui le réintègre au Sénat (1815) sans hésitations. A quelques jours de Waterloo, il prétexte des problèmes de santé pour ne pas assister aux séances. Il devra se battre pour se faire accepter comme Pair lors de la Seconde Restauration avant d’expirer deux ans plus tard.
À chaque Aboville, sa gloire de l’Empire, sa trahison ou sa fidélité
François-Marie d’Aboville a eu deux fils. Son aîné, le baron Augustin Marie d’Aboville (1773-1846) va suivre le même chemin que lui. Une carrière militaire dans la même arme, un emprisonnement sous la Terreur avant de se distinguer à la bataille de Wagram (1809), des choix identiques en 1814 et 1815. Commandeur de l’ordre de Saint-Louis, il est mis à la retraite au retour de Louis XVIII et va se consacrer à la politique (député de l’Aisne entre 1824 et 1827). Augustin-Gabriel d’Aboville (1774-1820), son frère, va adopter une position plus nuancée. A chacun ses gloires napoléoniennes. Pour le cadet des d’Aboville, ce sera l’Espagne, notamment lors du siège de Cadix (1810) et à Vitoria (1813) qui signe le retrait français de la péninsule hispanique. Il est conscient que Napoléon Ier ne tiendra pas longtemps et décide de laisser la voie du Nord ouverte à Louis XVIII. Face au général qui se dresse vers lui, le roi de France aura cette expression « Je sais que Monsieur votre père a combattu à Fontenoy et à Lansfeld : c’était un brave ! Bon chien chasse de race. Cette expression populaire rend bien ma pensée, et je suis persuadé, général, que vous ne la prendrez pas en mauvaise part. ». Augustin-Gabriel d’Aboville est un héros parmi les soldats de l’Empire, une aura qui n’est pas sans conséquences dans la chute de Napoléon en 1814. Le reste de sa carrière se fera sous les dorures de la monarchie Bourbon.
Acteurs de l’Affaire Dreyfus
Augustin-Gabriel d’Aboville a eu un fils. Le vicomte Auguste-Ernest (1819-1902). Farouchement anti-dreyfusard, il fait sa carrière sous le Second Empire et sous la IIIe République dont il fait peu de cas. Il marie d’ailleurs une de ses filles au journaliste du Figaro, Alexandre-Arthur de Salvaing, baron de Boissieu. Un fidèle des Bourbons. Maire de Glux-en-Glenne (Nièvre) de 1858 à 1861 puis député du Loiret de février 1871 à mars 1871 sous l’étiquette « Union des droites » (nom d’un groupe parlementaire réunissant la moitié de monarchistes légitimistes, orléanistes et bonapartistes), il échouera à devenir sénateur 1876). Son fils Henri d’Aboville (1848-1941) va jouer un rôle clef dans l’affaire Dreyfus. C’est lui qui affirmera reconnaître l’écriture du capitaine Dreyfus sur un bordereau. Il un témoin à charge dans le procès qui suivra qui condamnera Dreyfus à la prison. Il sera maire de Crach (Morbihan), de 1912 à 1931.
« Je ne vis pas dans le passé »
Le fameux navigateur a attrapé le virus de la mer alors qu’il était adolescent. Gérard d’Aboville est l’arrière-petit-fils du général dreyfusard et dont la famille a donné un enfant à la France lors de la Première Guerre mondiale. Loin de la tradition militaire de ses ancêtres, il s’est consacré à ses passions sportives. Rallye-Dakar, il est un écologiste averti et un défenseur de la sauvegarde du patrimoine marin à travers une association (Patrimoine maritime et fluvial) dont il est le président depuis 1997. Il a tenté une incursion en politique, élu député européen (1994-1999 sous les couleurs du RPR), conseiller municipal de Paris (2008-2014) et a intégré Conseil économique et social. Interrogé sur ses exploits par le quotidien Ouest France, cet aventurier (qui n’aime pas ce sobriquet qu’on lui a attribué) répond toujours très humblement : « Je ne vis pas dans le passé ». Noblesse oblige.
Frederic de Natal